Deux idées reçues sur la laïcité

, par Agenda de la Solidarité Internationale

« L’individualisation de la religion est un résultat du processus de laïcisation, qui a visé explicitement à faire de la religion un choix personnel, et non un élément du lien politique et social. » Jean Baubérot, Les Laïcités dans le monde.

Idée n°1 : En France, la laïcité est un frein à la liberté de religion 

La laïcité renvoie à la séparation de l’État et des cultes, organisée par Aristide Briand et Jean Jaurès en 1905. La loi de 1905 s’est construite dans le refus d’une laïcité antireligieuse. Elle fonde la liberté de religion, qui désigne la liberté de conscience mais aussi l’expression libre de ses convictions religieuses et de culte. Il s’agit d’une loi de séparation de l’État et des cultes, et non d’éradication du fait religieux : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. » (article 1).

« Coexist », inscription murale, Prague. Photo Faustus 909 cc by-nc-nd

La laïcité, c’est aussi une manière de vivre ensemble reposant sur la liberté et l’égalité. En 1882, l’enseignement primaire public gratuit devient laïc. Chacun reçoit donc le même enseignement et peut construire ses propres opinions, penser librement, mais toujours dans le respect d’autrui et de la loi. L’article 1 de la loi de 1905 affirme ainsi la liberté « sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public ».

Depuis des années, comme si la laïcité était menacée (ce que contredit l’Observatoire national de la laïcité), une forte pression législative s’exerce : de nouvelles lois ont été promulguées… et les propositions de lois se multiplient, au risque de tensions nouvelles et de fragmentation sociale.

Sous couvert de « défendre la laïcité », l’islam est désigné comme une menace pour la société. Les lois sur le voile ont conduit à diverses exclusions de personnes dans le monde du travail ou de l’école et orchestré des débats récurrents, comme par exemple celui sur les menus de substitution dans les cantines. Or, le droit de manifester ses croyances fait partie de la liberté de religion, et les limitations à l’exercice de ce droit ne sont possibles que s’il y a atteinte à l’ordre public ou aux droits et libertés des autres personnes.
Un discours répétitif sur des valeurs laïques, dont l’effectivité est mal assurée, détourne la laïcité et renvoie à un conflit avec le religieux. C’est pourquoi il est urgent de revenir sur les principes fondateurs de la laïcité, qui garantit « la liberté de croire ou de ne pas croire » et reste la garante du vivre-ensemble.

Idée n°2 : La liberté d’expression religieuse ne s’exerce, en France, que dans l’espace privé ou intime

La séparation de l’État et des religions pourrait laisser penser que toute expression religieuse serait bannie de l’espace public. Mais en réalité, il est impossible de s’en tenir à l’idée de deux espaces opposés, l’espace public peut être celui de l’État, mais c’est aussi celui du débat public, de l’agora. Si par ailleurs, par la laïcité, l’État affirme « son indépendance et sa neutralité à l’égard des institutions religieuses » et ainsi que « la religion relève de la sphère privée », la liberté religieuse « implique une certaine extériorisation, qu’il s’agisse de l’exercice du culte ou tout simplement de l’expression – individuelle ou collective – d’une croyance religieuse » (d’après les « Dossiers thématiques : l’état du droit » du Conseil d’État, novembre 2014).
La séparation des cultes et de l’État permet à toutes les religions de coexister, sans en privilégier aucune, et « ne doit pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute manifestation de conviction religieuse ». Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne estime d’ailleurs que certaines formes d’atteinte à la manifestation de la religion en public peuvent constituer une persécution en raison de la religion. Et donc que la liberté de manifester sa religion doit être la règle, et ses limitations, l’exception.

Nous vivons dans une société multiculturelle où les individus, aux identités multiples, sont attachés à différentes communautés. Cette réalité du pluralisme culturel et religieux n’est en rien incompatible avec la laïcité ; celle-ci est même ce qui rend possible le pluralisme de valeurs, puisque la laïcité crée les conditions de la neutralité de l’État, sans pour autant neutraliser la société. Elle est une des valeurs fondatrices de notre République. Fidèle à la loi de 1905, la République assure la liberté de conscience, et donc la possibilité d’exprimer toutes les convictions, religieuses ou non, en privé ou en public, la seule réserve étant qu’elles ne mettent pas en cause l’ordre public et n’incitent pas au mépris ou à la haine. La loi garantit également le libre exercice des cultes en privé et en public. Ainsi, « La séparation des Églises et de l’État », selon l’intitulé de la loi, est assurée ; « l’Église chez elle » hors de l’État, mais entièrement libre, comme les autres acteurs et avec les mêmes contraintes au sein de la société civile.

Que peut-on faire ?

 Relire les textes pour communiquer sur l’esprit de la loi de 1905, afin de ne pas détourner la notion de laïcité en en faisant un outil d’exclusion
www.conseil-etat.fr

 Lutter contre les détournements, notamment ceux qui utilisent la laïcité pour stigmatiser la religion musulmane, et plus globalement contre l’islamophobie
www.islamophobie.net
www.crifrance.com

 Se renseigner sur les autres conceptions de la laïcité dans le monde.