Introduction : ce qu’il faut savoir sur la guerre en Colombie et la résistance pacifique des communautés rurales
La Colombie a une longue expérience de l’état permanent de guerre et de conflit. Depuis les années 1950, ce pays est en guerre civile. Malgré les efforts constants de négociation, de réconciliation et de construction de la paix, les conflits armés se succèdent jusqu’à nos jours. Nous assistons actuellement à une multiplication des acteurs armés et une dépolitisation de leurs motivations à prendre les armes, tandis que la population civile résiste, subsiste, et choisit la paix dès qu’elle en a l’opportunité.
C’est le cas notamment des sociétés rurales colombiennes – paysan·nes métis, communautés autochtones et afrocolombiennes -, à la fois les plus impactées par les conflits armés, mais aussi les plus investies dans la consolidation de la paix. D’après l’expertise commandité par la Commission de la Vérité pour éclaircir les dynamiques du conflit armé colombien et son impact sur les paysanneries, « sur les 432 493 victimes enregistrées entre 1958 et 2018, au moins 251 988 sont des paysans, ce qui équivaut à 58 %. De même, sur un total de 7 275 126 victimes de déplacements forcés au cours de la même période, au moins 63,6 %, soit 4 631 355, étaient des paysans. » [1]
À la suite de la négociation entre les FARC-EP [2] et l’État, quand l’Accord de paix signé en 2016 a été soumis à un plébiscite populaire, c’est notamment dans les municipalités rurales ayant le plus souffert la guerre que le soutien a été le plus fort. Un coup d’œil rapide à la cartographie électorale de ce vote montre bien que les régions périphériques et rurales - les plus éloignées de la capitale, les moins desservies en services publics, les plus abandonnées à leur sort et au feu croisé des acteurs armés, les plus attaquées pendant les guerres… - sont celles qui ont soutenu catégoriquement l’Accord de paix. En l’occurrence, dans le Sumapaz, les terres de haute altitude du centre du pays, le « OUI » à la paix a obtenu 84 % des voix, tandis qu’à l’échelle nationale l’extrême droite avait réussi à mener une campagne contre l’Accord signé et que le « NON » a gagné avec 50,21 % des voix.
Malgré tout, la paix s’est établie pendant une très courte période : une fenêtre d’opportunités de trois ans dont les populations rurales ont pu profiter pour semer des rêves de réforme agraire et foncière, de transition agroécologique et pacifique. L’Accord de paix a fini par être torpillé par le parti d’extrême droite qui a gouverné entre 2018 et 2022, et qui n’a jamais mis en œuvre les projets économiques et politiques du post-conflit, notamment la réforme agraire. Le vide militaire et politique laissé par la guérilla qui avait signé la paix a très vite été comblé par des groupes armés cherchant à contrôler les territoires et les économies illégales. Résultat : le pays est à nouveau en état de guerre, cette fois-ci avec l’affrontement d’entre au moins sept différents acteurs armés.
Actuellement, les populations paysannes n’ont pas abandonné leurs efforts de construction de la paix. Et ce, malgré la menace constante des acteurs armés et des militaires, qui eux aussi ont commis des violences, des violations aux droits humains et d’autres crimes contre la population civile. La construction de la paix pour ces populations passe par la transformation des campagnes, des relations en zone rurale et la stabilisation des territoires paysans. Il s’agit d’un effort collectif pour démilitariser les territoires et les mentalités, comme celui de la communauté paysanne qui habite le páramo de Sumapaz.
Le páramo de Sumapaz, territoire paysan de haute montagne : un lieu stratégique dans les conflits
En plus d’être mondialement connue par ses guerres, la Colombie est aussi reconnue pour sa biodiversité remarquable et la diversité des paysages, stratégiques pour la conservation de la nature. Parmi ces paysages, les páramos sont des assemblages d’écosystèmes présents uniquement dans la haute montagne tropicale, à partir de la limite supérieure de la forêt haute andine - à peu près dès 2800 m d’altitude – en Colombie, Venezuela, Équateur et le nord du Pérou. Ils se caractérisent par des paysages aux formes érodées, souvent enveloppées de brouillard, parsemés de lacs glaciaires, avec une végétation ouverte, plutôt arbustive, un habitat humain dispersé et des cultures de tubercules andins. [3] Grâce à la présence d’espèces végétales endémiques comme le frailejón (Espeletia sp), capables de supporter des gels nocturnes, d’absorber l’eau de l’atmosphère et la relâcher doucement, les páramos sont valorisés en leur qualité d’aire naturelle et pour leur apport à la sécurité hydrique des villes andines et des basses terres. Ils comportent également des puits de carbone, du fait de la présence de tourbières dans ces environnements.
Le páramo de Sumapaz est un environnement exceptionnel et emblématique des Andes du Nord dont la superficie serait de plus de 300 000 ha, ce qui ferait de ce páramo, puits de carbone naturel et réserve d’eau inestimable, « le plus grand du monde ». [4] Situé à la frontière sud de Bogotá, la capitale colombienne de 12 millions d’habitant·es, le Sumapaz a été incorporé à la ville comme aire rurale, de services écosystémiques et d’eau potable (voir carte). Il est actuellement habité par environ 7 500 personnes qui s’identifient comme paysan·nes. Il s’agit des descendant·es des familles qui s’y sont réfugiées depuis le début du XXe siècle, soit à la recherche de terres de culture, soit d’un environnement éloigné et inaccessible aux acteurs de la violence politique (acteurs armés paraétatiques, voire les forces armées étatiques). Dans cette zone agricole la culture emblématique est la pomme de terre, mais les maisonnées paysannes dépendent aussi économiquement de l’élevage du bétail bovin. En outre, leur souveraineté alimentaire et les économies du soin dépendent des jardins potagers ou huertas, des lopins de terre proches de la maison où les femmes font pousser d’autres tubercules, du maïs, du quinoa, des fruits et des légumes, et surtout, des plantes médicinales. Ce sont des espaces d’autosubsistance et d’agrobiodiversité fondamentales pour le climat et stratégiques pour la survie de ces familles paysannes dans ce territoire en dépit de la persistance des conflits armés.
Pendant les conflits, le contrôle des páramos a donné aux groupes armés une grande liberté d’action et de mouvement entre les vallées andines et les plaines de la jungle amazonienne. Le Sumapaz a comporté en effet une zone de conflit et un aire militaire stratégique, de sorte qu’entre les années 1980 et 2016, l’Armée colombienne, les paramilitaires et la guérilla se sont affrontés et ont utilisé ce páramo comme champ de bataille. Par exemple, le Sumapaz a fait partie du corridor principal dans le projet des FARC-EP d’encercler Bogotá. Il a servi aussi à la guérilla pour passer des denrées alimentaires depuis la vallée inter-andine jusqu’au versant du piémont andin-amazonien. D’autant plus que, sur ce versant, se trouvait le siège du haut commandement du Secrétariat connu sous le nom de Casa Verde.
Au contraire, l’État, ses représentants et les institutions n’ont été que très peu présents dans le Sumapaz pendant le conflit armé, siégeant depuis la ville et abandonnant les paysan·nes à leur sort entre deux feux. Ce n’est qu’en 1993 que l’État fait acte de présence avec le débarquement de son armée et le bombardement de la Casa Verde, puis en 2001, avec l’aménagement de la base militaire pour le « Bataillon de haute montagne ». [5]
C’est également dans les années 1990 que commencent à y opérer les paramilitaires, des armées para-étatiques d’extrême droite qui ont persécuté, intimidé et tué des habitant·es du Sumapaz, parfois avec la connivence de l’Armée. En mai 1997, avec la complicité des services de renseignement de l’État et des forces armées, le Bloc « Centauros » des paramilitaires a assassiné Mario Calderón et Elsa Alvarado, chercheur·ses du Centre de recherche et d’éducation populaire (CINEP) engagé·es dans la construction de la paix, et membres-habitant·es de la Réserve naturelle de la société civile « Suma-Paz ».
Cependant, la brutalisation vécue par la population a pris des formes parfois plus difficiles à caractériser, des violences symboliques ou envers les lieux de vie et les sources de subsistance. Par exemple, les soldats de l’armée colombienne ont provoqué d’importants dégâts aux écosystèmes de haute montagne, avec l’élimination de 80 % des frailejones sur une superficie de 1515,37 m2 et la construction de 1711,30 mètres de tranchées, affectant la végétation, les sols et le processus d’infiltration de l’eau. Ils ont campé au bord des sources d’eau en les polluant - en faisant la lessive, la vaisselle, voire pour évacuer leurs déjections -. Ils ont en outre envahi et confisqué des terrains de familles paysannes afin d’y aménager des bases militaires. Le 39ème Bataillon d’Infanterie Sumapaz et le Bataillon de Haute Montagne Sumapaz ont utilisé les infrastructures des réserves naturelles pour camper, de sorte que la population civile se méfie actuellement des agents de la conservation de la nature.
En somme, entre 1990 et 2016 les habitant·es du Sumapaz ont été persécuté·es, stigmatisé·es, menacé·es, massacré·es ou recruté·es par la force. Les paysan·nes affirment que tous les acteurs armés ont commis des violences à la nature humaine et non humaine, directement ou indirectement, et que la militarisation d’un territoire n’assure pas sa pacification ni le bien-être de la population civile. Ils et elles proposent, en revanche, de reconnaître le territoire dans son ensemble en tant que victime. Cela permettrait de fournir des réparations à tous : d’une part, aux humain·es, et peu importe l’acteur armé qui les a brutalisés ; et de l’autre, à la nature, qui a également été attaquée, massacrée et traumatisée. De ce fait, les paysan·nes ont fait la demande auprès des institutions qui ont vu le jour avec les Accords de paix, pour que ce soit tout le territoire - la population et l’environnement – qui soit reconnu en tant que victime du conflit armé colombien, ayant le droit à la mémoire historique, à la réparation et à la protection ou non-répétition. Ne pas distinguer les actes commis en fonction des agresseurs (militaires, paramilitaires, guérillas) évite une mise en concurrence entre les victimes et assure que tous et toutes soient prises en charge, ce qui permet d’envisager une transition collective à la paix.
Les stratégies paysannes des hautes terres andines pour démilitariser les territoires et les mentalités : exercice communautaire de la justice et du contrôle territorial face à l’État
Dans les lignes qui suivent, j’évoquerai deux cas récents et éloquents de stratégies paysannes de démilitarisation des territoires et des esprits. Il s’agira de montrer comment, pour les États, la notion de sécurité est associée à la militarisation, ce qui les rend incapables d’imaginer une autre façon de réagir aux menaces que le déploiement de leurs forces armées. Alors que les populations rurales arrivent à imaginer et mettre en acte un monde en paix, sans les forces sécuritaires.
Il faut noter que les forces de l’ordre – gendarmerie ou police - ne sont pas présentes au Sumapaz. D’une part, ce territoire ayant longtemps été considéré comme une zone de guerre, la police n’avait pas sa place. De l’autre, les organisations sociales locales ne reconnaissent pas leur légitimité pour maintenir les relations civiques et empêcher les conflits. Ce sont les organisations elles-mêmes qui s’en chargent traditionnellement de résoudre les désaccords entre paysan·nes : conflits fonciers, d’héritage, de vol de bétail, d’organiser un jour de travail pour aménager une route, pour améliorer un espace d’usage collectif… Les sources historiques et les entretiens avec les paysan·nes permettent de constater que, même si dans certains cas les personnes cherchent à obtenir l’aide des institutions étatiques pour certaines démarches, c’est souvent le droit coutumier et l’exercice autogéré de la justice qui l’emporte. Cela s’explique par la distance, géographique (les moyens de transports sont chers et rares pour aller en ville) et sociale (les fonctionnaires ne comprennent pas toujours les enjeux locaux), avec les institutions étatiques. En revanche, la légitimité des organisations locales à exercer la justice est historiquement établie.
Le contrôle du territoire par la population locale est un élément clé. Lors de la pandémie de COVID-19 en 2020, les organisations sociales locales se sont mises d’accord pour contrôler l’entrée au territoire face aux citadin·es qui voulaient visiter le Sumapaz, à la recherche de nature et pour échapper au confinement ; et face aux paysan·es qui se rendaient en ville et revenaient malades et risquaient de contaminer leurs voisin·es. C’est pourquoi deux postes de contrôle ont été mis en place pour enregistrer les personnes qui quittaient le páramo et pour refouler celles qui tentaient d’y entrer.
Les personnes qui ont participé aux contrôles et celles qui ont été contrôlées à leur départ s’accordent à dire qu’il s’agissait d’une mesure d’autogestion nécessaire pour prendre soin les un·es des autres, bien qu’elle ait sans aucun doute, inévitablement, affecté les économies locales.
Cette stratégie a bien fonctionné, mais les gouvernements locaux et nationaux sont intervenus au bout d’un certain temps et ont demandé aux organisations sociales de renoncer à exercer ce contrôle territorial. De manière surprenante, la stratégie choisie par l’État a été de militariser le territoire. Quatre postes de contrôle militaires ont été installés le long des 80 km qui séparent la zone périurbaine de Bogotá du hameau de La Unión, tenus chacun par une douzaine de soldats qui, fusils au poing, arrêtaient tou·tes celleux qui prenaient la route et les enregistraient. Aux points de contrôle, des banderoles annonçaient qu’il s’agissait de l’« Opération San Roque » de l’armée nationale, la stratégie visant à contenir la propagation de l’épidémie. Cependant, les militaires n’ont mené aucune action sanitaire, ils n’ont pas parlé de gestes de la barrière, ils n’ont pas distribué de masques, ils n’ont pas éduqué aux risques de contagion : ils se sont limités à demander les documents de propriété du véhicule, le permis de conduire, à demander les cartes d’identité et à noter les coordonnées des voyageur·ses.
En conséquence, les paysan·nes ont manifesté leur désaccord. D’une part, parce que la militarisation du territoire n’était pas justifiée : il n’y avait pas de menace militaire, d’autant plus que depuis la signature de l’Accord de paix, aucune violation des droits humains n’avait été enregistrée dans la région. D’autre part, parce que la mise en place de ces postes de contrôle a ravivé d’anciens traumatismes, puisqu’au cours des années 1990 et 2000, on comptait jusqu’à 10 ou 14 postes de contrôle sur ces mêmes 80 km, avec des soldats originaires de régions éloignées, ignorants des dynamiques locales de sociabilité et de la fragilité de l’écosystème, produisant beaucoup de dégâts, et violentant la population civile.
Cette militarisation liée à la pandémie a duré plus de deux ans. Ce qu’ils ont dénoncé auprès des institutions nationales et des organisations internationales et multilatérales : malgré la signature de l’Accord de paix, l’Armée semble s’accrocher à ces pratiques civico-militaires - sanitaires ou environnementales, comme la reforestation - pour justifier sa permanence dans le páramo et déployer des stratégies de contrôle territorial.
Paradoxalement et malheureusement, les militaires n’ont pas pu empêcher des crimes survenus tout récemment : ni l’assassinat de quatre anciens combattants des FARC-EP - l’un en mai 2019, les trois autres en mars 2021-, des personnes qui s’étaient démobilisées de la guérilla bien avant l’Accord de paix et qui vivaient dans la région, travaillant paisiblement de l’agriculture et de l’élevage. Ni l’assassinat de deux dirigeants politiques locaux en 2023. Ce qui nous mène au second cas : la manière dont la communauté du Sumapaz a réagi à ces assassinats, qui se contraste totalement avec la réponse de l’État.
Le 10 avril 2023, en début de soirée, Carlos Julio « Yuyo », dirigeant politique, membre des organisations sociales du Sumapaz et militant du Parti communiste colombien, est rentré chez lui après une longue journée de travail dans les champs. Pendant la journée, il avait reçu un appel : quelqu’un avait donné son numéro à cette personne qui était à la recherche d’un hébergement pour dix , pour dîner et passer la nuit. Habitué à accueillir des gens de passage car dans la zone il n’y a pas d’hôtel ni de lieux de restauration, il a accepté et prévenu sa femme dans la foulée. Les femmes du foyer se sont mises donc à éplucher les pommes de terre pour le dîner : il s’agit toujours d’une bonne opportunité pour obtenir des revenus extra pour la maisonnée et de l’argent en liquide pour l’achat de produits de soin et de ménage en ville. Juste après le coucher de soleil, trois hommes se sont présentés dans la maison de la famille de Yuyo et ont demandé à quelle heure il rentrait. Ils étaient vêtus de ruanas, le poncho en laine typique des paysans de haute montagne. Quand Yuyo a franchi le seuil de la porte, ces hommes ont sorti chacun une arme qu’ils cachaient sous la ruana, et ont tiré plusieurs fois sur lui. Une balle a traversé le mur de la cuisine, et a percuté une des femmes, la belle-fille de Yuyo qui finissait d’éplucher les pommes de terre. Les attaquants se sont enfuis, ont jeté les ruanas sur le chemin… la famille de Yuyo qui restait en vie a appelé une ambulance : sa belle-fille a survécu mais lui est mort sur le coup.
De façon assez prévisible, la réponse du maire et du Président de la République à la suite de cet assassinat a été d’envoyer 12000 soldats et policiers pour patrouiller le páramo. Après un conseil de sécurité qui a réuni les autorités ayant juridiction sur le Sumapaz, sans représentation des organisations paysannes, la communauté a vu débarquer en quelques heures des hordes de militaires, qui campaient n’importe où, polluant à nouveau, déforestant, et surtout ravivant les traumatismes du passé.
Face à cela, les organisations sociales aussi se sont mobilisées afin de mettre en place des mesures autogestionnaires de sécurité collective. Toute la population devait être prévenue : ne pas sortir tout·e seul·e pendant la nuit ; réduire la consommation d’alcool et les fêtes ; ne pas laisser les ragots et la peur dominer les rapports sociaux. Ils se sont mis toute de suite au travail pour trouver des espaces pour faire vivre la mémoire de Yuyo, et réunir les moyens pour soutenir économiquement et affectivement la famille. Le 17 juin, vingt organisations locales ont convoqué à une mobilisation « pour la vie, pour la paix et la défense du territoire du Sumapaz » (voir photos), en réponse à ce qui a été perçu comme une agression au territoire dans son ensemble : l’assassinat d’un de ses membres, la brutalisation d’une de ses familles, et la réponse militarisée de l’État.
Réclamant une véritable construction de la paix, les paysan·nes se sont mobilisé·es, depuis des municipalités voisines et de la zone urbaine de Bogotá, en bus jusqu’au páramo, puis à pied, à cheval ou en bus jusqu’au hameau de San Juan. Des banderoles et drapeaux de plusieurs partis politiques, organisations sociales et environnementales ont jalonné la manifestation ; la famille de Yuyo avait une place centrale dans le cortège. Le fait de parcourir le territoire en répétant des consignes qui évoquent la relation à l’environnement, l’hommage aux membres de la communauté morts dans l’histoire et la volonté de vivre en paix, est une manière de reprendre le droit au territoire tout en plaçant la territorialité au centre. Une assemblée générale a été tenue à l’arrivée, les organisations locales et voisines ont manifesté leur soutien, unité, et envie de construire la paix.
En guise de conclusion : le droit au territoire et l’autonomie des communautés rurales, une garantie pour le bien-être de tou·tes.
Toute compte fait, les habitant·es du Sumapaz soutiennent que les stratégies privilégiées pour sécuriser un territoire sont des solutions communautaires, pensées et exécutées en commun. Pour ce faire, les paysan·nes font vivre les mémoires collectives et les formes paysannes d’entre-aide. Ainsi, iels mettent en valeur leur rapport tout particulier à l’environnement : une relation qui s’est construite dans la longue durée, entre une population et son lieu de vie, qui est surtout un espace de subsistance et de résistance commune. Parcourir son territoire en toute liberté est à la fois le résultat et la cristallisation de ces pratiques collectives de soin.
Les communautés rurales colombiennes nous invitent à penser la question de la démilitarisation et comment vivre l’après-guerre. Ce que le cas colombien et les habitants du Sumapaz nous permettent de réaliser, c’est une chose assez évidente mais peu prise en compte : que la guerre se développe dans un territoire, mais celui-ci n’est pas juste une scène, c’est un espace de vie humaine et non humaine. La guerre impacte toutes les formes de vie, et les guerres contemporaines puissent les ressources des lieux de vie, les dévastent, et s’attaquent tout spécialement aux populations qui prennent soin de ces ressources. Ainsi, les formes de réparation et les stratégies de construction de la paix doivent être collectives et inclure les humain·es et non humain·es.
Pour bien vivre l’après-guerre, nous - les urbain·es, l’État - devrions enfin comprendre que l’autonomie territoriale des communautés rurales subalternes vis-à-vis de l’État est une stratégie efficace contre la guerre. Puisque l’État ne connaît pas d’autre réponse que la militarisation, sa souveraineté politique sur le territoire communal devrait être remise en question. Le droit de gérer le territoire, de l’aménager, de le contrôler et de le soigner devraient être exercé par les communautés rurales qui connaissent ce dont la ruralité a besoin pour exister, et pour persister.