La Bolivie en crises : quel espoir ?

Consommer Bio en Bolivie : l’expérience innovante de l’AOPEB

, par CDTM 34, RECIDEV

La plupart des produits biologiques des pays du Sud sont destinés à la consommation dans les pays du Nord où ils y sont souvent transformés, comme le café, le cacao ou le thé. De ce fait, la majeure partie de la valeur ajoutée profite peu aux producteur·rices du Sud.

Qu’en est-il exactement de la transformation, de la commercialisation et de la consommation de produits biologiques au sein même des pays du Sud ? Existe-t-il des initiatives pour les développer, en faveur des producteur·rices locales·aux ?

L’AOPEB

C’est pour répondre au besoin de fédérer les acteur·rices des filières bio et équitables que 6 organisations de producteur·rices biologiques ont créé en 1991 l’association des organisations de producteurs biologiques de Bolivie, l’AOPEB (Association des organisations de producteurs biologiques). Sa mission est de participer à la construction d’une société durable en impulsant la formation, le renforcement et le développement d’un mouvement agro-écologique qui influe et prend part aux prises de décision de l’État et de la société (statuts de l’AOPEB).
Après 33 ans d’existence, l’AOPEB rassemble aujourd’hui 85 membres et regroupe environ 70 000 producteur·rices.

Les enjeux

Les organisations de producteur·rices se structurent en Bolivie dans les années 1970-1980. Le commerce équitable se développe dans le pays à partir de 1985. Les premières exportations de produits biologiques puis équitables apparaissent ensuite à partir de 1990. Les primes à la production biologique et/ou équitable apportent un surplus économique non négligeable pour les petit·es producteur·rices.
Cependant, pour exporter, les producteur·rices doivent être inséré·es dans une organisation bien structurée, maniant des volumes importants et capable de faire respecter les critères des certificateurs internationaux et d’en payer le coût.

Acteur·rices boliviens du bio

Les acteur·rices de la filière des produits biologiques en Bolivie sont très divers et peuvent être rassemblés en 4 catégories :

  • OP (Organisations de producteur·rices) exportant des produits certifiés (café, cacao, quinoa…), généralement de plusieurs centaines de membres avec des marchés assurés et souvent liés également au commerce équitable ;
  • Petites OP vendant des produits non certifiés et généralement peu transformés sur le marché national (miel, fruits séchés, herbes aromatiques…) ;
  • Micro-entreprises achetant à des producteurs (organisés ou individuels) et proposant des produits transformés sans certification au niveau national ;
  • Entreprises de taille plus importante qui achètent à des OP et qui exportent leurs produits transformés (pâtes, dérivés de quinoa…) avec certification.

Cadre légal et certification

En novembre 2006, le président bolivien Evo Morales a promulgué une loi sur la « Régulation et la promotion de la production agricole et forestière non-ligneuse écologique » dont le projet avait été initié en 2003 par l’AOPEB. Cette loi confirme l’engagement du gouvernement à promouvoir, consolider et encadrer la filière des produits biologiques. Elle prévoit une certification par l’AOPEB pour le commerce national. La loi vise aussi à promouvoir le commerce équitable.
Par contre, les produits destinés à l’exportation, comme le café, le cacao ou le quinoa, sont déjà certifiés par des organismes certificateurs indépendants respectant les cahiers des charges internationaux, comme Bio Latina, Imo Control ou Bolicert. Le marché international du bio sur ces produits a provoqué une envolée des prix et rendu leur consommation pratiquement impossible pour les populations locales.
Pour les produits biologiques vendus à l’intérieur du pays, les producteur·rices n’ont pas intérêt à payer une certification coûteuse autorisant l’exportation. Il n’existe donc pas de certification pour les produits nationaux, n’importe qui peut apposer le mot écologique ou biologique sur son produit ; ce cadre légal reste inchangé en 2020.

Les différentes initiatives de commercialisation nationale

Il existe différentes initiatives de commercialisation de produits biologiques en Bolivie. La plupart des petites et moyennes OP effectuent des ventes sur leur lieu de production. Certaines OP qui font de l’exportation vendent également une partie de leurs produits en Bolivie comme la coopérative El CEIBO qui possède un réseau national de boutiques.
Quelques entreprises commercialisent les produits biologiques ou naturels : une entreprise achète la matière première aux producteur·rices, la conditionne sous sa propre marque, puis la vend au travers de son réseau national.

Le projet « Súper Ecológicos »

Le projet SE (Súper Ecológicos) fut initié par l’AOPEB en 1999 afin de dynamiser la production et la transformation de produits biologiques de qualité et de leur ouvrir des marchés au niveau national et à plus long terme international. Le tout en vue d’améliorer les conditions de vie des petit·es producteur·rices des organisations membres d’AOPEB. De manière générale, le projet s’intègre au mouvement favorisant le développement durable en Bolivie. Il est co-financé depuis 2003 par l’AOPEB, l’Union européenne et la région wallonne de Belgique.

Le projet « Súper Ecológicos » connaît un large succès et continue de grandir. Il rassemble des acteur·rices de tous les métiers de la chaîne de commercialisation et a un effet structurant fort sur la filière nationale des produits biologiques. Son impact se répercute au niveau des organisations de producteurs, leur donnant des moyens de professionnaliser leur commercialisation et de diversifier leurs débouchés. Il est particulièrement intéressant pour les petites et moyennes OP qui n’ont pas la capacité suffisante pour exporter ou qui ont des produits de consommation exclusivement locale. Les OP elles-mêmes devraient atteindre un plus grand niveau de transformation. Des connections avec des entreprises locales de transformation, à des conditions décentes pour les producteurs, seront également recherchées.

Positionnant une fédération de producteurs (AOPEB) à l’interface entre production et vente de produits transformés, ce projet ouvre les prémisses d’un dialogue interprofessionnel au sein de la filière biologique. Il questionne également sur le positionnement d’une association par rapport à des activités lucratives.
Le marché bolivien du bio, encore peu important, montre une progression forte qu’il faudra suivre avec attention pour en mesurer l’impact sur les producteurs eux-mêmes.

Les divergences de vision du projet qui peuvent encore exister soulignent l’importance qu’à tous les niveaux soit effectué un véritable travail de communication et d’échange de l’information afin que chacun·e puisse comprendre les choix effectués, y participer et les accepter.

C’est là tout le défi de ce projet innovant qui permet à des organisations ayant une logique coopérative ou associative, essentielle pour favoriser l’amélioration des conditions de vie des petit·es producteur·rices, de se professionnaliser et de trouver de nouvelles possibilités de débouchés commerciaux. Cette expérience pourrait être une source d’inspiration pour la construction d’une filière de ce type dans d’autres pays où une frange de la population pourrait être de plus en plus intéressée par la consommation de produits issus de l’agriculture biologique.