Droit à la terre : la résistance des peuples autochtones s’intensifie

Zoom d’actualité

, par CEDIDELP , GERGAUD Sophie

Depuis 1996, Via Campesina a déclaré le 17 avril la Journée internationale des luttes paysannes. Avec plus d’une centaine d’actions au niveau local ou national sur tous les continents, la Via Campesina réaffirme l’importance de la lutte locale. L’occasion de revenir ici sur quelques exemples emblématiques de conflits qui opposent trop souvent des populations autochtones à des exploitants convoitant les ressources naturelles de leurs territoires.

Partout dans le monde, la protection et la sauvegarde des ressources naturelles font partie des préoccupations des populations locales. Dans sa lettre ouverte aux nouveaux dirigeants malgaches, le Collectif pour la Défense des Terres Malgaches rappelle que "depuis 2008, avec l’effet cumulé des crises alimentaire, financière et énergétique ainsi que des changements climatiques, les terres sont devenues le refuge privilégié des investissements dans le monde. Cette ruée sur les terres implique toutes sortes d’acteurs : des Etats, des sociétés spécialisées dans différents secteurs, des banques et des fonds financiers divers". Ainsi, il est du devoir de tout citoyen de lutter contre des pratiques contribuant à la dilapidation des richesses et à l’appauvrissement des populations.

"Reject & Protect"
A Washington DC, le 26 avril 2013, la manifestation "Reject & Protect" contre le projet de pipeline Keystone XL a réuni des milliers de personnes, principalement des Amérindiens des Etats-Unis et du Canada, mais également des militants environnementaux et des paysans non-autochtones. Photo : Rae Louise Breaux
Rae Louise Breaux

Selon un rapport publié par l’ONG Global Witness, "Deadly environment, the dramatic rise in killings of environmental and land defenders", les conflits liés à l’environnement et aux droits du sol sont de plus en plus violents et ils concernent majoritairement des communautés autochtones. Entre 2002 et 2013, 908 activistes ont été tués dans 35 pays différents. Plus de 80 % des crimes comptabilisés dans ce rapport ont été perpétrés en Amérique du Sud.

L’exploitation des ressources naturelles

Les terres sont principalement convoitées pour l’exploitation :

 du pétrole. C’est le cas en Amazonie brésilienne avec Pétrobras, la compagnie d’État, qui selon Survival International, vient de commencer en toute illégalité ses activités d’exploration du côté de la rivière Tapauá, mettant en danger plusieurs tribus indiennes isolées. C’est également le cas au Pérou. Dans son film "The Real Avatar", David Suzuki montre à quel point la "ruée vers les ressources" de l’État péruvien peut être fatale pour les populations autochtones qui vivent dans et de la forêt. En effet, 72 % de la jungle a déjà fait l’objet d’un zonage uniquement pour faciliter l’exploitation pétrolière. Dans 10 ans, près de la moitié de la forêt tropicale péruvienne aura dépassé le stade du non-retour si la déforestation continue à ce rythme effréné.

 du gaz. Toujours au Pérou, la réserve de Nahua-Nanti est menacée par le développement du projet Camisea visant à exploiter le gaz naturel, ce qui risque d’affecter de manière mortelle au moins quatre des ethnies y vivant en isolement volontaire. Dans son article paru sur dans Ecoportal, Melissa Silva Franco note cette contradiction du gouvernement péruvien qui approuve un tel projet dévastateur précisément dans une réserve qu’il a créée dans le seul but de protéger les populations isolées...

 des mines. Selon le représentant de l’ONU pour les droits de l’homme en Colombie, Todd Howland, interviewé par Caracol.com, environ 40 peuples autochtones sont menacés de disparaître dans ce pays du fait de l’exploitation minière et de la violence des conflits territoriaux que ces méga-projets entrainent.

 du défrichage intensif. Au Cambodge, par exemple, les Kuoy luttent contre la société chinoise, Lan Feng, qui convoite leurs terres ancestrales pour y cultiver des hévéas, des acacias et de la canne à sucre.
Chan Sovet, responsable adjoint de l’enquête d’Adhoc (Cambodian Human Rights and Development Association) cité dans l’article "La minorité ethnique Kuoy lutte contre le défrichage de ses terres", accuse le gouvernement d’avoir accordé illégalement la concession foncière du territoire à la société chinoise, essayant ainsi de supprimer la culture et la tradition de la minorité ethnique de Kuoy.

 des barrages. Au Brésil, bien sûr, le cas du Belo Monte fait toujours grand bruit. L’article "Vies sans retour : quelques histoires derrière la construction du barrage de Belo Monte" raconte ces histoires de mort, de destruction et de déplacements forcés des familles qui ont dû abandonner leurs terres. Et, après Belo Monte, le bassin du rio Tapajós, l’un des principaux affluents de l’Amazone, est la nouvelle cible des constructeurs de grands barrages. Alors que les Indiens munduruku, l’une des principales tribus amazoniennes qui compte environ 13 000 membres, ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à s’opposer par la force, Olivier Petitjean raconte dans son article, paru sur l’Observatoire des multinationales, comment deux entreprises françaises se sont retrouvées au cœur d’un conflit de plus en plus tendu soutenu par l’armée.

Lors de tels accaparements de leurs terres ancestrales, les peuples autochtones sont bien souvent déplacés. Pour ceux qui restent sur place, la situation n’est pas toujours plus enviable, notamment dans le cas d’exploitation minière où ils sont les premières victimes des dégâts environnementaux engendrés par des entreprises peu soucieuses des normes sanitaires. Alors qu’un projet d’ouverture d’une nouvelle mine d’uranium plane sur l’Arizona (USA), menaçant de polluer les sources d’eau dont dépendent plusieurs dizaines de peuples amérindiens voisins, Democracy Now revient sur les dommages causés par l’exploitation effrénée et peu scrupuleuse qui a sévi sur ce territoire pendant une quarantaine d’années. De 1944 à 1986, 3,9 millions de tonnes de minerai d’uranium ont été extraits dans la région. Si l’exploitation s’est arrêtée, les compagnies minières n’ont jamais traité les déchets radioactifs, conduisant à une hausse de taux de cancer et d’autres troubles de santé.

Au cœur des conflits, et sans cesse remis en cause, on retrouve évidemment la propriété, le contrôle et l’usage de la terre, thématiques cruciales sur lesquelles reviennent les contributeurs de l’ouvrage "La terre est à nous. Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives". Fruit d’une année de travail pour rassembler une trentaine de contributions de chercheurs, militants, acteurs associatifs, animateurs de réseaux, ainsi que la contribution des Rapporteurs spéciaux des Nations Unies pour le droit au logement convenable et le droit à l’alimentation, ce nouveau numéro de la collection Passerelle, éditée par Ritimo, fait état de nombreux mouvements sociaux qui sont préoccupés par la question de la fonction sociale du foncier dans le monde entier et cherchent de nouvelles formes de relation à la terre, différentes de la propriété, loin du droit d’abuser, de spéculer et d’exclure les autres [1].

De la délimitation des terres au droit à l’auto-détermination des peuples autochtones

Une solution peut être la délimitation des terres autochtones. Plusieurs processus de démarcation ont par exemple été mis en place au Brésil sous la présidence de Lula. Mais aujourd’hui, le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff favorise davantage l’agrobusiness et les grands propriétaires terriens aux dépens des populations amérindiennes. Ainsi, depuis 4 ans, les Tupinambá attendent toujours que la directive de démarcation soit signée, tandis que des crimes sont commis par des hommes politiques et des latifundistes de la région, avec l’appui des médias locaux, divulguant des faits erronés sur le processus de régularisation territoriale et incitant à la violence et aux préjugés. Le site Terre autochtone tupinambá revient sur ces années de combat.

Ainsi, nombre de peuples autochtones voient leurs droits à la terre bafoués tandis que les richesses naturelles de leur territoire se trouvent sur-exploités sans qu’ils aient donné leur consentement libre, préalable et informé conformément au droit international reconnu par la Convention 169 de l’OIT de 1989 et par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. Qu’ils s’opposent à tout développement ou qu’ils souhaitent au contraire favoriser l’exploitation pour bénéficier de retombées financières, comme c’est le cas des Kawacatoose du Saskatchewan qui sont devenus la première tribu canadienne à obtenir le contrôle intégral des royalties tirées des richesses naturelles de leur territoire, les peuples autochtones tiennent avant tout à ce que ce droit international au consentement libre, préalable et informé soit respecté. Ce qui est encore trop rarement le cas.

Cependant, l’article "Les Amérindiens, premières victimes dans les luttes pour l’environnement", montre bien que s’il y a de plus en plus d’affrontements, c’est que les autochtones ont pris conscience de leurs droits et revendiquent plus facilement leur territoire qu’auparavant face aux grands propriétaires terriens et aux grandes entreprises internationales.

A travers tout le Canada, les Premières Nations prennent de plus en plus conscience du poids économique qu’elles représentent. Le développement exponentiel de l’exploitation des sables bitumineux menace toutes les populations de l’Ouest canadien qui s’opposent férocement au passage de pipelines sur leurs territoires. L’article de Jeremy van Loon, "Native Canadians demand stake in energy superpower play", donne un bon aperçu d’un relatif changement de rapport de forces, les autochtones du pays maitrisant de mieux en mieux les enjeux et leur marge de manœuvre.
Au Canada, le mouvement Idle no more, né spontanément en décembre 2012 et ayant, depuis, essaimé à travers tout le pays, est une véritable mobilisation sociale et environnementale qui a su réunir les Amérindiens et les non-Amérindiens qui se sont tous autant senti concernés par les graves attaques environnementales portées par le gouvernement conservateur Harper.

Plus récemment, à Washington, « cowboys et Indiens » se sont unis pour une même cause : signifier à l’administration Obama leur opposition au projet d’oléoduc Keystone XL qui, sur une distance de 2700 km, transportera le pétrole bitumineux du Canada aux États-Unis. L’événement "Respect and Protect", qui a commencé le 22 avril pour la Journée internationale de la Terre, doit s’étaler sur six jours. Indiancountrytoday.com indique que des milliers de personnes sont attendues pour manifester le 26 avril dans la capitale et en particulier devant la Maison Blanche. D’après l’article de LaPresse‧ca, cet événement vise à dire au monde que, peu importe ce que le président décidera, "il y aura encore des poches de résistance à l’oléoduc parmi les communautés autochtones et agricoles qui se trouvent sur son tracé".

Crystal Lameman, jeune militante à Sierra Club et originaire de la nation crie de Beaver Lake en Alberta, interviewée par CBC, a déclaré : "Nous avons toutes les plus grandes entreprises pétrolières du monde sur notre territoire de chasse traditionnelle, mais nous souhaitons dire à Obama que les peuples des Premières Nations du Canada ont le pouvoir constitutionnel de protéger leurs terres et d’arrêter ces pipelines."