Cinq ans après l’incendie mortel d’une usine, les ouvriers de l’industrie textile du Bangladesh restent vulnérables

, par CRISLA

Il y a exactement cinq ans, en Novembre 2012, un feu à l’usine Tazreen Fashion au Bangladesh a tué au moins 112 ouvrières. Probablement causé par un court-circuit au rez-de-chaussée du bâtiment, le feu a rapidement gagné les neuf étages où des ouvrières du textile étaient piégées en raison de l’étroitesse ou de l’encombrement des issues de secours en cas d’incendie. Beaucoup sont mortes à l’intérieur du bâtiment ou alors qu’elles cherchaient à s’échapper par les fenêtres.

A peine cinq mois plus tard, l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza a tué 1134 ouvrières du textile et blessé des centaines de survivantes. Le Rana Plaza était un bâtiment commercial de huit étages qui abritait des unités de fabrication de vêtements à ses étages supérieurs. Le bâtiment qui s’est effondré avait déjà été évacué la veille après que des fissures aient été identifiées, mais la direction de l’usine avait forcé les travailleurs à retourner à leur poste sous la pression de délais d’expédition très serrés. Pendant l’heure de pointe de la matinée, le bâtiment s’est effondré sur lui-même comme un château de cartes.

Ces deux accidents et une série d’autres désastres dans des usines textiles en Asie du Sud a mis au jour les conditions de travail brutales dans l’industrie textile, et le coût fatal de « la mode rapide » pour les ouvriers qui produisent des vêtements selon des délais stricts pour des salaires très bas. Les années suivantes, beaucoup de nouvelles initiatives ont vu le jour pour améliorer la sécurité des usines et offrir une compensation aux ouvriers blessés et aux familles de ceux qui ont été tués.
L’Accord sur la Sécurité Incendie et la Construction au Bangladesh, un pacte de sécurité signé par les syndicats au niveau international et plus de 200 marques, a permis des avancées importantes pour rendre les industries textiles globalisées responsables de la sécurité des usines dans leurs chaînes de ravitaillement. Les mesures prises incluent une série d’inspections de bâtiments, des améliorations et des fermetures là où les bâtiments sont déclarés structurellement dangereux, tout comme une tentative de rendre les marques et les détaillants responsables par contrat de la sécurité des usines dans lesquelles les vêtements sont produits.

Mais cinq ans après, on n’en fait pas assez pour protéger les ouvriers du textile, et ces nouvelles initiatives ne sont pas allées assez loin pour prendre en compte les atteintes multiples à la santé et au bien-être quotidien des ouvriers. Les codes de conduite, utilisés continuellement par les entreprises d’habillement pour surveiller les conditions de travail de leurs fournisseurs, se focalisent étroitement sur la sécurité des bâtiments et les infrastructures physiques avec un a priori sur ce qui peut être vu et audité. Ces codes sont mal appliqués, de ce fait, les incendies et les effondrements de bâtiments continuent ; ils ignorent aussi beaucoup de choses qui menacent la santé des travailleurs et leur bien-être au quotidien. L’Accord sur la Sécurité Incendie et Construction au Bangladesh se focalise par exemple exclusivement sur les infrastructures physiques, en laissant de côté bien d’autres inconvénients qui affectent la santé des travailleurs quotidiennement et minent leur bien-être à long terme : de longues journées de travail, l’épuisement physique et corporel, des rythmes de travail intenses, le harcèlement, et l’absence de toute représentation significative. Tous ces problèmes et bien d’autres sont encore trop souvent invisibles.

Les risques quotidiens

Dans notre nouveau livre, Unmaking the Global Sweatshop : Health and Safety of the World’s Garment Workers, Hasan Ashraf, un anthropologue bangladais qui a mené un travail de terrain de six mois dans une usine de tricots de Dhaka, écrit sur la longue liste de risques quotidiens pour la santé dont il a été témoin : tout ce qui vient de l’inhalation de poussières et de fumées, le bruit, le manque de ventilation, les maladies des yeux, les douleurs musculo-squelettiques, le stress, l’exposition à la lumière, les fils électriques et les adhésifs chimiques. Ashraf a découvert que les travailleurs doivent choisir entre gagner leur vie et faire attention à leur santé, qui peut décliner rapidement pendant leur vie de travail, ce qui sape leur bien-être physique et mental à long terme.

De même, un rapport récent de l’ASBL Better Factories Cambodia a aussi conclu que de mauvaises conditions de travail ont contribué à une vague d’incidents d’évanouissements en masse parmi des ouvriers d’usine Cambodgiens – causés au moins en partie par l’épuisement, la trop forte chaleur et la malnutrition.

L’industrie de la mode rapide doit se rendre compte que pour les ouvriers du textile, la santé signifie plus que la simple absence de blessure. Elle comprend la santé physique, sociale et mentale, qui sont toutes menacées par le stress et des stigmates s’étendent bien au-delà de l’étage de la boutique et dans la vie des travailleurs longtemps après qu’ils aient cessé de travailler.
Tout le monde et toutes les organisations impliquées dans la chaîne d’approvisionnement globale en vêtements doivent ne pas seulement considérer les symptômes de mauvaise santé, mais aussi ses causes. Et une des causes principales est le système global de l’industrie lui-même, qui repose sur la délocalisation et la sous-traitance et occulte les coûts sociaux et les risques de la production de vêtements sur des travailleurs déjà vulnérables dans des pays comme le Bangladesh et le Cambodge.
Le bien-être futur des ouvriers du textile dans le monde repose sur une industrie qui accepte ses responsabilités à l’égard de ces gens- et qui comprenne que cette responsabilité s’étend bien au-delà de la sécurité structurelle des bâtiments dans lesquels ils travaillent.

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