Croissance/décroissance : une polémique à dépasser

Introduction

, par CDTM 34

La Décroissance : un débat

Notre société occidentale, dans la mesure où elle a choisi le chemin du système capitaliste, a lié son destin à une organisation fondée sur l’accumulation illimitée, et se condamne à la croissance. Chaque fois que la croissance ralentit ou s’arrête, la solution recherchée est de revenir à une situation « normale » d’économie croissante.
Le capitalisme et le productivisme en général, sont facteurs d’inégalités dans la répartition du bien-être et des richesses dans le monde, causes de pollutions environnementales graves et, sans doute aussi, causes des dérèglements climatiques que nous connaissons. C’est à partir de cette constatation qu’au cours des années 1980 a été élaboré le concept de « développement durable », concept fortement contesté par les partisans de la décroissance en tant qu’idée très enracinée dans le modèle économique productiviste dominant.

Aujourd’hui trois raisons principales nous forcent à regarder de façon critique le type de capitalisme qui règne sur notre société et qui a été transplanté dans les Pays du Sud avec des effets catastrophiques au niveau social et environnemental :

  • Sur le plan du bien-être individuel et collectif, à partir d’un certain niveau d’abondance matérielle, le PIB par habitant peut masquer des écarts très importants dans la répartition des richesses. De plus, il n’est pas garant du mode de redistribution de ces richesses et ne reflète aucunement les réalités sociales. Si bien que d’autres indicateurs sont en train de gagner du terrain dans le débat international afin de mettre en place de meilleures unités de mesure concernant l’état du bien être social : l’Indice de développement humain (IDH), le Baromètre des inégalités et de la pauvreté (BIP 40), l’Indice de santé sociale (ISS) ;
  • Des raisons éthiques nous poussent à réfléchir à la différence entre l’être et l’avoir, sur notre soumission à l’impératif du « toujours plus » qui est le fondement du capitalisme ;
  • La crise écologique a atteint des niveaux alarmants que l’on ne peut plus ignorer : la croissance illimitée n’est pas possible dans un monde de ressources limitées, si on ne veut pas menacer la survie de l’humanité.

Contestation de la croissance

Même si le terme de « décroissance » a été forgé récemment, l’histoire des principes qu’il sous-tend est liée à la « critique culturaliste » de l’économie des années soixante et à sa « critique écologiste » des années soixante-dix.
La première critique s’en prend à la théorie économique qui réduit l’être humain au simple homo economicus, c’est-à-dire l’homme qui adopte toujours des comportements rationnels en vue de maximiser sa propre utilité en utilisant au mieux ses ressources. Ainsi, après l’échec des politiques de coopération et de développement qui leur ont été imposées, les pays du Sud commencent à remettre en question la société de consommation et ses piliers : le progrès, la science et la technique. En même temps, au Nord comme au Sud, on commence à prendre conscience de la crise de l’environnement, et de la nécessaire prise en compte de la question écologique au sein de l’économie.

Nicholas Georgescu-Roegen, souvent considéré comme le père de la décroissance, fonde dans les années 1970 une nouvelle vision de l’économie – la bioéconomie – et affirme l’inéluctabilité de la décroissance pour réduire l’impact de l’activité économique sur le « système Terre », qui en tant que système isolé est soumis à la loi de l’entropie (la quantité d’énergie-matière dans un système isolé se dégrade avec le temps jusqu’à la mort du système).

Le premier but de la décroissance est d’abandonner l’idolâtrie de la croissance illimitée, qui est alimentée par la recherche du profit par les détenteurs du capital et qui provoque des dommages irréparables sur l’environnement et donc sur l’humanité.
Pour clarifier les choses, il conviendrait de parler d’altercroissance ou de « a-croissance », comme on parle de « a-théisme » par exemple, plus que de « dé-croissance », puisqu’il s’agit d’abandonner la religion de l’économie, du progrès et de la croissance.
On utilise pourtant « décroissance » comme un slogan visant à provoquer ceux qui continuent à faire confiance à la croissance ; ce n’est pas un concept ni une théorie univoque, mais plutôt un drapeau qui guide tous ceux qui procèdent à une critique radicale du productivisme et du capitalisme. Toutefois, il ne faut pas tomber dans le simplisme et réduire ces idées à la seule décroissance économique, mais faire remarquer que « récession » et « décroissance » ne sont pas synonymes : l’une se réfère à une période de choc dont on veut sortir, l’autre marque un choix conscient et collectif de changer de logique de vie, donc de sortir de la société de consommation fondée sur la publicité qui vise à créer des besoins artificiels, sur le crédit qui permet de les satisfaire et sur les stratégies ayant pour objectif de réduire la durée de vie des produits pour accélérer leur remplacement (l’obsolescence programmée).