En dépit des célébrations, la guerre en Irak continue

David Sirota

, par Truthdig

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Truthdig, a été traduit par Clémentine Sagot-Duvauroux, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Quelque chose dans la guerre au 21e siècle attise la prédilection de Washington pour les comparaisons historiques. Au moment même où les combats débutent, les politiciens et la presse nationale décrivent inévitablement chaque explosion, invasion, notice du front, machination politique et icône de temps de guerre comme des répliques remarquables de grands moments ou de grands hommes du passé.

Le 11 septembre, c’était Pearl Harbor. La présentation de Colin Powell sur l’Irak aux Nations Unies, c’était l’interpellation d’Adlai Stevenson lors de la Crise des missiles à Cuba. Les journalistes embarqués en Afghanistan se pavanaient comme l’intrépide Walter Cronkite sur un champ de bataille étranger. George Bush était un « président de guerre » rooseveltien. L’invasion de l’Irak c’était le débarquement.

Sous-produit du narcissisme des journalistes, de la vanité des politiciens et de la dévotion rigide de Washington au militarisme, ce type d’hagiographie au présent attribue aux événements contemporains les connotations positives d’une histoire aseptisée. Et que ces analogies soient opportunes ou non, elles servent inévitablement à faire accepter les actions contemporaines—aussi mal avisées qu’elles soient. Pour ne prendre qu’un exemple : si le 11 septembre, c’était Pearl Harbor, ainsi que la télévision l’a si souvent suggéré, alors les Américains vautrés devant leur poste télé allaient forcément considérer l’opération “Choc et effroi” à Bagdad comme une réédition rationnelle du bombardement atomique d’Hiroshima.

Bien entendu, après avoir entendu dire il y a sept ans que « les principales opérations de combat en Irak ont touché à leur fin », et après un conflit unique du point de vue historique qui a duré plus longtemps que presque n’importe quel autre, on pourrait imaginer que la presse allait commencer à remettre en question les mises en scène martiales du gouvernement. On pourrait également penser que les comparaisons avec le passé allaient s’arrêter. Au lieu de ça, les journalistes et les politiciens de Washington célèbrent aujourd’hui le prétendu retrait d’Irak, en présentant implicitement l’annonce du mois d’août de la Maison Blanche comme la venue d’un second V-J Day (jour de la victoire contre le Japon).

Le problème c’est que cette annonce représente tout sauf cela, parce que la guerre est loin d’être terminée. Nous le savons cela car l’armée le reconnaît tout bas.

À peine assourdi par les dithyrambes des experts et par la déclaration de victoire pleine de références historiques du président Obama, le Pentagone admet que “rien ne va changer”. Ce n’est pas une paraphrase ; c’est une citation directe du porte-parole de l’armée en Irak. Elle est survenue un peu avant qu’une dépêche de la Colorado Springs Gazette ne cite un autre officiel militaire qui disait : « Notre mission n’a pas changé. » L’article continue ensuite en relevant que « les déploiements actuels et futurs vont reprendre comme prévu », 50 000 soldats étant toujours stationnés en Irak.

« Les troupes américaines en Irak ne sont pas encore hors de danger. », note Kenneth Pollack de la Brookings Institution. « Les pilotes américains vont continuer à effectuer des missions de combat en soutien aux forces terrestres irakiennes, et les forces spéciales américaines vont continuer à affronter des groupes terroristes irakiens dans des opérations d’une grande intensité. ... [Les États-Unis] vont sans doute subir des pertes dans les années à venir, peu importe le nom que l’on donne à notre mission sur place. »

La vérité, pour faire court, est simple. Bien que Washington nous présente l’annonce de ce mois-ci sur l’Irak comme un nouvel heureux événement amené par de grands hommes, la seule histoire qui se rapporte véridiquement au moment que nous vivons augure de malheurs à venir.
Il faut noter que la Maison Blanche s’est mise à affirmer que les troupes américaines qui sont encore sur place ne font que servir aux côtés de l’armée irakienne dans un rôle de « conseil et assistance ». Notons également que ces mêmes officiels vantent désormais l’« irakification » de la sécurité nationale.

En entendant ces propos, si l’allégorie historique doit immanquablement s’insinuer dans les discours sur la politique extérieure américaine, les journalistes ne devraient-ils pas se rappeler que notre gouvernement nous a trompé en employant ce même terme de « conseiller militaire » durant la désastreuse intensification de la guerre au Vietnam ? Et les politiques ne devraient-ils pas se souvenir que la « vietnamisation » fut un semblant de panacée préparatoire à un retrait qui a traîné pendant quatre années de bain de sang avant que les forces américaines ne quittent définitivement l’Asie du Sud-est ?

Bien sûr qu’ils le devraient ; mais ils ne le font pas, car il est plus facile pour eux de faire comme s’il ne s’agissait que d’un nouveau fragment vaporeux dans un documentaire sentimental de l’History Channel. Et ce n’est pas seulement plus facile. Comme c’est le cas pour la plupart des hagiographies contemporaines, prétendre que le conflit en Irak est arrivé à terme permet de servir un objectif délibéré : faire en sorte que l’Amérique oublie toutes les conséquences peu reluisantes d’une guerre permanente.

David Sirota est l’auteur des best-sellers “Hostile Takeover” et “The Uprising”. Il présente l’émission matinale sur AM760 dans le Colorado et son blog est OpenLeft.com. Ecrivez-lui à l’adresse ds@davidsirota.com ou suivez-le sur Twitter @davidsirota.