Depuis plusieurs années, en lien avec de nombreux mouvements citoyens, les organisations du commerce équitable se placent en observatrices du comportement sociétal et environnemental des multinationales et de la complaisance des politiques en leur faveur. Elles dénoncent les abus sociétaux, économiques et environnementaux. La course aux délocalisations et à la sous-traitance informelle permet toutes formes d’abus et d’échapper à la justice.
Des alertes aux dysfonctionnements économiques ou politiques
L’opinion publique avait été largement choquée par le drame du Rana Plaza, en 2013, au Bangladesh - où plus d’un millier d’ouvrier·ères avaient trouvé la mort. Dans les décombres de l’usine, on avait trouvé des étiquettes prouvant que la plupart des grandes marques occidentales du textile faisaient travailler des milliers de personnes dans des usines insalubres avec des salaires de misère, sans le moindre contrôle. Plusieurs associations (Collectif Éthique sur l’étiquette, Oxfam-Magasins du Monde…) s’étaient associées pour dénoncer ce scandale et trouver des solutions juridiques permettant d’indemniser les victimes et d’organiser des contrôles sur les sites industriels.
Force est de constater que des dysfonctionnements existent encore et engendrent un fossé croissant entre plus riches et plus pauvres. Pour dénoncer cette situation, il faut rassembler et analyser des éléments irréfutables témoignant des comportements injustes des multinationales envers leurs fournisseur·ses ou sous-titraitant·es. C’est ainsi qu’Oxfam International a travaillé à établir un corpus de preuves sur la souffrance au travail des ouvrier·ères dans les exploitations agricoles des pays du Sud (fruits exotiques au Brésil, thé en Inde…), qui fournissent les supermarchés occidentaux. L’absence de revenu vital, les violations des droits humains, le travail forcé, le travail des enfants… sont récurrents. Oxfam International interpelle donc les responsables des supermarchés pour qu’ils et elles mettent des affichages indiquant clairement la provenance des denrées mises en vente. Cette transparence permet d’alerter les syndicats et toutes les structures qui peuvent intervenir pour améliorer la situation.
De même, de nombreuses organisations de commerce équitable font des enquêtes sur la notion de revenu décent. Comment peut-on l’évaluer selon les régions, les activités et les législations locales afin de dénoncer les dérives de la sous-rémunération des travailleur·ses les plus précaires ? Le paiement d’un prix équitable aux travailleur·ses, aux producteur·rices et aux artisan·es est un principe fondamental du commerce équitable.
Des bureaux d’études et des expertises
Des bureaux d’études indépendants réalisent des rapports détaillés, fondés sur des expertises de chercheur·ses, des enquêtes de terrain, des compilations de documents et des témoignages. À partir de ces informations solides, il est possible de préparer et mener des campagnes de plaidoyer qui pointent les arguments essentiels pour un large public. Le BASIC (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) a réalisé un rapport sur le chocolat [1] qui analyse les coûts cachés de cette filière particulièrement inégalitaire. On peut citer aussi cette étude sur les fabricant·es d’articles de sport qui paient des salaires indignes aux ouvrier·ères, à l’autre bout de la planète, alors que des sommes gigantesques et disproportionnées sont octroyées au sponsoring des joueur·ses et des fédérations. Afin de donner plus de poids à leurs arguments, des campagnes [2] ont été lancées à l’occasion de l’Euro 2016.
Des impacts pour évoluer
Ce travail de plaidoyer et de pétitions, sur tous les continents, amène les entreprises et les politiques à réagir et la question de leurs responsabilités sociales et environnementales est prise en compte. En 2017, la France a promulgué – c’était le premier pays à le faire - une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises sous-traitantes [3]. Il s’agit d’une obligation légale pour les entreprises - de plus de 5 000 salarié·es en France ou 10 000 à l’international - d’établir, chaque année, un plan de vigilance consultable publiquement. Ce plan doit mentionner la liste de toutes les filiales, organismes sous-traitants et fournisseurs... et estimer les dommages que les activités des entreprises pourraient faire peser, tout au long de la chaîne de valeur, sur les droits humains et l’environnement. Après deux années d’application, on constate de nettes insuffisances mais le fait de devoir rendre publiques ces informations constitue tout de même une avancée majeure.
L’ONU voudrait également élaborer un traité juridiquement contraignant pour les sociétés transnationales. C’est un espoir pour des millions de travailleur·ses et pour limiter les dommages environnementaux.
Des dialogues, des propositions
Les organisations de commerce équitable ne se contentent pas de dénoncer, elles émettent des solutions destinées aux responsables économiques et politiques. Pour porter toutes ces revendications et inciter à des changements de comportement, le mouvement équitable a créé Fairtrade Advocacy Office, une structure agissant au niveau européen et basée à Bruxelles, qui est en contact constant avec les dirigeant·es des différentes commissions de l’Union européenne et les parlementaires.
Dans un souci de dialogue et pour favoriser de nouvelles collaborations lors des élections européennes, en mai 2019, le mouvement équitable a lancé une campagne #VOTEZEQUITE ! à destination des candidat·es. C’était une occasion formidable pour demander aux futur·es élu·es de prendre en compte les objectifs du commerce équitable dans le cadre des politiques européennes. 500 candidat·es européen·nes ont signé le manifeste pour un commerce équitable. Cette campagne contenait cinq propositions concrètes :
- Pour une réforme européenne du droit de la concurrence
- Pour que les droits humains et l’environnement priment sur les intérêts privés
- Pour un nouveau pacte agricole et alimentaire européen
- Pour une Europe qui favorise une citoyenneté mondiale, solidaire et écologique
- Pour une Europe qui investit dans des programmes d’éducation au commerce équitable.
Le temps des élections est toujours un moment propice pour faire passer des messages et obtenir des promesses d’initiatives. Cependant, les échanges avec les député·es français·es et européen·nes se poursuivent au-delà de la campagne électorale.
Concilier les ODD et les accords du traité de Paris sur le climat, avec les politiques commerciales agressives et les traités commerciaux de libre échange est un vaste et complexe chantier mais qu’il faudra bien assumer. Les politiques européennes devraient mettre en place un climat favorable pour une telle mission.