Le Front national est arrivé en tête lors des élections européennes de 2014, obtenant près de 25 % des voix, passant de 3 à 24 représentants au Parlement européen. Depuis, le parti a changé de nom et une partie de ses députés l’a quitté, tout en continuant à siéger, comme Bruno Gollnish, Jean-Marie Le Pen ou Florian Philippot, qui a depuis créé son propre parti. Marine Le Pen a, de son côté, abandonné son mandat européen pour devenir députée de l’Assemblée nationale en 2017. Aujourd’hui, 15 députés du Rassemblement national, le nouveau nom du FN, siègent à Strasbourg au sein du groupe appelé « Europe des nations et des libertés ». Les élus italiens de la Ligue – le parti de Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur italien –, ceux du FPÖ autrichien, de l’Ukip britannique et du PVV néerlandais font également partie de ce groupe, ainsi qu’une poignée d’élus d’extrême droite belges, polonais ou encore un Allemand.
Pour le scrutin du 26 mai, le parti de Marine Le Pen est crédité par les sondages de plus de 20 % d’intentions de votes, à jeu égal avec LREM, et pourrait faire ainsi élire une vingtaine de députés. Ils rejoindront probablement la nouvelle alliance d’extrême droite en cours de constitution sous l’égide de la Ligue de Matteo Salvini, dénommé Alliance européenne des peuples et des nations (EAPN). Grâce à la montée de l’extrême droite quasiment partout en Europe, de l’AfD allemande au parti espagnol Vox, ce groupe pourrait compter 85 sièges, contre 37 aujourd’hui (sur 751 sièges, la sortie du Royaume Uni de l’UE ayant été reportée). Ce pôle des extrêmes droites deviendrait ainsi la quatrième force politique en Europe, après la droite conservatrice, les sociaux-démocrates et juste derrière le centre-droit néolibéral.
Secret des affaires : extrême droite et LREM, même combat
Que voteront cette vingtaine de députés français du Rassemblement national au Parlement européen ? Ils s’inscriront certainement dans la droite ligne de leurs prédécesseurs. Lors des campagnes électorales françaises, Marine Le Pen et son parti dénoncent les délocalisations, la finance, les lobbys, et se posent en défenseurs des travailleurs. Voilà pour les grands discours. L’historique des votes des eurodéputés FN-RN au Parlement européen raconte une toute autre histoire. Qu’il s’agisse d’améliorer la sécurité des travailleurs, d’égalité professionnelle ou de secret des affaires, les parlementaires frontistes ratent rarement une occasion de démontrer leur dédain total pour les travailleurs et leurs intérêts. Ils se montrent particulièrement actifs pour saborder les modestes efforts des parlementaires de Bruxelles et Strasbourg pour promouvoir une Europe plus sociale. Le bilan des élus frontistes au Parlement européen met en lumière le vrai visage économique et social de l’extrême-droite : le mépris pour les salariés, français et étrangers et blocage de l’égalité femme-homme.
L’un des votes qui a le plus été reproché aux eurodéputés frontistes est leur soutien à la directive « secret des affaires », adoptée par le Parlement européen au printemps 2016 malgré une campagne virulente de la société civile, des journalistes et des syndicats. Ce texte comporte des risques graves de régression en matière de droit à l’information et expose tous ceux qui s’intéresseraient de trop près aux activités des entreprises à des poursuites judiciaires. Les invectives répétées du FN-RN contre les lobbys et le manque de transparence des institutions européennes ne l’ont pas empêché de valider un texte en contradiction flagrante avec ces discours. La directive a pourtant été directement inspirée par des cabinets de lobbying au service de grandes multinationales, qui ont travaillé main dans la main avec la Commission.
Pourquoi les députés FN soutiennent-ils une telle mesure favorable aux multinationales, à leurs stratégies de contournement de l’impôt, à leurs pratiques néfastes en matière sociale ou environnementale ? Les révélations des Panama Papers, publiées dans la presse quelques jours avant le vote de la directive, ont probablement joué un rôle. Des proches de Marine Le Pen, comme Frédéric Chatillon – ancien militant du groupuscule néofasciste violent Gud – et l’expert-comptable Nicolas Crochet, y étaient mis en cause. Ils avaient recouru à des montages financiers « offshore » pour mettre à l’abri dans des paradis fiscaux des fonds provenant de leur société Riwal, principal prestataire du FN pour sa communication.
Et quand bien même ils dénoncent publiquement l’évasion fiscale des multinationales – du moins quand elles sont états-uniennes – les députés européens FN-RN ont refusé de voter en faveur d’une résolution du Parlement, adoptée en décembre 2015, sur la lutte contre l’évasion fiscale. Ce texte devait améliorer « la transparence, la coordination et la convergence des politiques en matière d’impôts sur les sociétés au sein de l’Union ». Explication de ce refus ? Cela risquait d’encourager une évolution vers une « union fiscale ».
Mettre fin au dumping social des travailleurs détachés : Abstention
En mai 2018, c’est contre l’égalité de traitement pour les travailleurs détachés que votent les élus d’extrême droite. La possibilité du « travail détaché » a été créée par une directive de 1996, quand l’Union européenne ne comptait que quinze pays. Grâce à elle, les entreprises peuvent faire venir des travailleurs d’un autre pays européen, tout en les employant aux conditions du pays d’origine. Concrètement, cela permet à un employeur en France d’embaucher à moindre frais, pendant une période limitée, des travailleurs venus de pays où le salaire minimum et les protections sociales sont bien plus faibles qu’en France.
Ce statut pousse à la fois au dumping social et à l’exploitation des travailleurs (lire notre article. 22 ans après les début du travail détaché, l’Europe légifère enfin pour imposer l’égalité de salaire entre travailleurs détachés et locaux). En mai 2018, le Parlement européen adopte ainsi un texte qui impose que les travailleurs détachés touchent le même salaire à poste équivalent que ceux du pays où se déroule la mission, y compris les primes prévues par les conventions collectives. Le texte ne met pas fin à l’exploitation des travailleurs en Europe, mais restreint la mise en concurrence des salariés français, belges, allemands avec des travailleurs polonais, bulgares, roumains employés auparavant pour bien moins chers, et littéralement exploités.
Qu’on fait les élus du FN-RN lors de ce vote, le 29 mai 2018 ? Ils se sont abstenus. Sauf l’un d’entre eux, Nicolas Bay, qui a voté pour, en expliquant ensuite s’être trompé et qu’il souhaitait en fait lui aussi s’abstenir. Au sein du groupe des élus d’extrême droite Europe des nations, seuls les députés du FPÖ autrichien ont voté pour cette égalité salariale entre locaux et « détachés ».
Face aux cancers professionnels qui frappent les ouvriers : Abstention
Le 11 décembre 2018, une résolution est soumise au vote des députés européens sur la protection des travailleurs face aux produits cancérigènes. C’est une question essentielle de santé au travail : 100 000 Européens meurent chaque année d’un cancer professionnel, en grande majorité des ouvriers. Le projet de résolution fixe des seuils d’exposition plus stricts et inclut de nouvelles substances dans la liste des produits considérés comme toxiques, comme les émissions de diesel. Encore une fois, tous les députés du Rassemblement national s’abstiennent. Les Italiens de la Ligue votent pour, les Autrichiens du FPÖ et les Polonais contre.
Déjà, en 2016, lors du vote de la résolution du Parlement européen suite aux décisions des multinationales Alstom et Caterpillar de fermer des sites de production en Belgique et à Belfort, les députés FN-RN ont rejeté une série d’amendements visant à renforcer les droits des salariés et de leurs représentants face aux restructurations et aux licenciements boursiers, et à les associer plus étroitement à la définition des stratégies des entreprises.
Toujours selon la même logique, les eurodéputés FN-RN « ont voté contre la proposition d’un registre commercial transparent et accessible de toutes les entreprises de l’Union ; contre, encore, la création d’une agence européenne du transport routier, chargée de faire appliquer correctement la législation de l’Union et de promouvoir la coopération entre tous les États membres sur ces questions », rappelait l’eurodéputée socialiste Pervenche Bérès dans un court livre édité par la Fondation Jean-Jaurès en 2017 (Son vrai visage. Témoignage sur le FN au Parlement européen, Fondation Jean Jaurès/Parlement européen,mars 2017). Pour le FN, visiblement, mieux vaut pas de solution qu’un début de solution européenne.
Accords de libre échange, un intérêt très limité
Le Parlement européen s’est aussi récemment prononcé sur un nouvel accord de libre échange avec Singapour. Le 13 février, ils votent contre, comme l’ensemble des élus français des groupes verts et de la gauche radicale, ainsi qu’une partie des socialistes. Les libéraux et la droite votent pour. Les élus du FN-RN semblent davantage s’intéresser à la question des accords commerciaux à l’approche du scrutin que lorsqu’il s’agissait de se mobiliser contre les traités de libre échange avec le Canada et les États-Unis. Le 28 mai 2015, la commission « Commerce international » – dont Marine Le Pen était membre titulaire – se prononce sur le projet d’accord de libre-échange transatlantique, ce fameux Tafta que la patronne du FN ne cesse de pourfendre dans ces discours. Mais ce jour-là, elle n’a pas jugé utile de faire le déplacement. Ni d’ailleurs son suppléant d’alors, Aymeric Chauprade. Bis repetita en janvier 2017, lorsque la commission Commerce international est saisie de l’accord de commerce entre Europe et Canada, le Ceta, qui contient les mêmes dispositions controversées que le Tafta. Marine Le Pen veut bien faire le déplacement pour voter contre le Ceta en plénière devant les caméras, mais pas quand il s’agit de mener les batailles concrètes en commission. Pendant ce temps, organisations non gouvernementales, mouvements sociaux et eurodéputés de gauche et écologistes se mobilisaient.
Émancipation des femmes : Le FN-RN vote contre
Les élus FN-RN s’intéressent plus aux mesures sur l’égalité femmes-hommes. Pour voter contre. En mars 2019, les députés européens se sont prononcés sur une résolution en faveur de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes dans l’UE. Dans les faits, il s’agit d’en finir avec les écarts de salaire injustifiés, à postes équivalents. Le texte incite la Commission européenne à agir contre ces discriminations salariales par le biais d’une directive, et demande la création d’un observatoire européen de la violence sexiste. La résolution est adoptée. Mais les élus du FN votent contre, sauf Louis Aliot, absent.
Le 4 avril 2019, le Parlement donne son feu vert à une directive sur l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Le texte définit des normes minimales pour protéger les parents dans toute l’Europe, inciter les pères à s’occuper de leur famille, aider les mères à pouvoir continuer à travailler, et donc renforcer l’égalité femmes-hommes. Les élus RN s’abstiennent ou votent contre. Une position qui résonne avec les discours des députés RN au Parlement européen pour la « famille traditionnelle ». Comme le défendait une intervention du député européen RN Gilles Lebreton dans l’hémicycle européen en 2016 – et pour une « politique nataliste » qui se veut surtout anti-immigration, comme le défend la députée RN Marie-Christine Arnautu, en prenant exemple sur les discours de Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, et de Matteo Salvini, en Italie.