Au Nord comme au Sud, la mobilisation contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) et pour la reconnaissance des semences paysannes pose la question des modes de production des variétés et de leur statut. Entre chercheurs et paysans ont germé, ces dernières années, des démarches de sélection participative.
Engagés dans la destruction d’essais de cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM), les Faucheurs volontaires sont l’emblème de la lutte contre les OGM en France. Des actions semblables de désobéissance civique existent ailleurs en Europe et au-delà, en témoigne la destruction par des paysans indiens d’un essai de plus d’une dizaine d’hectares de riz transgénique fin 2010. « Dans la mobilisation contre les OGM, on trouve une grande diversité d’acteurs, des paysans bien sûr mais aussi des organisations de citoyens, des collectivités ou encore des États, indique Christophe Noisette, coordinateur d’Inf’OGM, la veille citoyenne d’information1. Risques sanitaires, question des droits des paysans, opposition “philosophique” à la brevetabilité du vivant… Les motivations sont multiples. » Créée en France en 1999 par des organisations de la société civile, Inf’OGM s’attache à décrypter l’actualité mondiale sur les OGM et les biotechnologies, « en considérant les OGM comme un objet social et non pas comme un objet scientifique », insiste Christophe Noisette pour qui les OGM sont le paroxysme de l’idéologie de la semence industrielle.
Privatisation de la sélection
« Au Burkina Faso [où les essais de culture de coton transgénique ont commencé en 2002], la tendance est à la privatisation de l’ensemble de la filière, explique Oussan Tiendrebeogo, secrétaire général du Syndicat national de travailleurs de l’agropastoral (Syntap). Le paysan se trouve inclus dans un processus dont l’objectif est d’en faire un ouvrier agricole. Il faut que le paysan reste un producteur ! ». Le Syntap considère qu’en autorisant la culture des OGM, le gouvernement burkinabé s’est engagé dans une aventure suicidaire pour les paysans, du fait notamment des droits de propriété intellectuelle et du coût des semences modifiées.
Dans les pays industrialisés, « l’amélioration des plantes » s’est professionnalisée dès le XIXe siècle et est devenue l’apanage des scientifiques au XXe. Après la Seconde guerre mondiale, la recherche et l’innovation variétales sont presque entièrement déléguées aux généticiens des institutions publiques et privées qui cherchent à obtenir des variétés distinctes, homogènes et stables. Cette conception dominante accompagne un mouvement général d’industrialisation de l’agriculture marqué par une érosion de la biodiversité cultivée et où les intérêts de l’agriculteur ne sont pas nécessairement ceux du sélectionneur semencier (le marché mondial des semences, tenu par cinq « géants génétiques », est estimé aujourd’hui à quelque 17 milliards de dollars…). Au cours des différentes « Révolutions vertes », dans les années 1960 et 1970, les techniques scientifiques de production de variétés de plantes se sont étendues au Sud. Pour Patrick de Kochko, agriculteur et animateur du Réseau semences paysannes, « il faut aujourd’hui de nouvelles variétés adaptées aux besoins des paysans, il y a un gros travail de remise en culture et de sélection à effectuer. Dans les pays du Sud, la situation est un peu différente ; il y a encore beaucoup de semences paysannes à la base de l’agriculture et il est impératif pour les paysans de ne pas perdre la reproduction des semences, afin que dans une période où “il faut nourrir le monde”, ces paysans cessent de disparaître ».
Défendre un autre projet
A la fin des années 1980, l’association indienne Navdanya met en œuvre des initiatives pour la protection de la biodiversité et des droits des paysans. Impulsée par la charismatique physicienne Vandana Shiva, Navdanya gère des banques de semences traditionnelles coopératives qu’elle met en culture avec des agriculteurs à qui des formations sont proposées. Elle est aujourd’hui présente dans seize des vingt-huit Etats de l’Inde et touche plus de 200 000 paysans. Ce type d’initiative existe sur les différents continents, à d’autres échelles certes. Il traduit l’enjeu de la reprise du contrôle de la sélection et de la multiplication de semences dans les fermes et de la réappropriation des savoir faire qui leur sont associés.
Interrogé sur l’intérêt que présentent les cultures de coton transgénique, Oussan Tiendrebeogo répond sans hésitation : « Tous les avantages qui nous ont été présentés s’avèrent faux : on n’économise pas en traitements et les rendements ne sont pas meilleurs, les paysans ont été trompés ! ». Son syndicat est appuyé dans ses actions par la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen). Selon Bob Brac de la Perrière, coordinateur des programmes de l’association Bede2 qui contribue à la protection et à la promotion des agricultures paysannes, « des regroupements comme la Copagen mobilisent sur les problématiques des OGM et de l’appropriation du vivant mais le niveau d’information et donc de prise de conscience n’est pas le même qu’en Europe ». Face au constat de l’impossibilité de généraliser le modèle de la révolution verte (qui n’a d’ailleurs pas permis de multiplier les quantités de nourriture disponible comme les rendements des cultures), certains chercheurs s’intéressent depuis plusieurs dizaines d’années aux savoirs locaux et aux démarches participatives.
En partant de variétés anciennes
Isabelle Goldringer, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique engagée dans des programmes de sélection participative, définit ce type de démarche scientifique comme « un processus collectif et dynamique qui implique les acteurs concernés (producteurs, transformateurs et même consommateurs), dans les décisions prises à chaque étape de la sélection ; elle consiste, en partant de variétés dites “anciennes”, à remettre en culture de nouvelles variétés adaptées aux besoins des paysans. » Programmes sur l’orge au Moyen-Orient, sur le maïs au Mexique, sur le haricot en Afrique, sur le riz au Népal, sur les courges à Cuba, sur le blé en France… il existe plus d’une centaine de programmes de sélection participative à travers le monde qui, selon Patrick de Kochko, « en plus de travailler à sélectionner des variétés adaptées à la diversité des contextes, permettent d’apporter une reconnaissance du savoir empirique des paysans et de gagner en autonomie. Il ne s’agit pas du tout de travailler en autarcie, mais les paysans ont envie et besoin d’être autre chose que les prestataires des entreprises semencières et phytosanitaires [qui sont souvent les mêmes…] ». En dehors des enjeux (primordiaux) autour des semences paysannes pour la souveraineté alimentaire ou le maintien d’une biodiversité cultivée riche, des pratiques comme la sélection participative sont intéressantes pour discuter, plus largement, de la production des savoirs dans la société.
1 Lire « Transparence : la bataille de l’information », Frédéric Prat, page 38.
2 En savoir plus : www.bede-asso.org.
3 Citations extraites de Cultivons la biodiversité : les semences paysannes en réseau, RSP, décembre 2009.