Copenhague et l’expérience sud-africaine : parallèles allégoriques sur la scène mondiale

, par SACSIS , ASHTON Glenn

 

Ce texte, publié originellement en anglais par SACSIS, a été traduit par Samantha Breitembruch, traductrice bénévole pour rinoceros. Il est daté du 16 décembre 2009, quelques jours avant la clôture de Copenhague

 

Plus une réunion compte de participants, plus il est difficile d’atteindre le consensus. En conséquence, le système de négociations des Nations Unies, fondé sur la méthode du consensus et démesurément influencé par les riches pays du G8, rend l’accord difficile.

De gros ateliers ne donnent que de maigres résultats même après qu’un fragile consensus a été atteint. Les accords conclus pendant le Sommet Mondial sur le Développement Durable ont en grande partie été abandonnés. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement et les promesses associées du G8 ont pris du retard.

Le dernier atelier de Copenhague, COP 15, – ou Quinzième Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique – vise à parvenir au prix d’âpres discussions à un accord sur la réduction des gaz à effet de serre. Rarement une conférence a autant attiré l’attention, à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Atteindre un consensus à 192 nations participantes sera aussi difficile qu’important.
Tandis qu’il existe un solide consensus scientifique sur le fait que le changement climatique induit par l’homme (anthropique) représente une réelle menace, reste qu’un lobby puissant et démesurément influent a déployé des trésors de ressources pour saper ce consensus.

L’absurdité du « Climategate », qui a utilisé hors de leur contexte des citations choisies issues de courriels piratés et volés pour créer l’illusion d’un complot, n’est rien de plus qu’une diversion. Le « Climategate » ne prouve qu’une seule chose : que ceux qui sont opposés à un accord sont à la fois grassement financés et dogmatiquement non scientifiques.

De façon encore plus prégnante, le « Climategate » souligne clairement ce que l’auteur et analyste Naomi Klein a dénommé une « guerre de classes ». Dans une interview donnée au cours du sommet, elle déclare « la négociation qui a commencé ici a pour enjeu le vrai visage de l’environnementalisme, une guerre des classes que les riches livrent aux pauvres. »

Pourtant, Klein échoue a donner un contexte historique plus complet. Friedrich Engels (le même que celui du Manifeste du Parti communiste…), remarqua cette réalité il y a plus d’un siècle et demi quand il écrivit sur l’exploitation non seulement des travailleurs, mais aussi de l’environnement par les forces du capitalisme. L’impasse n’est pas nouvelle ; pourtant, la replacer dans le contexte révèle quelques raisons de la polarisation continue des positions prises et soutenues à Copenhague.

La conférence de Copenhague a mal démarré avec la fuite du document connu sous le nom de « Texte danois », rédigé en secret et sans consultation, qui aurait non seulement mis sur la touche les Nations Unies en tant qu’organe de mise en œuvre, mais aurait également confié à des institutions néolibérales comme la Banque Mondiale, conjointement avec les pays riches, la tâche de relever les défis.

Le Texte danois a souligné la connivence perfide entre les grandes entreprises et les Etats. Le tollé qui s’en est ensuivi l’a vu reléguer aux poubelles de l’histoire. Mais cela ne signifie pas que les perspectives de Copenhague soient bonnes.

Elles sont en fait aussi maussades que le climat danois en hiver. L’Afrique du Sud a joué un rôle très controversé en sapant la prétendue unité du Groupe des 77 et en érodant son rôle potentiel d’agent de cohésion. En se rangeant naïvement du côté des intérêts industriels et en affaiblissant la très menacée Alliance des Petits Etats Insulaires (AOSIS), la crédibilité de notre équipe de négociations en tant que conciliateur a volé en éclats. Nos vaines offres de réduction d’émissions sont en effet un rideau de fumée pour que rien ne change pendant les deux décennies à venir. Le fait qu’elles soient soutenues par Greenpeace ne fait que mettre en lumière la position de plus en plus compromise de cette organisation.

Pourtant, rien de tout cela ne devrait nous surprendre. Tandis que nous avons d’excellents et habiles négociateurs, notre dépendance au charbon demeure l’élément central de nos politiques énergétiques archaïques. La position centriste néolibérale du gouvernement de l’ANC, mise en perspective avec notre effarant coefficient GINI, est un reflet allégorique des positions du Nord riche, juxtaposé à la position prise à Copenhague par le Sud en développement.

La duplicité de notre position de négociation à Copenhague reflète simplement l’hypocrite projection que nous avons de nous-mêmes en tant qu’État progressiste, favorable aux pauvres en matière de développement, tandis que nous continuons à courtiser dans notre pays les acteurs du marché libre en poursuivant des politiques néolibérales.

La complicité confortable entre l’État et Eskom, cinquième plus grande entreprise d’électricité au monde, continue non seulement à empêcher tout projets d’énergie durable ou renouvelable de voir le jour, mais elle souligne encore le caractère erratique de nos politiques énergétiques.

Eskom reste le responsable fondamental de l’échec du déploiement des chauffe-eau solaires en Afrique du Sud. Leur système de contrôle impraticable et centralisé, ainsi que leur bureaucratie, ont davantage œuvré pour empêcher l’installation de l’eau chaude solaire que pour l’encourager. C’est une démonstration de la façon dont on voue un projet à l’échec. Inutile d’examiner comment Eskom n’a eu de cesse de contrecarrer les start-up d’énergie renouvelable qui menacent son monopole.

Notre gouvernement est clairement complice de la lutte des classes sur l’énergie dont parle Klein. De la même façon que notre gouvernement et Eskom ne veulent pas voir de changement, les nations développées du monde continuent à ne laisser aux pauvres que des miettes en guise de récompense. Les coûts réels du changement climatique pour le monde développé sont évalués entre 100 milliards de dollars et un billion de dollars par an selon les chiffres auxquels on se fie. Un rapport évalue les seuls coûts pour les ports du monde à plus de 28 billions de dollars avant 2050.

Pendant la première semaine de la conférence, 10 milliards de dollars par an, dont la plupart avait déjà été engagée, ont été offerts en guise de compensation à l’ensemble des pays du Sud. Ayant secouru les banques et les systèmes économiques en faillite à coups de billions de dollars, et ayant financé la guerre en Irak avec encore plus de billions, cette offre paraît insultante et dérisoire.

Cette impasse globale entre riches et pauvres est analogue à l’impasse interne de l’Afrique du Sud. D’un côté, une politique énergétique innovatrice et progressiste, de l’autre le mariage très profane entre un Eskom en complet dysfonctionnement et un establishment politique plus intéressé par le partage des bénéfices de la mine de charbon BEE de Mpumalanga et par le maintien de copains à la tête d’Eskom que par le vrai développement et les politiques progressistes.

Les dysfonctionnements de nos politiques énergétiques sont tels que nos centrales électriques à charbon manquent d’eau et sont par conséquent subventionnées par des projets d’approvisionnement massif en eau déguisés en projets de développement favorables aux pauvres, alors qu’ils sont tout le contraire. Des subventions cachées à l’activité minière et à l’industrie de l’aluminium sont ainsi financées par les caisses de l’État , avec pour résultat de gonfler le prix de l’électricité payé par le consommateur.

Si Copenhague doit tenir ses promesses, le monde riche aura à offrir une compensation sérieuse à l’ensemble des pays du Sud pour des décennies d’exploitation. La Chine a eu des années de balances de paiement positives et ne peut plus être avare. Pas plus que l’OCDE, le G8 et l’ensemble des pays du Nord. Les pays de l’Alliance des Petits Etats Insulaires risquent d’être anéantis par ce qui équivaut à un génocide écologique et donc une affaire criminelle.

Nous ne pouvons plus accepter la polémique artificielle du « Climategate » entretenue par la coalition néolibérale négationniste qui unit entreprises et politiques comme la promotion de quoi que soit d’approchant un débat objectif. Leur mensonge doit être écarté avec le mépris qu’ils méritent ou ignoré.

Le Nord a atteint son stade avancé de développement en exploitant une énergie sale et bon marché et des ressources sur le dos des pauvres. L’externalisation incessante des impacts de la consommation de carburants fossiles ne peut plus être supportée par le Sud.

L’élévation du niveau de la mer, la fonte des glaces, l’approvisionnement réduit en eau dû à la rupture des modèles climatiques menacent déjà les nations en développement. L’Afrique, déjà pauvre, risque d’être sérieusement affectée. Tandis que de riches entreprises et nations pillent le pétrole et les carburants fossiles d’Angola, de Guinée équatoriale, d’Afrique du Sud, du Tchad et du Nigeria, leurs peuples restent opprimés par des intérêts intrinsèquement liés à ceux qui tiennent les rênes mondiales de l’énergie.

Si l’Afrique du Sud doit jouer un rôle significatif à Copenhague, ou plus généralement dans de futures discussions sur le développement et sur l’égalité dans le monde, nous devons développer une perspective bien plus mûre et plus nuancée pour guider nos politiques. Nous perdrons toutes les occasions qui se présenteront à Copenhague si nous continuons à nous plier aux caprices du marché global et du modèle économique mondial, qui, bien que chancelant, n’en est pas moins dominant.

On peut se demander si le gouvernement Zuma peut tenir ses promesses électorales. Le Cadre stratégique à moyen terme présentait une vision progressiste et empreinte de maturité, mais peut-il être mis en œuvre ? L’Afrique du Sud ne peut pas continuer à dire une chose et à en faire une autre, à la fois localement et sur la scène internationale. Notre positionnement allégorique de miroir du monde nous donne un avantage que nous ne devrions pas gaspiller à des fins politiques ou financières à court terme.