Démocraties sous pression. Autoritarisme, répression, luttes

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Combattre l’autoritarisme en Afrique : quels défis ?

, by Tournons La Page , AMEGANVI Brigitte, DUARTE Laurent

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Depuis les années 1990, avec la tenue de conférences nationales ayant conduit à la mise en place du multipartisme dans de nombreux pays africains, les organisations de la société civile (ONG de défense des droits ; organisations confessionnelles ; associations humanitaires ou syndicats…) sont devenues des actrices incontournables du jeu politique et social. Mais, cette place et leur capacité de participation politique sont combattues avec vigueur par des régimes autoritaires ou dictatoriaux. Face à cette situation, de nouveaux mouvements citoyens plus jeunes et informels s’allient à des organisations plus traditionnelles et se coalisent au niveau régional ou international pour faire entendre la voix des citoyen·nes. Alors que le recul démocratique est notable partout dans le monde et notamment en Afrique, ces nouveaux acteurs jouent un rôle majeur dans la lutte pour la démocratie, tout en agissant activement pour la mise en place concrète de politiques publiques capables de sortir leurs pays de la pauvreté et de la dépendance internationale. Comment les citoyen·nes peuvent-ils retrouver le goût de la participation à la vie collective et s’engager dans des contextes d’une telle violence et dans des dictatures parfois en place depuis plus de 50 ans ? C’est tout l’enjeu pour le mouvement Tournons La Page (TLP).

Un combat international pour la dignité et contre la fatalité

Tournons La Page est un mouvement citoyen transcontinental qui regroupe des membres de la société civile d’Afrique et d’Europe dans le but de promouvoir la démocratie sur le continent africain. Il est présent au Burundi, au Cameroun, au Congo-Brazzaville, en Côte d’Ivoire, au Gabon, en Guinée, au Niger, en République Démocratique du Congo, au Tchad et au Togo, et regroupe pas moins de 240 organisations ou réseaux associatifs. On estime à près de 3 000 le nombre de militant·es actif·ves au sein du réseau. Tournons La Page, comme d’autres mouvements citoyens, rêve d’une Afrique, mais plus largement d’un monde, où la démocratie (non pas seulement dans sa forme institutionnelle mais en tant qu’éthique citoyenne permanente) est effective pour tou·tes les citoyen·nes.

Un manifestant togolais porte un t-shirt affirmant « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». La lutte pour la limitation des mandats présidentiels est transversal à de nombreux pays subsaharien. Crédit : Pascal.van (CC BY-SA 2.0)

« Le multipartisme, et sous-entendu la démocratie, est un luxe pour l’Afrique », affirmait Jacques Chirac au début des années 1990. C’est à cette assertion condescendante et fataliste que s’opposent les militant·es pro-démocratie de Tournons La Page et de nombreuses autres plateformes. Il est question pour elles et eux de retrouver une fierté nationale et régionale et de combattre les rengaines habituelles qui enferment le continent entre un eldorado à explorer (l’Afrique émergente) et une terre damnée (l’Afrique des conflits permanents et de la misère). Les populations de nombreux pays d’Afrique se sentent prises en otage par le pouvoir en place. 90 % des Gabonais·es, des Togolais·es ou des Équato-guinéen·nes n’ont connu qu’une seule famille à la tête de l’État ! Depuis 2015, de nombreux présidents en place, atteints par la limite d’âge ou de mandat, tentent de réformer la Constitution pour rester au pouvoir (Congo, Rwanda, Burundi, Togo, Guinée, Côte d’Ivoire…). Depuis 2000, 13 chefs d’État ont changé la constitution pour se maintenir au pouvoir et à chaque fois qu’ils commettent ces « coups d’État constitutionnels », ce sont des dizaines ou centaines de citoyen·nes qui meurent dans les manifestations qui s’y opposent. Ces coups de force ne sont pas qu’une formalité juridique ; ils sont source d’instabilité et de violence. Ils enterrent aussi les espoirs de renouvellement de la classe politique que nombre de citoyen·nes appellent de leurs vœux. Une étude d’Afrobarometer de 2015, réalisée dans 30 pays, a révélé que la vaste majorité des Africain·es était en faveur d’une limite des mandats présidentiels à deux mandats. Et selon l’Africa Center for Strategic Studies, sur les 21 pays africains qui ont maintenu les limites de mandats dans leur constitution, les chefs d’État ne sont au pouvoir que depuis 4 ans, en moyenne. Par contre, le temps moyen au pouvoir pour les 10 dirigeants africains qui ont éludé la limitation de mandats est de 22 ans. La suppression de la limitation du nombre de mandats sape la confiance des populations, accroît la concentration du pouvoir entre les mains d’un chef d’État ou d’une poignée d’individus et réduit de ce fait l’espace politique. Généralement assise sur une armée muée en garde prétorienne, cette tendance entraîne finalement des risques accrus de tension, de violence politique et même de conflits civils.

La mission fondamentale de Tournons La Page est de contribuer à l’organisation et au développement de collectifs nationaux et régionaux dans le but de rassembler la plus large alliance possible pour s’opposer aux dictatures et prôner un modèle démocratique, devenu au fil des ans alternatif. En Europe, les partenaires ou organisations membres, notamment issus de la diaspora africaine, doivent s’organiser pour soutenir et donner de la visibilité aux initiatives africaines et contribuer à ce que nos dirigeant·es acceptent d’intégrer les droits humains et le respect de la démocratie au cœur de leur action internationale. Ainsi, tant au niveau africain qu’au niveau européen, il s’agit d’œuvrer en collectif à l’ouverture de l’espace démocratique et de contribuer à l’acceptation de la société civile engagée comme une actrice incontournable dans la formulation des politiques publiques.

L’action de TLP est conduite par la volonté de casser les piliers des pouvoirs autoritaires : le pouvoir politique (élections, institutions et responsables politiques), le pouvoir économique (corruption, népotisme, complicité internationale…) et le pouvoir répressif (armée, polices, services de renseignement, délation et autocensure). Cette approche globale du combat contre les dictatures repose sur tout l’arsenal d’actions non-violentes à disposition des militant·es : boycotts, manifestations, sit-in, actions de sensibilisation, actions judiciaires… Dénoncer la collusion entre dirigeant·es autoritaires et multinationales, qui se traduit par une évasion fiscale massive, c’est par exemple se porter partie civile dans une affaire impliquant Orano (ex-Areva) et des dirigeant·es politiques de premier plan au Niger ou attaquer la collusion dans le marché minier en Guinée. Refuser la répression, c’est saisir les commanditaires et responsables de violations des droits devant la justice nationale ou internationale. Se battre pour la transparence des élections et œuvrer à une possible alternance par les urnes passe par une mobilisation citoyenne multiforme tout au long du processus électoral. Celle-ci peut prendre la forme d’actions visant à obtenir une Commission électorale nationale équitable et vraiment indépendante ou à sensibiliser les citoyen·nes, et surtout les jeunes adultes, à s’inscrire sur les listes électorales. Le développement d’applications mobiles de décompte alternatif des votes ou un déploiement de tentes offrant une collation gratuite devant les bureaux de vote pour inciter les citoyen·nes à rester surveiller le décompte font également partie de cette palette d’actions citoyennes, souvent perçues comme hostiles par des autocrates qui se maintiennent au pouvoir grâce à la fraude électorale.

Un nouveau panafricanisme

Les expériences des mouvements sociaux au Burkina Faso en 2015, lors des Printemps arabes ou, plus récemment, en Algérie et au Soudan, inspirent les membres de Tournons La Page. Quand ailleurs, face à des régimes autoritaires ou dictatoriaux en place depuis des décennies, les citoyen·nes tentent pacifiquement de faire entendre leurs voix et d’ouvrir la voie vers une transition démocratique, cela infuse dans le réseau. Les échanges s’animent, les expériences se partagent et sont analysées. Il n’y a pas de recette miracle, mais la multiplication des foyers de contestations pacifiques depuis quelques années sur le continent apporte un espoir certain aux militant·es qui, au quotidien, subissent la violence d’État sous toutes ses formes.

Face à cette violence, communément partagée par les membres des 10 pays d’action de Tournons La Page, la solidarité s’organise et grandit. Un nouveau panafricanisme se bâtit, soutenu par des organisations européennes désireuses de voir advenir une internationale de la démocratie sur le continent. Comme l’a écrit Amzat Boukari-Yabara [1] dans son Histoire du panafricanisme, TLP incarne bien ce nouveau slogan panafricain : « Don’t agonize, organize ! ».

Cette structuration des organisations de la société civile est devenue un impératif. Et ce d’autant plus que les chefs d’État, eux, s’organisent pour tirer parti des organisations sous-régionales et régionales existantes que la jeunesse africaine militante considère désormais comme un syndicat de chefs d’État. Et cette jeunesse s’organise pour le faire savoir, lorsqu’elle fait observer, par exemple, que le protocole additionnel de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) sur la démocratie et la bonne gouvernance n’est dégainé que pour sanctionner les insurrections populaires appelées coups d’État civils ou coups d’État militaires. Pourtant, les membres du syndicat se congratulent chaleureusement lorsque l’un des leurs réussit un coup d’État constitutionnel et transforme l’essai par une victoire au 1er tour d’élections frauduleuses – technique désormais qualifiée de « coup KO ». Même au prix de dizaines de vie humaines dont nul ne se préoccupe, le président à vie finit ainsi de cadenasser la ceinture qui l’attache au pouvoir. Et pourtant, ces institutions régionales et sous-régionales ne volent jamais au secours des peuples lorsque sont foulés aux pieds les droits, ainsi que la démocratie et la bonne gouvernance, pourtant reconnus dans les textes comme conditions sine qua non de stabilité, de développement inclusif et d’intégration économique. Quant aux missions d’observation électorale de quelques dizaines d’observateur·rices, commanditées à grands frais par ces instances régionales ou sous-régionales, elles observent, et suivant la formule consacrée, affirment systématiquement en fin de mission que « quelques irrégularités mineures ont été observées çà et là mais ne sont pas de nature à remettre en cause la crédibilité du scrutin ».

L’idée d’une jonction des actions des différentes coalitions d’organisations africaines fait donc son chemin. La sévérité des sanctions infligées dans un premier temps au peuple malien avant que la CEDEAO ne fasse machine arrière, les coups d’État constitutionnels suivis de coups de force électoraux en Guinée et en Côte d’Ivoire ont fait prendre conscience de la nécessité d’œuvrer, collectivement, à la mise en place concrète et urgente d’une CEDEAO ou d’une Union Africaine des Peuples.

Querelle des anciens et nouveaux

Des acteur·rices aussi différent·es que des organisations d’Église, des syndicats, des rappeurs, des diasporas, se parlent (242 associations et mouvements adhèrent à la campagne). Non sans difficultés parfois. La dimension générationnelle est particulièrement marquée dans le mouvement Tournons La Page et dans les organisations qui le composent. Certain·es des leaders, notamment en Afrique Centrale, sont plutôt en fin de carrière militante et font figure de précurseur·ses. D’autres, notamment en Afrique de l’Ouest et dans les Grands Lacs, ont moins de 40 ans, et représentent une nouvelle frange de la société civile. Sur le continent le plus jeune de la planète, dirigé par les présidents les plus âgés, une partie de la jeunesse, urbaine éduquée mais pas uniquement, s’affirme en tant qu’actrice politique en dehors des partis politiques qui sont perçus comme des espaces de clientélisme et d’enrichissement personnel. Comme le rappelle le sociologue Richard Banégas dans de nombreux ouvrages, notamment sur la Côte d’Ivoire, cette génération plus jeune se dit que c’est désormais son tour. [2]

Avec très peu de moyens mais une énergie débordante, ces militant·es plus jeunes multiplient les initiatives dans l’espace public. Leurs structures sont souvent plus fragiles sur le plan institutionnel (comptabilité, sources de financements, gouvernance) mais leurs actions plus innovantes et en adéquation avec les besoins des citoyen·nes les plus démuni·es (« les bas des en-bas »). Les ONG et les militant·es plus installé·es, ayant commencé leur combat pour la démocratie dans les années 1990 avec les conférences citoyennes, jouissent d’une pérennité plus grande et d’un accès plus facile aux leviers financiers et politiques internationaux. Ces deux types de structures sont extrêmement complémentaires, bien que parfois difficiles à concilier. Le Secrétariat international du mouvement et de la gouvernance partagée qui est mise en place dans TLP est justement là pour permettre cette complémentarité. En renforcement des membres et des collectifs, le Secrétariat international permet de combattre un tant soit peu les risques liés au manque de rétribution du militantisme ou aux difficultés à penser les stratégies à long terme, au-delà des pics de mobilisation que représentent les élections ou les contestations sociales.

Faire face à la répression

Le mouvement Tournons La Page est régulièrement réprimé pour ses actions de défense des droits et de promotion de la démocratie. En Guinée, au Niger, au Cameroun, au Tchad ou en RDC, des actions menées conduisent régulièrement les militant·es en prison. Par exemple, le coordinateur de TLP Niger, en trois ans et demi d’activisme, a connu trois fois la prison et passé 13 mois de sa vie en cellule. À chaque fois, son dossier était vide et il a été complètement relaxé. La solidarité entre les membres est la première des protections. Au niveau national, des collectifs d’avocat·es sont constitués et prêts à agir en justice à chaque atteinte aux droits des membres. Au niveau international, des groupes d’actions rapides existent pour chaque pays et permettent à TLP d’être rapidement soutenu par des ONG de poids telles qu’Amnesty International, la FIDH ou l’ACAT-France en cas de violations des droits des militant·es. Mais les pouvoirs publics africains usent de diverses formes de répression, toujours plus sophistiquées, notamment dans le domaine du numérique. Ainsi au Togo, Le Monde et The Guardian ont révélé que des figures dissidentes connues, dont le coordinateur de TLP Togo, ont été espionnées grâce au logiciel israélien, Pegasus. Au Togo toujours, la police a empêché trois ressortissants ouest-africains membres du mouvement de se rendre sur le territoire pour le lancement de TLP dans le pays, au motif qu’il s’agirait d’une organisation sans existence légale. Au-delà de la raison ubuesque brandie par le ministre de la sécurité nationale, cette décision est en complète violation du Protocole sur la libre circulation des personnes de la CEDEAO. Enfin, sous prétexte de l’insécurité liée au terrorisme, des manifestations organisées par TLP Niger ont été interdites à 24 reprises entre janvier 2018 et décembre 2019.

La diaspora togolaise à Paris manifeste contre le régime en place. Crédit : Pascal.van (CC BY-SA 2.0)

Les modes de répression utilisés par un dictateur peuvent être empruntés pour être utilisés dans un autre contexte. Ces dernières années, des lois restrictives sur le droit d’association, sur la cybercriminalité ou la lutte contre le terrorisme essaiment partout en Afrique pour contraindre le travail des voix dissidentes. Les chefs d’État sont solidaires entre eux et captent des institutions régionales comme la CEDEAO qui pourtant disposent de textes parmi les plus propices à la démocratie dans le monde.

Le rétrécissement de l’espace civique pour cause de pandémie du Covid-19 est un phénomène universel consécutif aux mesures de distanciation sociale. Dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, bien que les conséquences de la pandémie aient été largement en deçà des catastrophes prévues, l’état d’urgence sanitaire a été le prétexte de restrictions de libertés : de manifestation, de réunion, d’information et de circulation. La crise sanitaire a ainsi été, pour plusieurs gouvernements, une aubaine pour faire taire les voix dissonantes, notamment en emprisonnant des activistes pro-démocratie.

Aujourd’hui plus que jamais, l’un des enjeux des militant·es pro-démocratie sur le terrain, d’abord pour se protéger puis pour faire vaciller le pilier sécuritaire des régimes en place, est d’obtenir qu’une partie des forces de l’ordre rallient leurs mots d’ordre et partagent leur frustration. C’est ce basculement difficile qui s’est opéré au Soudan récemment. Mais les dirigeant·es africain·es apprennent des erreurs des autres et mènent une répression féroce, conforté·es dans leurs actions par le silence de la communauté internationale. Obsédés par la lutte contre le terrorisme et la limitation des « flux migratoires », les gouvernants occidentaux sont prêts à soutenir tout autocrate perçu comme un allié face à ces problèmes.

Ouvrir le champ des possibles et libérer l’imagination créatrice 

C’est à chaque peuple qu’il revient de définir sa trajectoire, suivant son histoire, sa culture et son imagination créatrice. C’est pour cela que le mouvement TLP laisse une grande autonomie à chaque coalition nationale pour produire sa vision politique et mener des actions en phase avec leur contexte. Mais quelques mesures pour ancrer une véritable alternance porteuse de démocratie sont partagées par le mouvement depuis sa création et confortées depuis :

  • 1. La justice économique : obtenir la transparence sur le budget de l’État, les contrats avec les multinationales et les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ; lutter contre toute forme de népotisme, de clientélisme et de corruption. C’est le sens des actions engagées par certaines coalitions à la suite d’un long travail de documentation des violations des droits économiques et sociaux des populations, voire des droits fondamentaux des militaires au Niger, que ce soit dans l’affaire dite de l’uranium-gate ou dans celle des détournements des fonds alloués à la lutte contre le terrorisme. C’est aussi le cas, pour l’implication TLP-RDC dans le dossier de la spoliation brutale des citoyens de Mbobero dans le sud Kivu ;
  • 2. Faire respecter des normes républicaines : dans les nominations aux postes de commandement militaire et policier et dans les nominations des magistrats, indépendamment du pouvoir politique ;
  • 3. Protéger et élargir l’espace civique et démocratique : promouvoir et défendre la liberté d’opinion, de presse et de manifestation sans préalable autre que l’information de l’autorité administrative. Se protéger des lois liberticides qui réduisent à peau de chagrin la liberté d’association ou de réunion, même dans des lieux privés. Il s’agit à la fois de desserrer l’étau des pouvoirs centralisés et de mettre des acteur·rices des zones isolées en capacité de démultiplier les actions, ainsi que d’être présent au plus près des besoins de citoyen·nes. C’est pourquoi, depuis deux ans, un axe prioritaire consiste à développer le maillage territorial de TLP, à bâtir un maximum d’alliances nationales, régionales et internationales et à veiller au renforcement des compétences et capacités d’action des organisations membres ;
  • 4. Renforcer les contre-pouvoirs que sont les Commissions Électorales Indépendantes ; les Cours Constitutionnelles ou les Institutions Nationales des Droits Humains. Cela implique de ne pas hésiter à introduire des recours faisant appel aux instruments internationaux ratifiés par les États, lorsque les voies nationales de plaidoyer, de dialogue puis de protestation ont été épuisées, sans succès. Certes, les actions menées par des organisations de la société civile de Côte d’Ivoire n’ont pu contraindre les autorités ivoiriennes à modifier la composition de la Commission électorale nationale conformément à la décision de la Cour de justice de l’Union Africaine. Mais des initiatives comme celle-ci feront certainement jurisprudence et contribueront à situer les responsabilités si la crise électorale venait à s’aggraver.

Face au recul démocratique international, une nouvelle solidarité entre les peuples ?

Dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, le sentiment d’un retour à l’ère des partis uniques et des présidences à vie est prégnant. Après trois décennies au cours desquelles les autorités ont dû, sous la pression des associations locales et internationales, se soumettre à un contrôle citoyen de l’action publique dans le domaine des ressources minières notamment, les despotes africains pourraient se féliciter d’avoir définitivement repris la main. Mais nous vivons désormais dans un monde interconnecté et demain ne peut ressembler à hier. Par ailleurs, la plupart de ces pays sont déjà fragilisés par une menace terroriste dont ils font le lit, sans en avoir conscience, en privant la jeunesse de leur pays d’éducation et de perspective.

Certes, la pression du monde occidental en termes de conditionnalité de l’aide au développement s’est émoussée, face aux nouveaux challengers (Russie, Chine, Turquie…) qui grignotent de l’influence en Afrique subsaharienne et ne s’embarrassent pas des questions de démocratie, de droits humains et encore moins de protection de l’environnement. Mais prenons garde au feu qui couve sous la prétendue stabilité, au nom de laquelle ces dirigeants d’un autre âge se maintiennent en place.

L’Europe trahirait ses intérêts et ses valeurs à cautionner par son silence la perpétuation de régimes archaïques au sud du Sahara. Cet état de fait doit changer, par la mobilisation et la sensibilisation des citoyen·nes européen·nes. Une communauté de destin lie l’Afrique et l’Europe, c’est un fait. Mais, pour beaucoup, les agissements des dictatures dans ces pays relèvent de l’exotisme et n’auraient pas d’impact sur leurs vies quotidiennes. Aujourd’hui, le recul démocratique que vit aussi l’Europe pourrait peut-être ouvrir les yeux à ceux et celles qui pensent que la démocratie est un acquis, alors qu’elle est un combat perpétuel. Ce retournement de l’Histoire que nous vivons peut également être un électrochoc contre ceux et celles qui voudraient œuvrer à l’exportation d’un modèle politique, qui bien souvent fétichisent les élections et confondent alors représentation et démocratique.

Car in fine, en Afrique comme ailleurs, « pas de démocratie sans alternance », « pas de développement sans démocratie » et « pas de développement durable sans justice sociale » ; trois slogans qui résument à eux seuls l’évolution de l’action de Tournons la Page, en Afrique et ailleurs.