Ici c’est-là bas et là-bas c’est ici

De Gaza à Gardanne : espoir, béquilles et ballon rond

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Deux équipes de foot Amputés se sont affrontées, cet été, à Gardanne et Martigues (13) : celle de France et celle de Gaza. Pour l’amour du sport mais surtout pour mettre en lumière la situation palestinienne et une discipline mal connue. 

Sous les tonnelles disposées en bordure du stade Victor Savines à Gardanne, chaque joueur attablé essaie de trouver de l’ombre en ce 3 juillet caniculaire et enchaîne les sodas pour s’hydrater. Thierry, du Collectif Solidarité Palestine de Martigues, gère le barbecue et s’assure que tout le monde a bien eu des merguez. Dans deux heures, l’équipe Gaza Foot Amputés affrontera l’équipe de France Amputés sur la pelouse. Alors que les bleus se sont isolés derrière les tribunes pour parler tactique, les jeunes gazaouis finissent de déjeuner. Personne n’oublie pourquoi il est là. 

A l’invitation du collectif Solidarité Palestine de Martigues et de la FSGT 13 (Fédération sportive et gymnique du travail), deux matches entre l’équipe de France et l’équipe de Gaza Amputés sont organisés sur les Bouches-du-Rhône. L’objectif est double. Faire sortir du bois cette discipline méconnue et mettre en lumière la situation à Gaza. « On a pensé que la meilleure façon, c’était de faire venir ces footballeurs amputés, explique Thierry. Parce qu’évidemment ce n’est pas un hasard si sur un territoire de seulement deux millions d’habitants, il y a à Gaza six équipes de footballeurs amputés et désormais un championnat. Ce n’est pas un hasard car c’est dû à la colonisation israélienne, aux bombardements qui sont là pour faire un maximum de dégâts. »

Ils sont neuf à avoir fait le voyage [1], âgés entre 16 et 38 ans. Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils quittent la bande de Gaza. Ils sont originaires de villes et de classes sociales différentes aussi. Chacun affiche fièrement l’acronyme de l’association PAFA pour Association palestinienne de football Amputé, parfois même dessiné à même le crâne. « J’avais 15 ans, je venais de rentrer de l’école. J’étais dans ma chambre lorsque la bombe a explosé dans la maison », explique Khaled Jebril, 27 ans, déjà en tenue. Comme tous les gamins de son âge l’adolescent jouait au foot à différents postes. « C’était un rêve pour moi de pouvoir continuer. Mes amis étaient choqués quand ils m’ont vu avec un ballon », sourit ce gardien de but amputé de la main gauche. Il a participé au premier championnat qui a eu lieu le 14 avril dernier et qui a regroupé 80 amputés dans le stade Palestine de Gaza. C’est l’équipe de Rafah qui a remporté le titre de champion. 

« L’équipe des héros »

Mohamed Eleiwa, 17 ans, bandana dans les cheveux, est attaquant sur le terrain et menuisier à la ville. Il a perdu sa jambe lors de la marche pour la liberté à laquelle il a participé pacifiquement, le 9 novembre 2018. Il défilait avec un simple drapeau mais l’armée israélienne lui a quand même tiré dans la jambe droite avec une balle explosive. Ces balles ont pour effet de détériorer les tissus et de briser les os. « Je suis content d’être ici mais j’aimerais être là pour d’autres raisons », explique le jeune homme. Pour Ahmed Abudaquen, 16 ans, attaquant remplaçant, la perte de sa jambe est due à un accident lorsqu’il était enfant : « Je suis heureux car je viens de réaliser un rêve. » Celui de sortir de Gaza et, en plus, en jouant au foot ! Elève en première, il souhaite devenir vétérinaire. Avant, il voulait partir aux Etats-Unis pour étudier mais, aujourd’hui, il se verrait bien en France : « Car vous vous occupez bien des animaux », souligne-t-il. On les surnomme « L’équipe des héros ». Être né dans le fracas des bombes et jouer au milieu, ça force le respect... 

Côté français, on a aussi affaire à des héros. Dans un pays qui a des trains de retard sur l’accessibilité des personnes handicapées et leur laisse peu de place dans l’espace public, eux, tentent de s’approprier les stades. « Non sans difficulté », explique Nabil Labhilil, capitaine de l’équipe et amputé du fémoral droit. « J’ai eu un accident enfant au Maroc. J’ai subi quinze opérations, et puis c’est la vie que j’ai choisie… » Il a toujours « tapé le ballon » dans le quartier où il a grandi, près de Lyon, il a toujours joué avec des valides. Le handicap lui aura appris à aider les gens. « C’est l’humain qui m’intéresse », résume-t-il.

Il est à l’origine de la création de l’équipe en 2007. D’abord régionale, en Rhône-Alpes, elle est, peu à peu, devenue nationale avec l’arrivée de joueurs venus des quatre coins du pays. Six mois après leur constitution, ils ont participé à la Coupe du monde de football pour amputés organisée par la Turquie en novembre 2007. L’équipe se compose actuellement de 40 licenciés répartis sur l’ensemble du territoire. Ils se retrouvent une fois par mois en Isère pour un entraînement. Le reste du temps, certains jouent avec des valides. 

Sur un pied d’inégalité

Jérôme Raffetto, attaquant, amputé du tibial gauche, est originaire de Carnoules (83). Il était sportif de haut niveau avant. Il s’attriste du manque de visibilité qu’a le sport amputé. « Je suis un ancien joueur de foot. J’ai notamment joué en ligue 2 à Cannes. Et, pourtant, j’ai mis dix ans à connaître l’équipe de France pour amputés. Il y a vraiment un problème de communication ! » Actuellement, pour financer ses déplacements, l’équipe de France fonctionne avec du sponsoring privé. « Il faut savoir que ni la fédération handisport ni la Fédération Française de Foot ne nous reconnaissent, explique Nabil Labhilil. Du coup, on a créé notre propre fédération (EFFA foot). Nous sommes des amateurs, On a tous un travail à côté. Notre asso est familiale. »

Il fait 34 degrés, sous les cris des supporters, les équipes entrent sur le stade. Des enfants agitent des drapeaux palestiniens depuis les tribunes. Le foot pour amputés a ses propres règles. La durée des matchs se décompose en deux périodes de 25 minutes avec une pause de 10 minutes. Le jeu se joue à 7, sur une moitié de terrain traditionnel, sans prothèses. Mais avec des béquilles qui ne doivent pas être utilisées contre l’adversaire ni pour toucher volontairement le ballon. Idem pour leur moignon. Le hors-jeu ne s’applique pas ; les remplacements sont illimités. Jean-Sébastien Dermadjian, valide du FSGT, a posé une journée de congé pour venir arbitrer le match : « J’ai découvert le règlement comme ça. »
 
Si les villes (PCF) de Gardanne et Martigues ont ouvert leurs stades aux deux équipes, la ville d’Aubagne (LR) a refusé : officiellement pour des raisons de disponibilité, officieusement parce que pour certaines communes, accueillir des gazaouis à moins d’un an des municipales, ce n’est pas très électoraliste. Après quelques chutes et beaucoup de sueur, l’équipe de France l’emporte 4-1. Mais l’essentiel n’est pas là. Ali sort essoufflé mais heureux. Originaire de Marseille, à 31 ans, il a récemment rejoint l’équipe de France. Son accident de moto est encore proche. « Au début, je ne me voyais pas avec des cannes. Ça a été difficile. Le foot permet d’évacuer le stress. Et puis la vie est là : elle continue. » 
 

Encadré : quand le sport fait lien...

 
« Historiquement, il y a toujours eu une culture de lutte et de revendication des droits à la Fédération sportive et gymnique du travail », explique Jean-Yves Fauchon, co-président du comité des Bouches-du-Rhône et membre du comité de pilotage des projets internationaux. La FSGT est une fédération sportive affinitaire : elle ne s’intéresse pas à faire participer les meilleurs mais tout un chacun, le but étant de s’amuser.
 
Depuis 1982, la FSGT est présente en Palestine. « On a formé des profs de sports avec le même cursus qu’en France. Dès octobre, nous allons instruire des formateurs de formateurs », poursuit-il. La fédération est aussi présente en Algérie dans les camps de réfugiés Sahraouis. « Les conditions de vie là-bas sont terribles. Il n’y a rien, c’est le désert. Le taux de mortalité des nouveaux nés est actuellement de 100 %, explique Jean-Yves Fauchon qui s’y rend depuis cinq ans. Nous y sommes attendus avec impatience car on met un peu de soleil dans leur vie. Il y a 5 camps de 30 à 40 000 personnes. On essaie de développer une vie associative entre les différents quartiers, on a créé des Olympiades… » Et de conclure : « cela nous sert pour ce que l’on développe en France car, ici, nous sommes dans les mêmes logiques de quartiers qui ne se mélangent pas. »