L’Afrique des Grands Lacs sort-elle de la tourmente ?

Des déstabilisations en chaîne

, par Forum Réfugiés

On peut dater le début de la déstabilisation de la région au 1er octobre 1990, date à laquelle le FPR attaque le Rwanda à partir de l’Ouganda. La communauté internationale réagit en encourageant des négociations aboutissant aux accords de paix d’Arusha (Tanzanie, août 1993) signés entre le gouvernement rwandais et le FPR. Ces accords prévoient la mise en place de la Mission d’assistance des Nations Unies au Rwanda (MINUAR) chargée de surveiller le cessez-le-feu, de contrôler le rapatriement des réfugiés et la réinstallation des déplacés, et de démilitariser la capitale rwandaise, Kigali.

Autre fait lourd de conséquences, le président du Burundi, Ndadaye, élu en juin 1993, est assassiné quatre mois plus tard par des militaires tutsis : le pays plonge dans une guerre civile qui durera dix ans.

La crise rwandaise et ses implications sur la région

Le 6 avril 1994, l’avion transportant les présidents rwandais Habyarimana et burundais Ntaryamira (deuxième président burundais hutu assassiné en l’espace de six mois) est abattu : les deux pays basculent dans une crise sans précédent.

Au Rwanda, l’attentat est immédiatement suivi de la reprise de la guerre civile entre FPR et Forces Armées Rwandaises (FAR), du massacre des opposants hutus (à commencer par celui du Premier ministre de transition Agathe Uwilingiyimana) par les durs du régime en place, et par l’élimination systématique et planifiée des Tutsis – c’est-à-dire un génocide, commis par des miliciens (principalement les Interahamwe) avec la participation de nombreux militaires et civils. L’assassinat de dix soldats belges provoque le retrait du contingent belge de la MINUAR. Déclenchée en juin, l’opération militaro-humanitaire Turquoise mise en œuvre sous mandat onusien par la France, étroitement liée au régime Habyarimana (voir fiche Rwanda : relation France-Rwanda), est trop tardive pour modifier le cours de choses : des centaines de milliers de personnes ont déjà été tuées, et le FPR, appuyé par les Etats-Unis (« Leur position par rapport au nouveau régime rwandais est comparable à celle de la France par rapport à l’ancien pouvoir » : REYNTJENS Filip, La Guerre des Grands Lacs : alliances mouvantes et conflits extraterritoriaux en Afrique centrale, Paris : L’Harmattan, 1999, p. 89), s’apprête à remporter la guerre. Quand les combats cessent, entre 800.000 et un million de Rwandais – essentiellement tutsis – ont été exterminés. La victoire militaire du FPR et sa conquête du pouvoir, en juillet 1994, entraîne l’exil de deux millions de Hutus dans les pays limitrophes, principalement dans la région zaïroise du Kivu, déjà densément peuplée et agitée par des conflits communautaires.

Dans les camps de réfugiés, situés au Kivu, à proximité de la frontière, de nombreux éléments armés ont réussi à se maintenir. Ils servent de base au projet de reconquête du pouvoir des représentants civils et militaires du régime vaincu.

Le Haut commissariat aux réfugiés ne peut empêcher les incursions d’éléments armés au Rwanda, avec l’appui de l’armée zaïroise de Mobutu, qui voit là l’occasion de sortir de l’isolement. Parallèlement, la tension croît au Sud-Kivu entre le pouvoir zaïrois et la communauté Banyamulenge, qui se voit menacée dans son existence et sollicite l’appui du nouveau régime rwandais à l’effort de guerre duquel elle a contribué.
Mettant en avant la sécurité de sa frontière et la question des Banyamulenge, le Rwanda, soutenu par l’Ouganda et le Burundi, font pénétrer en novembre 1996 leurs forces armées sur le territoire zaïrois. Rapidement dispersés les habitants des camps rentrent massivement au Rwanda, tandis qu’un groupe estimé à 300.000 personnes (civils, mais aussi militaires et miliciens) se disperse en fuyant à l’intérieur du Zaïre. L’APR les poursuit : on estime à 200.000 le nombre de personnes massacrées, sans que la communauté internationale, divisée, n’intervienne.

Au Congo-Zaïre : la fin de l’ère Mobutu

Créée en octobre 1996, l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Kinshasa (AFDL) regroupe quatre partis ou factions armées ; son porte-parole, Laurent-Désiré Kabila, ex-opposant à Mobutu dans les années 60-70, s’impose au premier plan. L’AFDL pénètre à Kinshasa le 17 mai 1997, appuyée par la coalition, recrutant dans sa progression des milliers de partisans dont un grand nombre d’enfants-soldats. Mobutu s’exile au Maroc où il mourra quatre mois plus tard, et Kabila s’autoproclame président de la République démocratique du Congo. Kabila met en place un nouveau régime autoritaire ; il s’émancipe progressivement de la tutelle de ses alliés suscitant des frustrations allant au-delà du camp mobutiste. Ses relations avec l’Ouganda et le Rwanda se tendent de plus en plus. Fin juillet 1998, Kabila renvoie les conseillers politiques et militaires rwandais et ougandais. Le 2 août, Kigali et Kampala déclenchent une nouvelle guerre.

L’embrasement régional

Cet acte de belligérance et la création d’une nouvelle rébellion, le Rassemblement des Congolais pour la Démocratie (RCD), marquent le début d’un embrasement à vaste échelle. Qualifié de « première guerre continentale africaine », le conflit laisse bientôt apparaître les enjeux d’accès aux importantes ressources naturelles du Congo. Les dissensions entre alliés rwandais et ougandais s’accompagnent de la scission du RCD, tandis que l’Ouganda appuie la création d’une nouvelle rébellion au nord-ouest, le Mouvement de Libération du Congo (MLC). Les armées rwandaise et ougandaise s’affrontent à plusieurs reprises dans la ville stratégique de Kisangani, au Congo. Malgré un accord de cessez-le-feu signé à Lusaka (Zambie) en juillet-août 1999, le conflit perdure, tandis qu’est mise sur pied une Mission d’observation des Nations Unies au Congo (MONUC). En 1998, le Congo compte deux millions de réfugiés et déplacés, et la crise humanitaire tue 3.000 personnes par jour, portant le bilan humain du conflit à plus de deux millions de morts. L’assassinat de Laurent Désiré Kabila en janvier 2001 modifie la donne : son fils Joseph Kabila, qui lui succède, s’avère plus ouvert à la communauté internationale et réamorce le processus de paix.