Tunisie : que reste-t-il de la révolution aujourd’hui ?

Chronologie, histoire récente de la Tunisie

, par CDTM 34

L’histoire de la Tunisie, riche et mouvementée, est marquée par un brassage de cultures et de civilisations, notamment punique, romaine, berbère, arabe, turque, française et italienne qui s’y sont succédé et parfois affrontées. La Tunisie fait partie de l’espace maghrébin qui représente un enjeu important dès le XIXe siècle dans les politiques coloniales européennes, elle subit la domination française pendant 75 ans.

Habib Bourguiba, un président autocratique et moderniste

1956 : La Tunisie obtient son indépendance par l’abrogation du Traité du Bardo (1881) instaurant le protectorat de la France sur la Tunisie.
Adoption du Code du statut personnel, améliorant le statut des femmes.
Droit de vote des femmes et droit de se porter candidates aux élections.

1957 : Abolition de la monarchie et proclamation de la République par l’Assemblée constituante. Élection du président de la République Habib Bourguiba.

1959 : Adoption de la première Constitution qui instaure un régime présidentiel.

1975 : Après un amendement à la Constitution, Habib Bourguiba se fait proclamer président à vie par l’Assemblée nationale.

1983 Décembre - 1984 janvier : Émeutes du pain dans le sud du pays puis à Tunis.

Zine El-Abidine Ben Ali : 23 ans de règne sans partage

1987 : Le président Bourguiba est destitué par le Premier ministre, le général Zine El-Abidine Ben Ali, qui lui succède.

1990-2010 : Répression sévère contre les islamistes et le parti Ennahdha, contre les défenseur·es des droits humains et les opposant·es politiques.

2008 Janvier-juillet  : La population du bassin minier de Gafsa, au Sud-Ouest de la Tunisie, mène une révolte pacifique et réclame l’ouverture de négociations pour l’avenir de la région. Le gouvernement tunisien répond par une violente répression.

La révolution du peuple tunisien

17 décembre 2010 : À Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant, s’immole par le feu. La population de Sidi Bouzid se rassemble pour dénoncer le manque de travail et la vie chère. La révolte s’étend à tout le pays, réprimée violemment par les forces du gouvernement.

2011
Janvier : le président Ben Ali est chassé du pouvoir et s’enfuit en Arabie saoudite. Mohamed Ghannouchi, son Premier ministre, se déclare président de la République par intérim.
La mobilisation populaire entraîne la démission du gouvernement de transition. Mohamed Ghannouchi est remplacé par Béji Caïd Essebsi, plusieurs fois ministre sous Habib Bourguiba et Ben Ali, jusqu’à la formation du gouvernement issu des élections, en décembre 2011.
Mars : Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Ben Ali suspendu en janvier, est dissout. Le parti islamiste Ennahdha, interdit depuis 1990, est légalisé.
Mise en place de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique.
À l’issue de la révolution, plus de 200 partis sont légalisés.

Élection de l’Assemblée nationale constituante (ANC), premières élections libres dans l’histoire du pays - Ennahdha domine le champ politique

2011
23 octobre : L’Assemblée chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution est élue au suffrage universel. Ennahdha (parti islamiste) arrivé en tête, forme une coalition avec les deux partis arrivés derrière lui : le Congrès pour la République et Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et les libertés) [1], Cette troïka dirige le pays jusqu’à l’adoption de la nouvelle Constitution en 2014.
Décembre : Moncef Marzouki, militant des droits humains, rentré d’exil au départ de Ben Ali, est élu président de la République par l’ANC. Il nomme Hamadi Jebali (Ennahdha) chef du gouvernement et Mustapha Ben Jaafar (Secrétaire général d’Ettakatol) président de l’ANC.

2012
Juin : Création de Nidaa Tounès parti d’opposition anti-islamiste, par Béji Caïd Essebsi.

Vagues d’assassinats - Crise politique - Dialogue national

2013
Février : L’assassinat de Chokri Belaïd, défenseur des droits humains et chef de parti de gauche radicale, membre du Front Populaire, est suivi d’une grève générale à l’appel de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et d’une journée de deuil national. Nombreuses manifestations contre Ennahdha, le parti au pouvoir. Le Premier ministre Hamadi Jebali démissionne. Il est remplacé par Ali Larayedh, désigné par Ennahdha.
25 juillet-septembre : assassinat du député de gauche Mohamed Brahmi (courant populaire). Manifestations contre le régime. Les travaux de l’ANC sont suspendus par son président. Grève générale des journalistes dénonçant les atteintes à la liberté d’expression et d’information.
Octobre : 22 partis, dont Ennahdha, signent l’accord du Dialogue national [2] pour préparer les élections et le remplacement du gouvernement à dominante islamiste par des personnalités indépendantes à l’issue des travaux de l’Assemblée constituante.
Décembre : Création de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) chargée, pendant 4 ans, d’enquêter sur les violations des droits humains, de 1955 à 2013, et de fournir réparation aux victimes.

Compromis et consensus entre islamistes et modernistes pour aboutir à une nouvelle constitution

2014
26 janvier : l’Assemblée constituante adopte la nouvelle Constitution (la deuxième en Tunisie).
Mars  : Levée de l’état d’urgence en vigueur depuis le 15 janvier 2011 (il sera remis en place en juillet à la suite d’attentats).
Mai  : Dissolution des Ligues de la protection de la révolution, activistes et violentes, proches d’Ennahdha.
26 octobre : Premières élections législatives depuis la révolution. Nidaa Tounès, parti anti-islamiste, arrive en tête [3]
Décembre : Élection présidentielle : Béji Caïd Essebsi (Nidaa Tounès), est élu président de la République, au second tour, avec 57 % des voix (42 % pour le président sortant Moncef Marzouki) [4] ; Habib Essid (ex ministre de l’Intérieur de Ben Ali) est nommé Premier ministre.

Climat d’insécurité

2015 
Janvier : Habid Essid, figure de l’ancien régime, est désigné Premier ministre. Il forme un gouvernement de coalition (Nidaa Tounès, Ennahdha, Afek Tounès).
Mars-novembre : Attentats meurtriers revendiqués par l’État islamiste (EI) ou attribués à des islamistes radicaux : au musée du Bardo, dans une station balnéaire, puis visant la garde présidentielle. Retour de l’état d’urgence. Le gouvernement ferme quelque 80 mosquées rattachées à la mouvance salafiste. Adoption d’une loi anti-terroriste.

2016
Janvier : Manifestations sans précédent depuis la révolution, s’étendant à tout le pays après la mort accidentelle, à Kasserine, d’un chômeur protestant contre son éviction d’une liste d’embauche dans la fonction publique.
Mai : Lors de son dixième congrès, Ennahdha décide de séparer ses activités politiques et religieuses désormais portées par des associations.

Le pacte de Carthage pour le respect des objectifs de la révolution

2016
Juillet : Le président de la République réunit 9 partis politiques et 3 organisations [5] nationales qui adoptent le « Pacte de Carthage » fixant les priorités du prochain gouvernement « d’union nationale ». Le Premier ministre Habib Essid est remplacé par Youssef Chahed (Nidaa Tounès).

2017
Décembre 2016-janvier 2017  : Nombreuses manifestations de protestation contre le chômage, les inégalités et contre le projet de loi « réconciliation économique et financière » prévoyant l’amnistie des personnes condamnées pour corruption.
Mai : Le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) démissionne, dénonçant l’impossibilité de mener sa mission de façon impartiale et transparente.
Juillet : L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) adopte à l’unanimité des mesures en faveur des droits des femmes [6].
Septembre : Le Premier ministre intègre des ministres de Ben Ali lors d’un remaniement gouvernemental.
Décembre : Un appel contre l’« offensive anti-démocratique » est signé par des intellectuels et militants associatifs, estimant que les acquis de la révolution sont menacés par le retour des pratiques du régime de Ben Ali.
Adoption par l’Assemblée des représentants du peuple d’un budget d’austérité pour 2018.

Rupture entre le peuple et les responsables politiques - Succès des listes indépendantes aux élections municipales

2018
Janvier-février  : Des manifestations contre les mesures d’austérité, la hausse des prix, des taxes et impôts sont durement réprimées par la police. Grève des journalistes contre le retour de l’État policier.
Mars : L’ARP refuse la prolongation du mandat de l’Instance Vérité et Dignité (IVD).
6 mai  : Premières élections municipales depuis la révolution, marquées par une forte abstention (66,3 %), les bons résultats des listes indépendantes et le recul des partis traditionnels.

2019
Janvier : Grève générale des salarié·es de la fonction publique organisée par l’UGTT.
Mars : L’IVD remet son rapport aux représentant·es de la société civile en l’absence de ceux·celles de l’État. En 4 ans, elle aura recueilli 62 000 plaintes et transmis 174 dossiers à la justice.
Juillet : Mort du président Béji Caïd Essebsi. Le président de l’ARP assure l’intérim.

Élection à la présidence de la République de Kaïs Saïed avec un fort soutien populaire

2019
Octobre : Élections législatives [7] : forte baisse de la participation et baisse des partis traditionnels dont Ennahdha qui reste le premier parti à l’ARP.
Élection présidentielle [8] : Kaïs Saïed, est élu président de la République au second tour avec 72,7 % des voix. Taux de participation : 55 %.
Novembre : L’ARP élit à sa présidence Rached Ghannouchi, chef historique d’Ennahdha.

Blocage politique- Bras de fer entre le président de la République, le chef du gouvernement et l’ARP

2020
Février-septembre : Après de nombreux remaniements ministériels sur fond de discorde entre Rached Ghannouchi et Kaïs Saïed, Hichem Mechichi (indépendant) est nommé chef du gouvernement.
Juin : Publication du rapport final de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) sur les violations des droits humains en Tunisie de 1955 à 2013, dans un numéro spécial du Journal officiel de la République tunisienne (JORT).

2021
Janvier : Hichem Mechichi effectue un remaniement ministériel.
Le président Saïed refuse d’assermenter les ministres soupçonnés de corruption.
Grave crise sanitaire due à l’épidémie de Covid qui affecte l’état de santé des populations, l’activité économique, notamment le tourisme.
60 organisations non gouvernementales ont annoncé leur détermination à engager des poursuites pénales contre le chef du gouvernement Hichem Mechichi, face à la répression.
Avril : Le président de la République refuse de ratifier le projet de loi sur la mise en place de la Cour constitutionnelle [9].
Juillet : Le pôle judiciaire et financier ouvre une enquête sur le financement de la campagne électorale de 2019 des 3 principaux partis, soupçonnés d’avoir touché des financements étrangers.

Le président Kaïs Saïed met en place un régime d’exception - La légalité des mesures prises par le président Saïed fait débat

2021
25 juillet : Après une journée de manifestations, Kaïs Saïed suspend le Parlement et prend les pleins pouvoirs [10].
Le chef du gouvernement Rached Ghannouchi proteste, se posant en garant des institutions. Kaïs Saïed ordonne la fermeture de la chaîne de TV qatarie Al Jazira, à Tunis, et expulse tous ses journalistes.
Septembre-décembre : Kaïs Saïed prolonge les mesures d’exception, suspend plusieurs chapitres de la Constitution en vue de mener des réformes politiques. Dissolution de l’instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCPL).
Najla Bouden est nommée cheffe du gouvernement chargée de restaurer la confiance et de lutter contre la corruption.
Annonce d’élections législatives le 17 décembre 2022, sur la base d’une nouvelle loi électorale et d’un référendum, le 25 juillet 2022, portant sur des réformes constitutionnelles.
Moncef Marzouki, ancien président de Tunisie qui a critiqué la confiscation des pouvoirs par Kaïs Saïed, est condamné par contumace à 4 ans de prison pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État.

L’UGTT appelle à un dialogue national.

Les libertés suspendues, une autocratie qui divise

2022
Janvier : Manifestations de soutien et manifestations d’opposition à la présidence. Un mort lors d’une manifestation contre le président Saïed, réprimée par la police. Reporters sans frontières et Human Rights Watch alertent sur les atteintes aux droits de la presse et aux droits humains en Tunisie.
Nadia Akacha, cheffe de cabinet depuis 2 ans, démissionne pour dissension avec le président.
Février : Dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et mise en place par le président Saïed d’un Conseil provisoire. La plupart des membres de l’ARP soutiennent le président Saïed.
Le président Saïed annonce le lancement d’une « consultation nationale populaire via une plate-forme électronique ».
Rached Ghannouchi refonde le bureau politique de son parti Ennahdha.
Alerte concernant les pénuries de certaines denrées alimentaires, dont le blé, dues à la guerre en Ukraine.
31 mars : Après l’organisation par 120 députés d’une séance virtuelle de l’Assemblée pour annuler les mesures d’exception prises par Kaïs Saïed ces derniers mois, le président Saïed annonce la dissolution de l’ARP et l’ouverture d’une enquête judiciaire pour atteinte à la sûreté de l’État.

Notes

[1Composition de l’Assemblée constituante : Ennahdha : 41,4 % (89 élus sur 217) ; Congrès pour la République (gauche nationaliste) de Moncef Marzouki : 8,4 % (30 élus) ; Ettakatol/Forum démocratique pour le travail et les libertés, (social-démocrate) de Mustapha Ben Jaafar : 6,3 % (21 élus)

[2Initié par l’Union générale tunisienne du travail (centrale syndicale), l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (patronat), la Ligue des droits de l’homme et l’Ordre des avocats.

[3Assemblée des représentants du peuple (ARP) : Nidaa Tounès : 85 sièges ; Ennahdha : 79 (perd 10 sièges).

[4Présidentielle : Ennahdha ne présente pas de candidat et soutient Marzouki.

[5L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP)

[6Loi pour la protection des femmes victimes de violences et instaurant des programmes d’enseignement spécifiques sur « les principes des droits humains et de l’égalité entre les genres ». Abrogation de la circulaire administrative datant de 1973 qui interdisait aux femmes d’épouser un non-musulman.

[7Législatives : forte baisse de la participation (41,7 %). L’ ARP est très émiettée. En recul, mais premier, le parti islamiste Ennahdha obtient 19,6 % des suffrages et 52 sièges sur 217. Nidaa Tounès, parti fondé par l’ancien président Béji Caïd Essebsi, s’effondre avec 1,5 % des voix et 3 élus.

[8Présidentielle : Kaïs Saïed (indépendant) est élu au 2ème tour, face à Nabil Karoui (Au Cœur de la Tunisie), en prison pour des soupçons de pratiques frauduleuses.

[9Légalement, la Cour constitutionnelle aurait du être créée l’année suivant les premières élections. Depuis 2014 la désignation de ses membres est l’objet d’une lutte de pouvoir entre les élus de l’ARP.

[10Après des manifestations Kaïs Saïed évoque un « péril imminent » pesant sur les institutions (art. 80 » de la constitution ) pour suspendre le Parlement, limoger le chef du gouvernement, prendre la tête de l’exécutif et lever l’immunité des députés.