Il y a deux moyens de restreindre l’accès à une information pertinente. Le premier est de tenter de la maintenir secrète ; le second est de la noyer dans une masse d’informations inessentielles, secondaires, voire trompeuses.
Aujourd’hui, la plupart d’entre nous se sentent déjà noyés dans un flux continu de nouvelles informations, souvent contradictoires, qui lui parviennent par divers biais : médias, politiques, associations, information commerciale, bouche-à-oreille… Difficile, dans cette surabondance, de se faire une opinion éclairée sur les sujets en débat : quel poids accorder aux arguments des uns et des autres ? Les chiffres avancés sont-ils fiables et pertinents ? C’est d’autant plus difficile que dans bien des cas, les acteurs économiques se livrent à des campagnes délibérées de désinformation, visant à tromper le public sur l’état des connaissances scientifiques. Il suffit de penser aux longues batailles d’arrière-garde menées par l’industrie de la cigarette à propos des méfaits du tabac, puis par les « climato-sceptiques », largement financés par le secteur pétrolier, sur la réalité du changement climatique.
L’information des consommateurs
Un enjeu particulièrement crucial pour les entreprises est celui de l’information des consommateurs, à travers les règles d’étiquetage, la certification des produits, et la publicité. En théorie, les consommateurs ont le pouvoir de refuser des produits de mauvaise qualité ou qui portent atteinte à leur santé, à l’environnement ou aux droits humains, et de pousser ainsi les firmes vers davantage de responsabilité et de durabilité. Encore faut-il que l’information pertinente soit mise à leur disposition et qu’il soit réellement possible de choisir. Certes, il existe des législations qui permettent de prévenir certains abus, par exemple certaines obligations d’étiquetage ou les lois punissant la publicité mensongère.
Dans la pratique, toutefois, c’est trop souvent « le règne de la désinformation dans les rayons », comme le dénonçait récemment la directrice française de l’ONG Foodwatch, qui s’est faite une spécialité de traquer les tromperies – généralement légales – de l’industrie agroalimentaire [1]. Foodwatch a notamment dénoncé la présence d’hydrocarbures dans des aliments (issus d’huiles minérales dans les emballages), des escalopes de dindes étiquetées « 100 % filet » contenant « 16 % d’eau, de gélifiants, de colorants et autres additifs », des soupes dont l’emballage montre un morceau appétissant de viande de bœuf alors qu’elle contient à peine 1 % de jus de viande, et ainsi de suite. Foodwatch commence par cibler des produits et des entreprises précises, mais son but ultime est de faire évoluer la réglementation [2].
De leur côté, les industriels lancent régulièrement des grandes batailles de lobbying pour réduire ou minimiser leurs obligations d’étiquetage, que ce soit en matière d’OGM, de nanotechnologies, ou d’aliments industriels transformés. En France, actuellement, les lobbys agroalimentaires cherchent à faire avorter un projet d’étiquetage nutritionnel pourtant relativement consensuel, au motif qu’ils conduiraient à « stigmatiser » certains produits (en affichant clairement que leur consommation immodérée est mauvaise pour la santé) [3].
Dans la jungle des labels « durables » et « responsables »
Un autre problème est celui des conditions de fabrication des produits vendus par les firmes et de leurs impacts sur l’environnement. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à réclamer des produits plus « durables » ou « responsables ». Les industriels peuvent être tentés, pour répondre à moindres frais à cette demande, de parer leur offre, telle qu’elle existait auparavant ou à peine modifiée, de nouveaux atours « verts ». On assiste en outre à une floraison de normes, de marques, de labels et de certifications « durables », « verts », « éthiques » ou « responsables » qui recouvrent des réalités très différentes et parmi lesquels le consommateur a bien du mal à se reconnaître. Une bonne partie d’entre eux sont la propriété des entreprises elles-mêmes ou de groupements où elles sont dominantes.
Les propositions mises en avant pour remédier à cet état de fait incluent la mise en place, au niveau national ou au niveau européen, d’un petit nombre d’indicateurs environnementaux standardisés, pertinents et simples, applicables à tous les produits. En contrepoint, il importerait également de faire le ménage dans la multitude des signes de qualité environnementaux existants (logos, labels et autres). On pourrait imaginer qu’un inventaire détaillé soit réalisé, et que seuls puissent être maintenus ceux qui correspondent à un cahier des charges suffisamment rigoureux, et qui sont régulièrement contrôlés par des organismes indépendants.
Enfin, les dispositifs de contrôle de la publicité mensongère pourraient être renforcés pour s’attaquer à la communication trompeuse dans le domaine éthique ou environnemental. En France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) reste une organisation d’autorégulation de la profession. Il y a place pour une instance aux pouvoirs plus importants, associant des représentants de la société civile. En attendant, néanmoins, certaines dénonciations d’ONG ont porté des fruits : c’est ainsi que l’ARPP a rendu un avis défavorable sur plusieurs publicités diffusées par EDF à l’occasion de la COP21 vantant l’énergie nucléaire comme une énergie « sans CO2 » [4]. Des plaintes pour « pratique commerciale trompeuse » ont également été déposées par des associations pour dénoncer l’écart entre les messages éthiques des firmes comme Auchan ou Samsung (à travers codes de conduite et rapports de développement durable) et leur réalité sociale et environnementale [5]. Aucune n’a abouti pour l’instant.