Drones, caméras et téléphones portables : les armes des femmes Munduruku pour lutter contre les intrus sur leurs terres

, par Mongabay , CHAMPION Eva (trad.), MONCAU Joana

Dans l’Amazonie brésilienne, trois jeunes femmes de la tribu indigène des Munduruku ont créé un collectif audiovisuel qui utilise les réseaux sociaux pour sonner l’alerte en cas d’invasion illégale de leur territoire.

Fleuve Urubu, Amazonie
Crédits : Andre Deak via flickr (CCO)

Vu d’en haut, le petit village semble perdu au milieu de la forêt primaire amazonienne. Mais c’est bien là, sur le territoire indigène de Sawré Muybu, dans l’État brésilien du Pará, que trois femmes Munduruku regardent dans une hutte des vidéos, et plus précisément des images des actions menées par leur peuple pour défendre leur territoire contre les envahisseurs, notamment les bûcherons et les mineurs illégaux. Expulser ces intrus a toujours été risqué, mais cela l’est devenu encore plus sous la présidence de Jair Bolsonaro.

Pour faire face à ces menaces grandissantes, une caméra, un drone, des téléphones portables et les réseaux sociaux : telles sont les armes utilisées par Aldira Akai, 30 ans, Beka Saw Munduruku, 19 ans, et Rilcelia Akai, 23 ans. Ces femmes sont membres du collectif audiovisuel Daje Kapap Eypi Munduruku, dont le travail consiste à relayer les plaintes des indigènes au-delà des berges du fleuve Tapajós qui délimite leur territoire.

« [La vidéo] est un outil très important, qui soutient la lutte des Munduruku », déclare Aldira. « Beaucoup de gens ne croient plus ce qu’on leur dit, ils ne croient que ce qu’ils voient ».

Repórter Brasil a suivi ces jeunes femmes pendant une semaine sur le territoire indigène Sawré Muybu en novembre 2021, alors qu’elles produisaient des vidéos pour Facebook et Instagramqui ont permis d’alerter des activistes et des chefs d’États participant au sommet de la COP26 sur le climat. Ces images confirment ce que les données de plateformes comme Global Forest Watch (GFW) montrent déjà, à savoir l’importance de l’exploitation minière sur le territoire indigène, un acte contraire à la Constitution du Brésil. L’un des exemples les plus frappants de cette violation est le nombre de demandes d’exploitation minière sur les terres indigènes : il y a si peu de zones ne faisant pas l’objet d’une demande qu’on les distingue à peine sur la carte. La plateforme montre également comment les mines et d’autres menaces aboutissent à la déforestation du territoire.

Des menaces filmées

Le territoire des Munduruku est à la fois exploité par des mineurs illégaux, l’objet de convoitise de la part de grandes compagnies minières et la cible des bûcherons. L’une des missions du collectif est de filmer ces envahisseurs en pleine action. C’est ce qu’il s’est passé en juillet 2019, peu après l’entrée en fonction de Bolsonaro, quand Aldira s’est retrouvée face-à-face avec un groupe de bûcherons illégaux pour la première fois.

Alors qu’elle marchait dans la forêt, elle se souvient s’être demandé : « Comment vont-ils réagir ? « C’était la première fois que je me retrouvais dans cette situation avec une caméra. J’étais très anxieuse, j’avais peur. Mais j’ai pris mon courage à deux mains. »

Avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite après les élections de 2018, et la diffusion d’une rhétorique anti-indigène de la part même du gouvernement actuel, affronter directement les envahisseurs représente désormais un risque pour la sécurité. « Nous y allons, mais nous ne savons pas si nous allons revenir », déclare Rilcelia. « C’est très risqué pour nous. Ils ont la confiance car ils disent que Bolsonaro est de leur côté, et que nous ne sommes rien. »

Les images tournées par le collectif montrent une embarcation en train de brûler, celle utilisée par les bûcherons pour transporter le bois volé. C’est la seule chose que les indigènes ont réussi à détruire pendant cette opération de surveillance menée en 2019. « J’ai ressenti beaucoup de peur, mais nous l’avons quand même fait. Nous ne nous sommes battus avec personne ; on a toujours réussi à dialoguer car nous sommes dans notre bon droit », explique Aldira. Ils ont donné trois jours aux envahisseurs pour retirer leur équipement et leurs camions de la zone.

Dans la vidéo, on voit les guerriers Munduruku réunis en cercle pour célébrer leur victoire. En regardant cette vidéo deux ans plus tard, Beka explique toutefois que les bûcherons sont revenus dans cette même zone. « Tout le monde était content, mais le temps a passé et ils sont de nouveau là », dit-elle. « Ce ne sont pas les mêmes personnes, mais ils sont là. »

En 2020, 146 hectares ont été déboisé sur le territoire indigène de Sawré Muybu. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2004, alors que le niveau de déforestation était déjà de 105 hectares en 2019, mais seulement de 24 hectares en 2018. Des images satellite détaillées compilées par GFW montrent des routes coupant à travers la forêt, lesquelles ont probablement été ouvertes par des bûcherons pour transporter le bois volé, ou par des individus souhaitant accaparer les terres et éclaircir la forêt pour en faire des pâturages. « Ce que nous observons dans la municipalité voisine de Trairão, est une perte de forêt d’un niveau dramatique à cause de l’expansion du bétail, et on ne peut que constater que cela progresse en direction des frontières du territoire de Sawré Muybu », explique l’analyse de la GFW.

L’exploitation minière : un poison pour les rivières et les peuples

Outre le déboisement illégal, le territoire indigène de Sawré Muybu fait face à une autre menace constante : l’exploitation minière illégale. Le territoire se trouve entre les municipalités d’Itaituba et de Jacareacanga, deux lieux importants de l’extraction aurifère illégale et qui concentrent aussi de nombreux et fervents soutiens politiques de cette industrie, selon Repórter Brasil. L’impact de ces activités illégales n’est pas aussi grave que sur d’autres territoires Munduruku, comme le territoire indigène Munduruku voisin, où une enquête de l’Instituto Socioambiental (ISA) a montré une hausse de 363 % des zones dégradées par l’exploitation minière entre 2019 et 2020.

Mais le nombre de demandes d’exploitation pour installer des mines à ciel ouvert sur le territoire indigène Sawré Muybu ne laisse aucun doute quant aux risques à venir. L’analyse menée par GFW pour Repórter Brasil montre que « l’exploitation minière représente une immense menace pour la région », et que l’extraction minière illégale a déjà causé la déforestation, avec notamment l’éventuelle ouverture d’une piste d’atterrissage. Entre 2011 et 2020, Sawré Muybu était le territoire indigène recensant le plus grand nombre de demandes d’exploitation minière du pays : 97, selon Agência Pública.

Le mouvement de résistance, également filmé par le collectif, a permis de remporter des victoires comme celle de 2019. Suite à une campagne organisée par le peuple Munduruku avec le soutien d’organisations brésiliennes et internationales de défense des droits des indigènes, l’entreprise minière multinationale Anglo American s’est engagée à retirer 27 projets d’exploitation minière ayant été approuvés par l’Agence nationale des mines (ANM), mais qui se trouvaient sur des terres indigènes, et dont notamment 13 se trouvaient sur le territoire indigène Sawré Muybu.

L’une des difficultés rencontrées par les Munduruku dans leur lutte contre ces transgressions de leurs droits, est le fait que les mineurs illégaux sont soutenus par différents groupes au niveau du gouvernement fédéral, lesquels sont souvent soupçonnés de faire fuiter des informations sur les opérations de police menées contre l’exploitation minière illégale dans la région.

Outre la déforestation, les activités minières provoquent également la pollution des rivières locales, jusqu’à rendre l’eau trouble sur les berges d’Alter do Chão, dans la région du Tapajós inférieur. Même si la police fédérale a annoncé lancer une enquête pour déterminer si le changement était lié ou non à l’exploitation minière illégale, il est évident pour les Munduruku de Sawré Muybu que cela l’est. En effet, depuis plusieurs années, ils ne cessent d’alerter sur les répercussions nocives des activités minières sur les cours d’eau. SelonGreenpeace, l’exploitation minière illégale a déjà détruit plus de 600 kilomètres de rivières sur les terres des Munduruku au cours des cinq dernières années.

« Quand j’étais jeune, l’eau était différente, elle était verte. J’y pêchais souvent du poisson avec des flèches », explique Juarez Saw Munduruku, un chef indigène. « De nos jours, on ne voit plus le poisson au fond de l’eau, donc on ne peut plus tirer de flèche. Et plus les années passent, plus l’eau devient sale à cause des mines », explique-t-il dans une conversation avec les jeunes femmes du collectif vidéo.
Les mines responsables d’une contamination au mercure. Ce métal lourd, utilisé pour extraire l’or du minerai, finit dans les rivières etempoisonne la population Munduruku. « Des recherches ont montré que notre sang était plein de mercure. Et que le poisson que nous mangeons est contaminé », explique Juarez, en rapportant les recherches menées dans la région du Tapajós moyen par la fondation Oswaldo Cruz, l’un des plus grands centres de recherche en santé publique du Brésil. Selon cette étude, les habitants des trois villages du territoire indigène de Sawré Muybu ont des taux de mercure très élevés dans leurs corps, et ont ingéré ce métal lourd à des niveaux 18 fois supérieurs à la limite permise. Les 88 poissons testés dans l’étude contenaient tous du mercure.

Les défenseurs menacés

Toutes ces agressions socio-environnementales ont exacerbé les tensions sur les terres des Munduruku et accrules menaces portées contre leurs chefs. En mars 2021, le siège de l’association des femmes Munduruku Wakoborũn, à Jacareacanga, a été envahi et brûlé par un groupe de mineurs. En mai, la maison de la cheffe indigène Maria Leusa Kaba a aussi été incendiée. En juin, un bus sensé transporter les chefs Munduruku à une manifestation à Brasília a été attaqué. En novembre, juste après la COP26, quelqu’un a cambriolé la maison d’une autre cheffe Munduruku, Alessandra Korap.

Face à cette situation, les membres du collectif audiovisuel Munduruku sont convaincues du bien-fondé de leur travail. « Encourageons d’autres jeunes à faire ce travail après nous ; c’est un travail très important, un outil dont nous avons vraiment besoin en ce moment », déclare Aldira.

Juarez, le chef, ou le cacique comme l’appellent les peuples de l’Amazonie comme les Munduruku, a encore besoin de beaucoup d’aide pour faire face aux nombreuses menaces pesant sur la région. « Il est très difficile pour nous de mettre un terme à ces activités ; nous savons que nous souffrons tous et toutes de ces importantes destructions causées à l’Amazonie », déclare-t-il.

Le processus de délimitation officiel du territoire indigène étant à l’arrêt depuis plusieurs années, les habitants ont procédé à leur propre démarcation en 2015. C’est là que Beka a tourné sa première vidéo, elle avait tout juste 12 ans. « Ce gouvernement affirme qu’il ne limitera pas même un centimètre carré de cette terre », explique Juarez d’un ton indigné, rappelant l’une des plus terribles promesses de la campagne de Bolsonaro. « À cause de cela, les invasions progressent, conséquence directe de la rhétorique de Bolsonaro. Si ces grands projets avancent, [comme les barrages], nous perdrons notre terre. »

Entre 2019 et 2021, soit les trois premières années du gouvernement Bolsonaro, la déforestation des terres indigènes a augmenté de 138 %par rapport aux trois années précédentes. Selon le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI), un organisme de défense des indigènes mandaté par l’Église catholique, les invasions du territoire indigène pour exploiter les ressources naturelles ont plus que doublé entre 2018 et 2019, ce qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Bolsonaro. Avec 263 cas, ce nombre reste élevé en 2020. Funai, l’agence fédérale chargée des affaires indigènes, n’a pas souhaité répondre aux questions de Repórter Brasil sur les invasions et les lents progrès du processus de démarcation.

Alors que Juarez regarde sur son téléphone portable l’une des vidéos tournées par les jeunes femmes, il souligne l’important du collectif audiovisuel Munduruku : « C’est grâce à ce groupe que nos plaintes trouvent un écho hors de notre territoire », déclare-t-il. « La protection de notre territoire est entre leurs mains, les mains des jeunes, les mains des jeunes femmes. »

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Initialement publié le 15 mars 2022 sur le site de Mongabay, cet article a été traduit par Eva Champion, traductrice bénévole, pour ritimo.
Cet article est également disponible en anglais sur notre site