À l’heure où Glasgow se prépare à accueillir la COP26, le sommet de l’ONU sur les changements climatiques, en novembre 2021, l’Écosse occupera le devant de la scène du bras de fer mondial pour savoir si, et comment, le monde prendra des mesures urgentes pour enrayer la hausse des températures et l’accélération de la destruction de l’environnement. Ce bras de fer oppose deux camps. D’une part, les entreprises qui émettent de fortes quantités de carbone (on estime qu’à peine 100 multinationales sont à l’origine de 71 % des émissions entre 1988 et 2015) et les gouvernements qui semblent se satisfaire d’un « rafistolage » du système économique actuel, bien qu’il ait mené à des températures qui dépassent aujourd’hui lesniveaux pré-industriels de 1,2°C en moyenne. D’autre part, une alliance croissante de nations, d’organisations de la société civile, d’universitaires, de militants et de chefs d’entreprise tournés vers l’avenir qui réclament des changements radicaux pour assurer un avenir durable pour les individus et la planète.
Les enjeux sont incroyablement élevés. La COP26 était censée se dérouler en 2020, car cette année est celle où les pays présenteront leurs objectifs de réduction des émissions (également appelés « Contributions prévues déterminées au niveau national » ou CPDN) sur la base des engagements pris en 2015 dans le cadre de l’Accord de Paris. Si le monde souhaite « atteindre un niveau de zéro émission nette dès que possible », à savoir l’un des objectifs déclarés de la COP26, cette réunion devra mobiliser une ambition climatique extraordinaire en vue de créer et soutenir une action climatique sans précédent.
Pour le mouvement syndical écossais, emmené par le Scottish Trades Union Congress (STUC ou Congrès des syndicats écossais), la COP26 est une occasion unique de s’assurer que les objectifs de l’Écosse en matière d’émissions, qui sont les plus élevés au monde, placent la transition juste pour les travailleurs et les communautés au centre de toutes les politiques, de tous les investissements et de leur mise en œuvre.
L’Écosse s’est déjà engagée à réduire ses émissions nettes de carbone à zéro d’ici 2045, cinq ans avant le reste du Royaume-Uni, qui a été la première grande économie à légiférer sur son objectif de zéro émission nette. Pour les syndicats et la société civile toutefois, la COP est un moyen d’« exercer une réelle pression partant d’en bas pour changer la donne », écrit Francis Stuart, responsable des politiques du STUC, dans un article de février 2020 pour l’ONG The Poverty Alliance, avec une foule d’idées de politiques interdépendantes allant des objectifs équitables de réduction des émissions (tant au niveau national qu’international) aux services publics universels en passant par un revenu minimum vital à l’échelle mondiale.
En matière de transition juste, lorsqu’il s’agit de passer des paroles aux actes, ce qui arrive maintenant aux travailleurs du pétrole et du gaz de la mer du Nord revêt une importance cruciale. Les recettes totales du pétrole et du gaz produits en Écosse en 2018 étaient estimées à 24,8 milliards de livres sterling (27,43 milliards d’euros ou 32,09 milliards de dollars US). En 2014, le secteur employait 41.300 travailleurs directs et le nombre d’emplois indirects était estimé à 463.900. En 2018, ce chiffre avait chuté à 30.400 emplois directs et 259.900 emplois indirects. Avec l’impact de l’épidémie de Covid-19, le nombre d’emplois directs avait encore chuté à 23.000 en mars 2020, et aucun chiffre précis n’a encore été publié sur le nombre d’emplois indirects que le pétrole écossais de la mer du Nord génère actuellement.
Le gouvernement écossais doté de compétences propres (le Parlement écossais à Holyrood peut adopter des lois sur les matières décentralisées telles que l’éducation, le logement et les questions relatives à la vie quotidienne en Écosse, tandis que le Parlement britannique à Westminster peut adopter des lois sur les « matières réservées » d’importance nationale ou internationale, telles que les licences d’exploitation en haute mer et la fiscalité) décrit le secteur comme « faisant partie intégrante d’une transition énergétique durable, sûre et inclusive ». Bien que la précarité de l’emploi et les licenciements fréquents fassent partie intégrante du cycle d’expansion et de récession dans lequel se meut l’industrie, les choses ont pris une tournure dramatique cette année sous le double coup d’un prix du pétrole au plus bas depuis 20 ans et des retombées dévastatrices de la pandémie de coronavirus.
Rien qu’en mars 2020, 3.500 personnes ont perdu leur emploi dans l’industrie offshore et une enquête menée en septembre 2020 auprès de 1.383 travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière en haute mer (représentant 4,5 % de la population active actuelle) par les groupes de campagne environnementale Platform London, Greenpeace et Friends of the Earth Scotland (FoES) a révélé que, depuis mars, 42,8 % des travailleurs offshore ont été placés en chômage temporaire ou licenciés.
En avril, l’organisme professionnel du secteur, Oil and Gas UK, a averti que jusqu’à 30.000 emploispourraient être perdus dans l’industrie au cours des 18 prochains mois. Et si, comme le prédisent certains analystes, l’effondrement de la demande en pétrole et en gaz observé cette année en raison des confinements liés au coronavirus à travers le monde devient un catalyseur du déclin définitif des industries des combustibles fossiles, alors il est temps de mettre en œuvre les politiques sociales, environnementales et du travail qui garantiront que la transition vers les énergies renouvelables ne laisse personne pour compte.
L’activiste Gabrielle Jeliazkov, de Platform London, a été le fer de lance de l’enquête et du rapport intitulé Offshore : Oil and gas workers’ views on industry conditions and the energy transition (« Offshore : Avis des travailleurs du pétrole et du gaz sur les conditions de l’industrie et la transition énergétique ») publié le 29 septembre. L’enquête a révélé que 91 % des personnes interrogées n’avaient pas entendu parler du concept de transition juste, ce qui prouve qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant qu’il ne devienne un processus appliqué à l’ensemble de la société. Mme Jeliazkov explique toutefois à Equal Times que même s’ils ne connaissent pas le terme, les travailleurs sont intimement conscients de ses effets. À ce titre, toute transition véritablement juste doit être menée par les travailleurs : « Les communautés du pétrole et du gaz doivent montrer la voie afin d’éviter de répéter la catastrophe qu’a constituée la suppression progressive du charbon. Les demandes des travailleurs doivent guider les orientations politiques, ils ont l’expérience concrète et le droit de planifier leur avenir. Rien d’autre ne pourra assurer une transition juste ».
Emplois verts : des ambitions audacieuses
L’un des outils les plus importants pour assurer aux travailleurs une place à la table de l’économie verte a été le Just Transition Partnership (« Partenariat pour une transition juste »). Formé en 2016 par le STUC et FoES ainsi que d’autres membres, dont divers syndicats et organisations environnementales écossais, le Partenariat se réunit régulièrement afin de discuter de la meilleure façon d’encadrer une transition juste dans les domaines sur lesquels il travaille, ainsi que pour faire pression sur le gouvernement écossais. Il offre également la possibilité aux organisations de discuter de leurs priorités individuelles, tout en faisant participer d’autres alliés à la discussion sur des sujets spécifiques.
En septembre 2018, grâce à la pression du Partenariat pour une transition juste, un groupe de travail national a été annoncé et chargé de conseiller sur la manière de décarboner l’économie écossaise de manière équitable. La Just Transition Commission ou JTC (« Commission pour une transition juste »), dirigée par le professeur Jim Skea, est composée de 12 membres issus des sciences du climat, du monde des affaires, des syndicats, du monde universitaire et de l’environnement. En prévision de la présentation de son rapport final au gouvernement écossais au début de l’année prochaine, les membres du groupe de travail se sont réunis régulièrement tout en menant des actions de sensibilisation auprès des communautés.
Le 27 février 2020, la Commission a publié un rapport intermédiaire, qui appelait le gouvernement écossais à saisir l’occasion de la COP26 pour promouvoir son approche de transition juste. Le rapport appelait également le gouvernement à prendre des mesures décisives avant la publication du rapport final. Pour le moment, Holyrood semble en tenir compte. Par exemple, dans le sillage de la pandémie de coronavirus, le gouvernement a annoncé la création d’un Low Carbon Fund (« Fonds faibles émissions de carbone ») de 2 milliards de livres sterling (2,21 milliards d’euros ou 2,59 milliards de dollars US) pour assurer la transition de l’Écosse vers la neutralité des émissions nettes, ainsi qu’un Green Jobs Fund (« Fonds pour les emplois verts ») de 100 millions de livres sterling (110,55 millions d’euros ou 129,39 millions de dollars US) destiné à créer 100.000 emplois décents au cours de la prochaine décennie.
Cependant, une réaction semble se répéter, à savoir que le gouvernement écossais va plus loin sous la pression des syndicats et de la société civile. Depuis le lancement de la Commission, le STUC et ses alliés ont réitéré l’importance d’un dialogue constructif avec les travailleurs et les syndicats. Par exemple, Platform London s’est adressé à la JTC lors d’une de ses réunions ordinaires à la fin du printemps 2020. Au sujet de cette séance, le professeur Skea a déclaré à Equal Times : « L’un des messages que nous avons entendus est que les personnes qui travaillent pour l’industrie [du pétrole et du gaz] sont très désireuses de se diriger vers un monde où leur emploi est plus sûr. »
Afin de maintenir la pression sur la Commission, Platform, Greenpeace et FoES prévoient une série d’ateliers à travers le pays pour permettre aux « travailleurs du secteur de l’énergie de formuler des demandes politiques pour une transition qui leur soit favorable ».
Reste désormais à savoir si ces résultats guideront les conclusions de la JTC, mais lors d’un entretien avec Equal Times en septembre, le professeur Skea a déclaré que la Commission « les examinera avec beaucoup d’intérêt ».
En tant que signataire de la COP, c’est le gouvernement britannique qui soumettra ses CPDN au processus international de négociations sur le climat, et non l’Écosse. Cependant, la Climate Change Act (la Loi écossaise sur le changement climatique) est dans les faits un engagement de l’Écosse envers les objectifs du Royaume-Uni, et en l’occurrence, elle y a fait preuve de beaucoup plus d’ambition. L’amendement de 2019 du Royaume-Uni (axé sur son objectif de 2050) à sa loi de 2008 sur le changement climatique, par exemple, ne fait pas référence à la transition juste, contrairement à celle de l’Écosse, et ce, grâce aux efforts de pression des syndicats et de la société civile. Et alors que le Royaume-Uni s’est engagé à atteindre un niveau d’émissions net nul d’ici 2050, l’Écosse a fixé dans sa législation des objectifs de réduction des émissions de 70 % à l’horizon 2030 et de zéro émission nette en 2045.
BiFab : une opportunité manquée, marquée par un « échec politique »
L’Écosse a été grandement saluée pour les résultats obtenus jusqu’à présent, notamment pour le triplement de la production d’électricité renouvelable au cours de la dernière décennie. Jusqu’à présent toutefois, cette transition ne s’est pas accompagnée des emplois promis. Les données du Bureau des statistiques nationales montrent qu’en dépit des promesses initiales de 130.000 emplois à faible taux d’émission de carbone et dans le secteur des énergies renouvelables d’ici 2020, entre 2014 et 2018, en réalité, le nombre d’emplois verts a reculé de 23.400 à 23.100.
« En ce qui concerne la production d’électricité à partir d’énergie éolienne à terre, l’Écosse est parvenue à ses objectifs, mais les opportunités en matière de création d’emplois pour l’Écosse et la chaîne logistique du Royaume-Uni se sont avérées assez lamentables », déclare Dave Moxham, secrétaire général adjoint du STUC. M. Moxham, qui est également membre de la Commission pour une transition juste, déclare : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’un plan de transition qui permette de concilier le déclin de la production pétrolière en mer avec la croissance exponentielle prévue de l’éolien offshore ».
Les environnementalistes et les syndicats se sont ralliés aux entreprises écossaises dans leurs tentatives d’effectuer une transition verte, mais leurs attentes ne rencontrent pas toujours la volonté politique.
Un exemple est Burntisland Fabrications (ou BiFab), une entreprise basée dans la région de Fife, dont le cœur de métier était auparavant les superstructures des plates-formes pétrolières, mais qui fabrique désormais aussi des fondations (« jackets » en anglais) d’éoliennes offshore et qui s’occupe également du démantèlement de plates-formes pétrolières.
Le 21 octobre 2020, le gouvernement écossais a retiré une promesse de soutien financier de 30 millions de livres sterling à l’entreprise BiFab pour la fabrication de fondations d’éoliennes offshore, ce qui entraînera la perte de 450 emplois. Selon le gouvernement écossais, les règles de l’UE en matière d’aides d’État impliquent qu’elles ne peuvent garantir du travail pour une entreprise en particulier (selon des restrictions visant à garantir que les ressources gouvernementales ne sont pas utilisées pour fausser la concurrence entre les États membres, une question qui est devenue un point de friction majeur dans les négociations du Brexit). Les syndicats GMB et Unite unions exigent que le gouvernement rende public l’avis juridique sur lequel repose cette décision.
Le secrétaire de GMB Scotland, Gary Smith, et le secrétaire de Unite Scotland, Pat Rafferty, ont qualifié l’effondrement de BiFab « d’échec politique » et se sont exprimés dans une déclaration commune : « Il semble que les ministres du gouvernement écossais aient abandonné notre meilleure chance de développer le secteur de la construction d’éolienne offshore de manière sensée. Ce faisant, ils ont anéanti les espoirs des communautés de Fife et Lewis qui comptaient en profiter ». Fin octobre 2020, la Commission pour une transition juste,a écrit au gouvernement écossais pour qu’il fasse tout son possible afin de garantir l’avenir de BiFab.
Déjà menacés par une mise sous administration judiciaire fin 2017, des centaines de travailleurs de BiFab, soutenus par les syndicats Unite et GMB, avaient occupé trois sites et organisé une action de « work-in » avant de se rendre au Parlement écossais pour tenter de sauver quelque 1.400 emplois. En réponse à cette action, le gouvernement écossais a pris une participation dans BiFab ; mais les problèmes ont continué.
Les commandes se sont de nouveau taries en 2019, si bien que le Partenariat pour une transition juste et les mouvements sociaux associés se sont joints aux travailleurs pour d’autres manifestations, y compris devant le fournisseur d’énergie français EDF.
« EDF allait expédier l’ensemble des 54 fondations destinées à un parc éolien offshore (situé à seulement 24 km du site de BiFab) depuis l’Indonésie. », explique M. Stuart du STUC. Après la pression exercée par les écologistes et les syndicats, BiFab a obtenu un accord pour construire huit de ces 54 fondations. Mais cet accord s’est effondré le 21 octobre. L’avenir de l’entreprise est à nouveau entre les mains du gouvernement écossais. Les travailleurs et les communautés locales sont « absolument furieux » et ont le sentiment d’avoir été trahis.
De plus, un autre contrat, portant sur 84 fondations de turbines pour un projet de parc éolien offshore à quelques kilomètres à peine de deux autres sites de BiFab, a été remporté par une entreprise chinoise, ce qui a amené l’organisatrice de GMB Scotland, Hazel Nolan, à déclarer : « Le fait de ne récupérer que les miettes de notre propre secteur éolien offshore est déjà une situation suffisamment déplorable, mais lorsque des contrats de fabrication d’une valeur d’un milliard de livres sterling (1,1 milliard d’euros ou 1,29 milliard de dollars US) sont entièrement réalisés à l’étranger puis expédiés dans les eaux au large de l’Écosse, vous savez que toute perspective crédible de reprise économique verte passe à la trappe ».
Au Royaume-Uni, les syndicats veulent modifier le programme « Contracts for Difference », qui soutient la production d’énergie renouvelable, afin de garantir que la production locale est bien prise en compte. Les syndicats écossais connaissent la même bataille avec les énergies due Domaine Royal.
Crown Estate Scotland (« Domaine royal en Écosse »), une autorité dotée de compétences propres assurant la gestion des terres et mers publiques, délivrera des baux pour de nouveaux parcs éoliens offshore fin 2020 pour la première fois depuis plus de dix ans. Ceci donne une chance à l’Écosse de réaliser ses ambitions de transition juste en répondant aux recommandations du rapport du STUC intitulé Scotland’s renewable job crisis and Covid-19 (« La crise des emplois renouvelables en Écosse et la Covid-19 »), publié en juin 2020. Ce rapport décrit comment l’expansion de l’Écosse dans le secteur des énergies renouvelables n’a jusqu’à présent pas permis de créer de nouveaux emplois. Au lieu de cela, les multinationales ont tendance à dominer le secteur écossais des énergies renouvelables, en s’appuyant sur des chaînes logistiques qui reposent sur des emplois de piètre qualité, essentiellement à l’étranger.
Le STUC continue à faire pression sur le gouvernement écossais pour qu’il utilise les pouvoirs que lui confère le Domaine royal. Grâce aux réunions avec Roseanna Cunningham, secrétaire du Cabinet chargé de l’Environnement, du Changement climatique et de la Réforme agraire, les entreprises doivent désormais rédiger une déclaration sur la chaîne logistique précisant où les pièces et composants sont fabriqués. Francis Stuart affirme cependant que ces lignes directrices doivent être renforcées et appliquées afin de garantir que la plupart d’entre eux sont fabriqués en Écosse.
Réglementation stricte et propriété publique
Pour Mme Jeliazkov, de Platform London, l’enquête de septembre sur les travailleurs illustre les dangers auxquels sont confrontés les travailleurs offshore. « La récente annonce de BP concernant son intention de se tourner vers les énergies renouvelables est effrayante. La précarité, les mauvaises conditions de travail et les bas salaires suivront partout où BP ou Shell iront ». Selon elle, une réglementation plus stricte est la condition sine qua non pour améliorer la situation, l’idéal étant que la propriété soit publique, une exigence à laquelle se rallient le STUC et FoES.
Mme Jeliazkov soulève aussi une autre question de réglementation : « L’un des plus gros problèmes pour les travailleurs qui se lancent dans l’éolien offshore est de devoir recommencer les mêmes formations qu’ils ont suivies pour le pétrole offshore. Presque tous les travailleurs se demandent : “pourquoi devrais-je dépenser des milliers de livres sterling supplémentaires pour obtenir des certificats sur l’embarquement/le débarquement des bateaux ?” ». À ce sujet, M. Stuart du STUC déclare : « L’absence de conventions collectives sectorielles signifie que vous vous retrouvez avec des conditions et des exigences de formation différentes. Nous avons besoin d’une approche mieux planifiée et nous faisons campagne en faveur de plans sectoriels de transition juste ». Techniquement, la négociation sectorielle est une compétence contrôlée par le Royaume-Uni, mais Francis Stuart affirme que le gouvernement écossais peut faire preuve de créativité, par exemple en ne finançant que les entreprises qui reconnaissent les conventions de négociation syndicales.
Quant à la formation, le rapport « Offshore » a révélé que 81,7 % des travailleurs du secteur pétrolier et gazier de la mer du Nord ont déclaré qu’ils seraient prêts à envisager un emploi ailleurs que dans ces industries, mais que s’ils avaient la possibilité de se recycler, plus de la moitié d’entre eux seraient intéressés par les énergies renouvelables et l’éolien offshore.
Une autre recommandation du rapport intermédiaire de la JTC est que toutes les initiatives de formation annoncées par le gouvernement (par exemple le plan post-coronavirus de 100 millions de livres sterling pour les jeunes [110,55 millions d’euros ou 129,39 millions de dollars US], distinct du Fonds pour les emplois verts) devraient donner la priorité aux travaux à basse et à zéro émission de carbone.
Le partenariat pour une transition juste préconise également la création d’une entreprise énergétique publique, proposition que le gouvernement écossais a acceptée pour l’horizon 2021. Toutefois, « ils doivent faire preuve de plus d’ambition », estime Ryan Morrison, un activiste de FoES. « L’objectif est une entreprise de vente au détail et d’approvisionnement. Nous avons plutôt besoin d’une entreprise énergétique publique dotée d’une bonne capitalisation qui pourrait soutenir les projets d’éoliennes en mer et d’énergies renouvelables ainsi que les chaînes logistiques locales tout en réduisant les prix de l’énergie pour lutter contre les pénuries énergétiques de l’Écosse ».
Les syndicats et les écologistes ont précisé les détails qu’ils souhaiteraient voir apparaître en parallèle des changements principaux, allant des investissements publics au contrôle public en passant par la « re-réglementation ». En réaction, le professeur Skea déclare que la JTC ne souhaite pas produire des recommandations « superficielles » de haut niveau qui ne donnent aucune orientation. « Nous devons faire en sorte que les recommandations puissent être mises en œuvre, mais nous reconnaissons nos limites. Nous ne pouvons pas nous impliquer dans la complexité que représente la formulation de recommandations détaillées sur la manière dont des réglementations spécifiques peuvent être structurées. Cela soulève néanmoins la question de ce qui se passera après mars 2021 [lorsque le rapport final de la JTC sera publié] et cela dépendra beaucoup du nouveau gouvernement qui sera élu l’année prochaine après les élections [écossaises de mai 2021] ».
Ryan Morrison estime toutefois que ce mouvement charnière est l’occasion de faire preuve d’une grande ambition : « L’enjeu doit être une transformation industrielle massive, dans le cadre de laquelle le gouvernement aligne toutes les forces, tous les investissements et tous les pouvoirs dont il dispose pour faire avancer les choses ».
Vers une transition juste pour tout un chacun
Malgré les difficultés, l’Écosse a réalisé des progrès. « L’Écosse a étendu le concept de transition juste. Dans de nombreux pays, le débat consiste à déterminer comment se défaire du charbon. En l’occurrence, nous nous penchons plutôt sur des questions plus larges, telles que l’avenir du pétrole et du gaz, et sur l’aspect consommation de l’économie. Nous nous occupons de la modernisation des habitations, de l’investissement dans l’efficacité énergétique et de la fourniture de chaleur à faible taux d’émission de carbone pour les foyers », explique le professeur Skea.
Le Brexit est l’une des zones d’incertitude et représente « l’épine dans le pied » de la Commission. « De toute évidence, les implications du Brexit sont énormes », déclare Skea, « mais il s’apparente un peu au climat écossais et aux moustiques des Highlands [un petit insecte volant aux piqûres irritantes] : il est toujours présent en arrière-plan. Pour l’Écosse, une des grandes questions est de savoir comment les pouvoirs récupérés de Bruxelles seront redéployés et répartis entre les différentes parties du Royaume-Uni ».
Bien que l’ambition climatique du Royaume-Uni ait été saluée (il a été la première grande économie à signer l’accord de Paris), le gouffre entre l’Écosse et Westminster ne cesse de se creuser.
Le Brexit, outre le fait qu’il ravive les appels à l’indépendance de l’Écosse, est un projet soutenu par les Anglais, centré sur Londres et financé par des négateurs du changement climatique, ainsi que par ceux qui ont des intérêts dans les soins de santé privés et les fonds spéculatifs. Bien qu’il se revendique comme un « conservateur vert », le cabinet du Premier ministre britannique Boris Johnson est peuplé de négateurs du changement climatique, alors que pendant sa campagne pour la direction du parti, il a reçu un don de 25.000 livres sterling (27.635 euros ou 32.341 dollars US) de la part d’influents climatosceptiques. Étant donné que son gouvernement s’est montré si disposé à enfreindre le droit international sur la question du Brexit, certains signes de danger laissent penser que le Royaume-Uni, dirigé par Johnson, pourrait à l’avenir abandonner ses engagements en matière de changement climatique. Les incohérences de son approche peuvent être mises en évidence à la lumière de sa récente promesse de faire du Royaume-Uni un « leader mondial de l’énergie éolienne propre » à l’horizon 2030. Or, la même semaine, son gouvernement, alors qu’il en a le pouvoir, ne s’est pas opposé à une nouvelle mine de charbon profonde dans le comté de Cumbria, la première mine de ce type au Royaume-Uni depuis 30 ans.
Tous ces éléments mouvants au Royaume-Uni entraînent une grande incertitude pour l’Écosse, car son action en faveur du climat dépend de trois niveaux de compétences : l’UE, le Royaume-Uni et l’Écosse. Le gouvernement écossais, dirigé par le Parti national écossais, partisan de l’indépendance, a manifesté sa claire volonté de se démarquer de Westminster ; par exemple, dans sa gestion de l’épidemie de Covid-19.
Contrairement au Brexit, la pandémie a été au centre des travaux de la Commission, notamment de son rapport sur la Relance verte, publié en juillet 2020. Une recommandation qui y est formulée est que l’Écosse devrait dépenser les 500 millions de livres sterling (552,71 millions d’euros ou 646,82 millions de dollars US) qui ont été allouées aux transports publics, y compris l’achat de bus électriques pour la COP de Glasgow. Les règles en matière de concurrence signifient que la JTC ne peut pas émettre d’avis sur l’entreprise de construction de bus à retenir. Toutefois, Unite the Union a accueilli cette préconisation comme une bonne nouvelle potentielle pour les constructeurs de bus Alexander Dennis, basés à Falkirk, qui ont conclu un partenariat pour la construction de véhicules électriques avec BYD Europe, le leader de la mobilité verte aux Pays-Bas. L’entreprise a été contrainte de procéder à des licenciements en raison de la réduction soudaine de la demande provoquée par la crise sanitaire, mais l’obtention d’un contrat de construction de bus pour la COP pourrait lui permettre de redresser la barre.
Les investissements dans les bus électriques permettraient de soutenir des emplois depuis leur fabrication jusqu’à leur conduite. Ils pourraient encourager la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, car les transports constituent laprincipale partde l’empreinte carbone de l’Écosse. Les transports publics de qualité sont aussi le lieu où se rencontrent les justices sociale, environnementale et économique, selon Ellie Harrison. Elle est la présidente de Get Glasgow Moving (GGM), une campagne en faveur de transports publics décents dans la ville où moins de la moitié des ménages disposent d’une voiture,selon le dernier recensement.
« Les personnes à faibles revenus, les femmes, les jeunes et les personnes âgées dépendent de manière disproportionnée des transports publics et pâtissent du terrible système de transports publics de la ville. Le problème ne se limite pas à la nature fragmentée [du système de transport] ; le coût et le manque de fiabilité des services sont également en cause. La double peine infligée aux faibles revenus est vraiment apparente », explique Mme Harrison.
La campagne GGM se mobilise pour changer cela. Ses appels portent notamment sur la propriété et le contrôle publics comme moyen d’effectuer une transition juste des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, avec notamment une compagnie de bus publique pour le Grand Glasgow.
« S’ils dépensent 500 millions de livres sterling pour un parc d’autobus, ce dernier doit rester dans le giron du secteur public », explique Mme Harrison. « Depuis la décentralisation de compétences, l’Écosse gaspille l’argent public dans des sociétés de bus privées. Cela doit cesser. Nous devons disposer d’un contrôle complet pour mettre en place le système de transport public dont nous avons besoin afin de faire passer un grand nombre de personnes de la voiture aux transports publics avant 2030 ».
Visant plus loin, GGM, le Glasgow Trade Council et d’autres organisations, dont la Scottish Youth Climate Strike, ont formé une coalition appelée Free Our City (« Libérez notre ville ») pour réclamer la gratuité des transports publics, en se servant de la COP pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il joigne l’acte à la parole. La coalition constitue un microcosme de la façon dont la transition juste unit les luttes sociales et environnementales.
Selon Moxham, le STUC soutient la campagne GGM, décrivant la fabrication de bus, ainsi que les énergies renouvelables comme l’éolien offshore, comme emblématiques du travail décent. « Ces deux sujets vont droit au cœur de l’approche pour une transition juste. Avec un engagement pertinent de la part du gouvernement, avec l’adhésion des syndicats et des écologistes, ils attirent l’attention sur les domaines où il existe un potentiel. Si des entreprises comme Alexander Dennis ou BiFab n’existent plus dans cinq ans, c’est que vous avez échoué. Si toutes deux sont présentes dans la transition verte, alors nous sommes sur la voie de la réussite ».