Zimbabwe : Quel bilan après trente ans d’indépendance ?

Des personnalités politiques

, par CRIDEV

Robert Mugabe : du héros libérateur au président dictateur

Né en 1924, Robert Mugabe a reçu une éducation jésuite, jusqu’à son intégration à l’université de Fort Hare en Afrique du Sud.
Lorsqu’en 1965, Ian Smith déclare l’indépendance de la Rhodésie du Sud face à la domination britannique, Robert Mugabe s’engage dans la lutte pour l’indépendance, selon une doctrine dérivée du marxisme. La guérilla civile menée par la ZANU aux côtés de la ZAPU, lui coûte dix ans d’emprisonnement arbitraire. Au terme de sa peine, il fuit vers le Mozambique où les deux partis nationalistes continuent la lutte contre le régime raciste rhodésien.

Signataire des Accords de Lancaster House en 1979, son accession au pouvoir est légitimée.
Le 18 avril 1980, à la proclamation de l’indépendance, Robert Mugabe est acclamé père de la nation. Comme bon nombre de leaders africains dans la lutte pour l’indépendance, il devient chef de l’Etat. Rompant avec le régime colonial raciste et dictatorial, Robert Mugabe instaure le multipartisme en intégrant Joshua Nkomo, chef de la ZAPU, dans son cabinet. Dés 1982 le pouvoir montre des signes d’autorité accusant la ZAPU de projeter un coup d’état, et Robert Mugabe éjecte Joshua Nkomo du gouvernement.

C’est le début d’une guerre civile de cinq ans, le gouvernement poursuit des milliers de civils accusés de trahison, dans la province du Matabeleland, fief de la ZAPU. Dès lors le Zimbabwe devient un pays à parti unique, sous un régime autoritaire.
La crise économique, la gestion foncière et la pénurie alimentaire qui touchent le pays au début des années 2000, entraînent la montée de l’opposition au régime.

Le régime de Mugabe tourne à la dictature : tout journaliste d’opposition critiquant ouvertement le président et son gouvernement est susceptible d’être intimidé, arrêté voire torturé pour “divulgation de mauvaises informations”. L’opposition est brutalisée : tortures, emprisonnement, censure, privation de nourriture. Robert Mugabe bénéficie d’un soutien important dans les campagnes, ce qui s’explique par la pression alimentaire : la nourriture est, en effet, utilisée comme arme politique.
Dès 2000, tous les scrutins électoraux sont manipulés et se déroulent dans un climat de violence : en 2002, Robert Mugabe est réelu président, dans des conditions frauduleuses. Le chef d’Etat a su mettre en place un régime “néopatrimonial” et placer des hommes fidèles dans les postes stratégiques de l’administration, l’armée et la police. Ce n’est qu’à partir des élections législatives de 2008 et la large victoire du MDC qu’il doit partager le pouvoir avec le parti d’opposition.

Le 22 avril 2010, Robert Mugabe et le président iranien Mahmoud Ahmadinejad se sont apportés officiellement un soutien mutuel contre les puissances occidentales qu’ils qualifient de “sataniques” et “colonialistes” sur la question du nucléaire. Le père de la nation est devenu dictateur. A 86 ans, il se dit candidat à la présidentielle de 2011, si le parti ZANU l’accepte.

Morgan Tsvangirai : du syndicaliste au chef de gouvernement

Né en 1952 à l’Est du Zimbabwe, Morgan Tsvangirai quitte très rapidement le milieu scolaire pour exercer la profession de mineur. Contrairement à Robert Mugabe, il n’est pas engagé dans la lutte contre le régime raciste rhodésien, ce qui est largement utilisé par le président pour délégitimer son adversaire. L’engagement de Morgan Tsvangirai est alors syndical et en 1988, il devient secrétaire général du Congrès des syndicalistes zimbabwéens.

En 1998, le gouvernement veut augmenter les impôts afin d’instaurer une retraite pour les « vétérans » de la lutte pour l’indépendance ; face à cette mesure, Morgan Tsvangirai coordonne une série de grèves, c’est le point de départ de son engagement politique.
L’année suivante, il fonde un parti d’opposition : le MDC (Movment for Democratic Change). En 2000, une première victoire s’incarne dans la majorité du non, largement défendu par Tsvangirai, lors du référendum organisé par le gouvernement pour une nouvelle constitution. La même année, le MDC remporte la quasi-moitié des sièges au parlement. En parallèle, les différentes tendances existant au sein du MDC entraînent une scission du parti ; il perdra les élections législatives de 2005 face au parti ZANU et en ressortira davantage affaibli et divisé.

Les partisans de Morgan Tsvangirai sont, dès l’année 2000, victimes de brutalités : intimidations, tortures, arrestations arbitraires, voire assassinats (selon le MDC, 200 membres auraient été exécutés depuis 1999). En février 2003, Morgan Tsvangirai et deux autres membres du MDC sont accusés de trahison et de tentative de coup d’Etat pour avoir organisé des émeutes de la faim en janvier 2003 et avoir appelé à la grève générale le mois de juin suivant ; il est finalement acquitté. Lors de son nouveau jugement pour avoir organisé une coalition « Save Zimbabwe Campaign » contre l’interdiction des rassemblements publics en mars 2007, Morgan Tsvangirai comparait avec des signes de tabassage subi lors de son incarcération.

En mars 2008, l’opposition emporte les élections législatives avec une large majorité. Avec 47,9% des voix au premier tour de la présidentielle de mai, Morgan Tsvangirai est pressenti vainqueur. Robert Mugabe, s’obstinant à briguer un 6ème mandat, lance une campagne d’intimidation contre Tsvangirai et ses proches, contraignant le leader du MDC à se retirer au second tour. Au terme de longs mois de contestations et de lutte politique, Mugabe est contraint de travailler avec l’opposition : un accord de partage du pouvoir est signé en janvier 2009. Le 11 février, Morgan Tsvangirai est premier ministre du Zimbabwe.

Cette désignation rétablit la confiance de la communauté internationale dans le Zimbabwe : en avril 2010, il demande aux Etats-unis, à l’Union Européenne, à l’Australie et au Canada de lever les sanctions imposées depuis 2002 à son pays. Les quinze pays de la SADC expriment officiellement leur soutien à la requête du premier ministre zimbabwéen.

Depuis le début de son mandat, M Tsvangirai a oeuvré pour des améliorations notables : réouverture d’écoles et d’hôpitaux, abolition du dollar zimbabwéen, levée des restrictions sur les médias étrangers (CNN, BBC, Daily News). Il tente également d’adopter une nouvelle constitution, garantissant élections libres et institutions démocratiques. Cependant, Morgan Tsvangirai a toujours des difficultés à s’imposer face à Robert Mugabe, qui garde le contrôle de l’administration, la police et l’armée.

Dans le domaine des droits humains, l’organisation HRW (Human Rights Watch) dénonce la poursuite des exactions contre les partisans du MDC, la censure des médias de l’opposition zimbabwéenne mais également la poursuite des expropriations de fermiers blancs. Les espoirs placés dans cette coalition étaient probablement trop forts, face à un camp présidentiel borné et autoritaire.