De Bonn à Durban, les rencontres sur le climat sont des conférences de pollueurs

Par Patrick Bond

, par Pambazuka

Ce texte a initialement été publié en anglais et il a été traduit par Françoise Lorge, traductrice bénévole pour rinoceros.

A l’occasion de la conférence sur le climat qui aura lieu à Durban, Afrique du Sud, en décembre et qui est d’une importance cruciale, Patrick Bond s’en prend à la conspiration des élites qui débouchera sur un scénario de non compromis et une constante augmentation des températures mondiales. ‘Il faudra adopter la position la plus forte possible pour s’attaquer finalement au désordre’, écrit-il.

A en juger par ce qui a transpiré des négociations mondiales sur le climat ,la semaine passée, dans l’ancienne capitale de l’Allemagne de l’Ouest, Bonn, il apparaît certain que dans tout juste plus de cinq mois, la ville portuaire Sud Africaine de Durban accueillera une conférence de gens qui remettent tout au lendemain, la « COP 17 » (Conférence des Partis), condamnant la terre à « la poêle à frire ».Continuer à ne pas agir en ce qui concerne le changement climatique laissera notre ville aussi tristement célèbre pour l’incompétence des élites et de la trahison politique que le fut Oslo pour le Moyen Orient.

Il apparaît certain que l’alliance de Pretoria avec Washington, Pékin, New Delhi et Brasilia dont on a été témoin lors du déplorable Accord de Copenhague en 2009,sera étendue à d’autres saboteurs du Protocole de Kyoto, spécialement de Ottawa, de Tokyo et de Moscou, de même que les vendeurs de carbone de Bruxelles et de Londres.

Ce que tout le monde prédit maintenant c’est une conférence sous le signe de la paralysie. Non seulement le Protocole de Kyoto sera autorisé à expirer à la fin de sa première période d’engagement (2012). Pire encore, Durban sera d’abord une conférence de profiteurs, car le commerce du carbone-la privatisation de l’air qui donne aux pays et aux sociétés riches le droit de propriété de polluer-constitue la base de la mauvaise gouvernance du climat mondial de la prochaine décennie.

En effet, ce fut une démarche diplomatique révélatrice quand, à Bonn, les négociateurs de Pretoria, appuyés par les membres de l’équipe des maxi pollueurs Eskom, Sasol et le National Business Intitiative, essayèrent de briser la solidarité africaine contre les projets de l’Union Européenne d’ouvrir de nouveaux marchés carbone (en échange l’Europe devait produire beaucoup plus de pollution Gaz contribuant à l’Effet de Serre) au lieu d’agir honorablement en payant directement l’immense dette sur le climat de l’U.E.envers l’Afrique

On est en train de s’approcher d’un alignement local dans lequel, d’une part, des politiciens et des officiels de Pretoria du type Bantusta légitimeront « l’apartheid du climat » dès que la COP17 commencera au Centre de Convention International de Durban, de même qu’ils soutiendront toute action locale prévue qui nuira au climat.

 La construction de deux des quatre plus grandes centrales électriques alimentées au charbon pour $20 billions chacune à Kusile et Medupi (sans parler aussi de nouvelles centrales nucléaires)

 On a annoncé la semaine dernière le creusement d’un nouveau grand port.
de $14 billions à Durban Sud.

 La construction d’une nouvelle raffinerie de pétrole brut de $12 billions à Port Elizabeth.

 Et l’attribution des droits d’exploitation du gaz de schiste par fracturation aux sociétés Sud Africaine, Norvégienne et Américaine dans la chaîne de montagne Drakensburg déjà si vulnérable (ceci vient d’être révélé vendredi passé par deux excellents journalistes écologistes de Durban, Tony Carnie et Colleen Dardagan).

Pour couronner le tout, le « Green Climate Fund »de $100 billions par an qu’on avait promis, de loin bien plus important que n’importe quel autre moyen financier jamais réuni, est co-présidé par un autre politicien de Pretoria sensible aux influences des pays du Nord, le ministre de la planification nationale Trevor Manuel, un homme qui prend ses responsabilités de façon tellement indolente qu’il n’a offert aucune objection visible à ces investissements catastrophiques pour l’écologie.

En effet, en tant que ministre des finances, Manuel a donné à plusieurs reprises le feu vert à la société énergétique nationale Sud africaine Eskom pour continuer à approvisionner en électricité la meilleure marché au monde BHP Billiton et l’Anglo American Corporation tout en augmentant les prix de l’énergie pour les pauvres en leur imposant des tarifs inacceptables et ceci afin de financer les usines qui sont si onéreuses.

Apparemment, Manuel accordait tellement d’importance au Green Climate Fund (GCF) que, à la fin du mois d’avril, il a préféré rester chez lui à Cape Town, recherchant en vain des voix pour le parti dirigeant (celui-ci a perdu en faveur de l’opposition conservatrice aux élections municipales de la mi-mai), plutôt que d’aller à la conférence de Mexico City où Manuel fut désigné en son absence comme codirigeant du GCF. Dans tout ce qu’on a dit sur sa participation à la course truquée de l’UE pour devenir directeur du Fond Monétaire International, que Manuel a quittée le dernier jour, le 10 juin, on n’a pas prononcé un mot sur le climat ou ses responsabilités de co- direction du GCF.

Il se peut que le GCF fasse plus de tort que de bien, spécialement si l’équipe de Manuel autorise le financement de « fausses solutions » telles que la biotech, les arbres et les plantes génétiquement modifiés, les plantations d’arbres destinés à la construction, l’énergie nucléaire, la capture du carbone et son stockage, ou répandre du liquide de refroidissement SO2 dans l’air et de la limaille de fer dans la mer pour faire proliférer les algues .Ila déjà annoncé que le GCF devrait augmenter ses fonds de moitié grâce au commerce du carbone.

Mais Manuel échouera non seulement parce que le marché du carbone s’effondre périodiquement mais parce que, comme s’est plaint le directeur du Third World Network la semaine passée « On n’a réservé que quelques jours de négociations (6) pour le Comité Technique du GCF entre aujourd’hui et Durban, alors qu’il y a beaucoup de problèmes complexes à résoudre …Comment peuvent-ils réaliser cette difficile et importante tâche en un laps de temps aussi court ? »A l’atelier GCF du 30 mai à Bonn, il n’y a que le co-président Kjetil Lund de Norvège qui a assisté à certaines parties de la session, mais Manuel et le troisième co-président , Ernesto Cordero Arroyo du Mexique, étaient absents.

Ceci concrétise le manque de respect dont les élites des états et des affaires font preuve pour les négociations sur le climat. Puisqu’on ne peut pas avoir confiance en Pretoria pour diriger le monde en décembre, dit Michele Maynard du Pan African Climate Justice Alliance, « la société civile Africaine demande au gouvernement Sud Africain d’adopter une procédure ouverte, démocratique et responsable. Cela veut dire qui ils vont rencontrer, quand et où et comment ils vont laisser les gens qui subissent effectivement les effets du changement climatique avoir leur mot à dire. »

Et Maynard continue, « C’est d’autant plus urgent que nous apprenons que la Nouvelle Zélande et les USA sont en train d’introduire les marchés de ‘terre de carbone’ dans les négociations. Ces marchés sont de fausses solutions qui ne feront qu’attiser la saisie des terres en Afrique et qui mettront fortement en danger la capacité des Africains pauvres à se nourrir. »

Tout le monde prévoit que le Protocole de Kyoto sera la première victime à Durban. Le Nord veut qu’un ‘ engagement politique’ volontaire appelé parfois ‘promesse et bilan’ remplace les exigences sur les réductions de rejets polluants auxquelles on s’était engagé en 1997 à Kyoto.
Il est certain que le mouvement de société civil Climate Justice Now ! est écœuré par les objectifs très bas de Kyoto (seulement 5 pour cent de baisse des émissions depuis 1990) ; la facilité avec laquelle on peut s’y soustraire (spécialement pour le plus grand pollueur au monde de sables bitumineux, le Canada) ; l’absence de sanctions contre les gros pollueurs qui ne participent pas (les USA et l’Australie) ou qui ne respectent pas même les objectifs les plus bas (presque tout le monde) ; l’échec quant à la pénalisation des sociétés bénéficiaires des grandes exploitations de charbon dans des sites comme l’Afrique du Sud ; et la confiance aux marchés carbone pour rendre les restrictions de rejets plus acceptables pour le grand capital, grâce au marché sordide passé par Al Gore en 1997 en échange du soutien officiel des USA (mais le vote du Sénat contre Kyoto était 95-0).

Cependant, un accord mondial ferme est nécessaire en fin de compte, remplacer Kyoto par un ‘Durban Pack’ serait désastreux étant donné que les USA, l’Europe et le Japon ont déjà montré par le passé qu’ils pouvaient faire preuve de tricherie, de chantage et se soustraire au financement. Grâce au courrier du State Department des USA qui a été révélé en décembre dernier par Julien Assange et Bradley Manning (il reste vraisemblablement innocent à la prison Leavenworth dans le Kansas), il est indéniable que les sous-fifres de Clinton Todd Stern et Jonathan Pershing sont des petites brutes qui devraient être exclues de toutes les négociations futures.D’après Wikileaks, Connie Hedegaard de l’UE les a allègrement rejoint pour conspirer et mettre au point le définancement du GCF en février 2010.

Un effort ferme de l’UE s’impose pour satisfaire les exigences scientifiques en matière de réductions de rejets pour sauver la planète ; un effort identique à celui qui avait été fait en 1987 à Montréal pour bannir les CFC, le produit chimique qui élargissait le trou d’ozone si dangereux. Mais étant donné la montée du néolibéralisme (dans les années 1990), du néoconservatisme (dans les années 2000) et leur fusion ultérieure comme idéologie dominante aux Nations Unies, la répétition du Protocole de Kyoto n’est pas prête de se reproduire.

Donc, aux deux dernières COP, à Copenhague (2009) et Cancùn(2010), Pretoria s’est complètement rallié aux pires démolisseurs de l’environement.Le résultalt, selon l’ambassadeur des Nations Unies de Bolivie, Pablo Sólon,lors d’une conférence de presse à Bonn, « ce sont des engagements sur les réductions de rejets qui nous conduisent à un scénario [ d’une augmentation de la température] de 4 degrés Celsius. Et cela est absolument inacceptable. Nous avons besoin de quitter l’Afrique du Sud avec des engagements sur les réductions de rejets qui nous placeront dans un scénario entre 1 et 1,5 degré Celsius afin de sauvegarder notre planète et la vie telle que nous la connaissons maintenant ».

Et Sólon de conclure, lui qui est un des rares négociateurs assez courageux pour dire la vérité aux dirigeants dans le cadre de cet espace mort que sont les Nations Unies, « l’Afrique du Sud est le lieu pour combattre ce nouvel apartheid contre Mère Terre et ses systèmes vitaux » .

Des activistes locaux se joindront à cette lutte en sachant que leurs hommes politiques et leurs représentants officiels sont terriblement destructeurs. Une des raisons pour lesquelles Durban sera considéré dans le futur comme la ville qui a aggravé l’apartheid du climat , est cette avidité des élites à codifier et même à glorifier la gestion environnementale basée sur les marchés, y compris le Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation (REDD Réduction des Rejets resultant de la Déforestation et de la Dégradation des forêts).

D’après Sólon, « Il y a une proposition dans l’accord de Cancùn qui concentre tout sur … des directives concernant la capacité des forêts à capturer le CO2. Nous ne devons pas nous concentrer sur les façons de préparer les forêts à un mécanisme de marché, nous devons combattre la déforestation maintenant ».

La Banque Mondiale a été l’avocat le plus dogmatique du REDD ; cette dernière est aussi l’administrateur du Green Climate Fund, et cela a amené la société civile a demandé son départ « la Banque Mondiale est un élément du problème climatologique, et non sa solution ». a dit Sebastian Valdomir de Friends of the Earth International à Bonn. « Ses actions passées effroyables au niveau social et environnemental devraient la dispenser de jouer un rôle quel qu’il soit dans l’élaboration du Green Climate Fund, et dans le financement des problèmes climatologiques de façon générale ».

En voici un exemple : le prêt de $3,75 billions accordé par la banque l’année dernière à Eskon, principalement pour financer l’usine de Medupi en dépit des conflits d’intérêt bien connus (les investissements de Congrès National Africain dans la construction des chaudières Hitachi) et pire, son incapacité quand elle fait payer l’électricité par les Sud Africains pauvres à un taux parmi les plus élevés au monde ; ces Sud Africains pauvres qui continuent d’ailleurs « de contester ces services d’approvisionnement ».

Plutôt que d’attendre que des banquiers douteux s’attaquent à nos défis les plus grands, Sólon a proposé une taxe sur les transactions financières internationales pour financer l’aide au climat. Les engagements existants du Nord, tels que les supposés $30 billions de financement accéléré promis pour 2012 par Hillary Clinton à Copenhague s’avèrent tout aussi fiables que les engagements financiers envers l’Afrique au Sommet Gleneagles du G8 en 2005.

Les conférences avec des promesses vaines, telles que celles de Clinton, comme ses propres collègues nous l’ont révélé à Bonn le 7 juin (il n’y aura pas $100 par an pour le GCF ».) ont un objectif principal : faire retomber la colère mondiale, légitime, concernant cette pollution du Nord qui nous menace tous.

Il y a une autre ruse à laquelle nous pouvons nous attendre à Durban, exactement comme au Sommet Mondial sur le Développement Durable à Johannesbourg en 2002, quand Martin Khor du Third World Networld a condamné l’hôte-président (Thabo Mbeki) pour avoir importé la méthodologie d’exclusion du World Trade Organisation ‘Green Rooms’.La semaine dernière, à Bonn, les négociateurs du Vénézuela ont critiqué ’la prolifération d’idées innovantes’ de Pretoria qui sont discutées en long et en large à huis clos.

Les activistes peuvent-ils changer l’équilibre des forces face à de tels désastres ? Vendredi dernier, alors que Bonn se terminait de manière décousue, le dirigeant de Greenpeace International, né à Durban, Kumi Naidoo, a réagi de façon tout à fait appropriée lorsqu’il a essayé de remettre une pétition très percutante signée par 50.000 personnes contre une plate-forme de forage offshore gérée par Cairn Energy près de Greenland.
Lorsque Naidoo s’est approché de la plateforme, le Leif Eriksson (baptisé d’après un Viking Scandinave, une tribu renommée pour les pillages, les saccages et les viols), il a été accueilli par des canons à eau propulsant de l’eau glacée et a été arrêté ‘de façon’ indéfinie’ pour avoir violé une injonction du tribunal.

Et Naidoo de poursuivre : « Le forage de pétrole dans l’Arctique est une des batailles environnementales les plus déterminantes de notre époque Je suis Africain mais je me soucie beaucoup de ce qui se passe là-bas, au nord. La fonte rapide de la calotte glaciaire de l’Arctique est pour nous tous un avertissement sérieux, ce n’est rien de moins que de la folie que des sociétés comme Cairn considèrent que c’est une opportunité de forer pour trouver des carburants fossiles qui nous ont précipité dans ce désordre qu’est le changement climatique Nous devons tirer une ligne et dire ça suffit.

Il faudra tirer une ligne identique contre la Conférence des Pollueurs de Durban, et il semble que le samedi 3 décembre sera une journée d’action mondiale. A Durban et dans votre ville, on aura besoin de la réaction la plus forte pour s’attaquer finalement au désordre.