Les extrêmes droites, mieux les connaître pour mieux les combattre

Ce que fait réellement l’extrême droite quand elle arrive au pouvoir en Europe

, par Basta ! , KNAEBEL Rachel

En 2017 et 2018, des partis d’extrême ont accédé au pouvoir en Autriche, avec le FPÖ, et en Italie avec la Ligue du Nord. Dans ces deux pays, l’extrême droite donne depuis largement la mesure de la politique menée, particulièrement à l’égard des personnes exilées. En Hongrie et en Pologne, la dérive autoritaire et ultra-conservatrice est plus ancienne. Le Premier ministre hongrois Victor Orban et le parti polonais Droit et justice font de leur pays des laboratoires de la prise de pouvoir par l’extrême droite, à coup de mise au pas de la justice, de mainmise sur les médias, de rhétoriques et de politiques racistes, et d’attaques aux droits des femmes.

Manifestation contre la taxe sur Internet imposé par Orban en 2014. "Papa, c’est quoi la démocratie ? Je n’en sais rien, mon fils, nous sommes hongrois" @Ronan Shenhav (CC BY-NC 2.0)

La Hongrie, pionnière des politiques d’État d’extrême droite en Europe

Cela fait neuf ans que Victor Orban et son parti le Fidesz sont au pouvoir en Hongrie. Depuis, les lois s’enchaînent, au même rythme que la rhétorique raciste et anti-européenne du Premier ministre. Elles visent la justice, les médias, les immigrant·es, les femmes, et le milliardaire états-unien d’origine hongroise Georges Soros, transformé par le pouvoir hongrois en ennemi du peuple dans des campagnes de propagande à répétition.

Attaques en règle contre les institutions de contre-pouvoirs

Dès 2011, un an après avoir obtenu une majorité des deux tiers au parlement hongrois, Orban et son parti lancent des réformes affaiblissant la Cour constitutionnelle, contre-pouvoir chargé de contrôler la conformité des lois avec les règles de l’État de droit. Une réforme à laquelle Marine Le Pen avait publiquement apporté son soutien. La même année, une loi envoie en retraite anticipée 10 % des juges du pays, en l’occurrence les plus expérimentés·es. « Toute une génération de juges a été forcée de démissionner sans justification. Ils ont été remplacés par de nouveaux magistrats élus selon des règles établies par la même loi, souligne Elena Crespi, de la Fondation internationale des droits de l’homme (FIDH). L’impact sur la magistrature a été énorme. »

En parallèle, le gouvernement hongrois a légiféré pour mettre au pas les médias, et placé des proches du pouvoir à leur tête. En octobre 2016, un journal critique à l’égard du gouvernement, Népszabadság, a ainsi brutalement suspendu sa parution. Tou·tes ses journalistes ont été licencié·es. « Cette fermeture est intervenue quelques jours avant la vente de l’organe de presse à un entrepreneur proche du gouvernement », note Amnesty international dans son rapport annuel 2016.

Une loi criminalisant l’aide aux personnes migrantes

Pressions sur les associations et ONG

Autres ennemies du Premier ministre et de son gouvernement, les associations et ONG ont fait face à des attaques à répétition depuis plusieurs années. « Cela a commencé en août 2013, avec une campagne de calomnie initiée par des médias proches du gouvernement », retrace la FIDH. Les ONG, en particulier celles travaillant pour la démocratie et contre les discriminations, sont accusées d’œuvrer pour les partis politiques d’opposition. L’année suivante, un organisme gouvernemental lance une série d’audits sur les comptes des ONG hongroises ayant critiqué la politique d’Orban. La procédure a donné lieu à « des opérations de police, à la confiscation d’ordinateurs et de serveurs et à de longues enquêtes, mais rien de pénalement répréhensible n’avait été trouvé », relève Amnesty International. « En octobre, une décision de justice a enjoint à l’Office gouvernemental de contrôle (KEHI), censé être indépendant, de dévoiler les arcanes de l’audit. Il a ainsi été révélé que cet audit avait été ordonné personnellement par le Premier ministre. »

La pression sur les ONG ne s’est pas relâchée depuis. Bien au contraire. En 2017, le pays adopte une loi visant à les obliger à rendre publiques toutes leurs sources de financement provenant de l’étranger, ainsi que le nom de tous leurs donateurs. Le texte est proche de celui adopté en 2012 en Russie, classant les ONG recevant de l’argent de structures non-russes comme des « agents de l’étranger »… En Hongrie, les organisations recevant des financements extérieurs, y compris en provenance de l’Union européenne, doivent dorénavant inscrire sur leurs travaux la mention « organisation civique financée par l’étranger ».

Les actions d’aides aux migrant·es particulièrement visées

Les organisations qui tentent d’aider les migrant·es sont parmi les premières visées par cette politique. Une nouvelle loi adoptée à l’été 2018 criminalise directement les organisations et les personnes qui aident les migrant·es. « Selon les termes vagues de la loi sur “la responsabilité sociale des organisations d’aide à l’immigration illégale”, toute personne considérée comme aidant les migrant·es, en exprimant des préoccupations, en organisant un soutien, ou en fournissant toute forme d’assistance humaine ou humanitaire, y compris des conseils juridiques, pourrait être poursuivie et condamnée à des peines de prison », alerte la FIDH. L’organisation souligne aussi que la question de la migration est ici utilisée pour réduire au silence la société civile.

Face à la vague d’arrivée de réfugié·es de 2015, via la « route des Balkans », la Hongrie d’Orban a réagi par l’installation d’une clôture à ses frontières et par une violente répression contre les migrant·es. En plus de la rhétorique raciste qu’il cultive depuis des années, prônant notamment l’idée d’une supposée « homogénéité ethnique » hongroise, le Premier ministre a légiféré pour criminaliser les réfugié·es. Aujourd’hui, le simple passage de la frontière par des demandeur·ses d’asile est devenu un crime passible de trois années de prison. En 2016, un ressortissant syrien avait été condamné à dix ans de prison pour des présumés « actes de terrorisme ». Il avait en fait forcé une clôture avec un groupe de migrant·es, un an plus tôt à la frontière serbo-hongroise.

Baisse d’impôts pour les entreprises, baisse des droits pour les travailleur·ses

« Le gouvernement a dépensé plus de 20 millions d’euros en campagnes de communication pour dépeindre les réfugié·es et les migrant·es comme des criminel·les et des menaces pour la sécurité nationale », précise Amnesty international. Dernier exemple : le référendum anti-immigration organisé par Orban en octobre 2016, qui a finalement été invalidé faute de participation. Ce référendum voulait s’opposer au processus de relocalisation des réfugié·es mis en place par la Commission européenne, qui devait pourtant à l’origine permettre de relocaliser ailleurs en Europe une partie des nombreux réfugié·es alors présent·es en Hongrie. Le député européen français Nicolas Bay, secrétaire général du FN – devenu depuis Rassemblement national –, avait alors qualifié ce référendum de « leçon de démocratie »

George Soros, le bouc émissaire préféré du pouvoir

L’autre cible principale de la propagande du gouvernement d’Orban, c’est Georges Soros, le milliardaire états-unien d’origine hongroise qui a créé la fondation philanthropique Open Society. Le gouvernement hongrois avait donné le nom de « Stop Soros » à son projet de loi de 2018 criminalisant l’aide aux migrant·es. Le pouvoir avait alors financé une large campagne d’affichage qui portait ce slogan. Orban a aussi fait fermer l’Université d’Europe centrale de Budapest, une université privée et prestigieuse fondée par Soros.

En parallèle, le gouvernement d’Orban lutte-t-il contre le pouvoir des banques et de la finance ? Prend-il des mesures de redistribution des richesses vers les travailleur·ses et les plus pauvres ? Pas du tout. La dérive d’Orban s’accompagne au contraire de généreuses baisses d’impôt pour les entreprises et d’affaiblissement des droits pour les travailleur·ses. En 2016, le gouvernement hongrois a décidé d’abaisser l’imposition sur les sociétés de 19 % à 9 %, ce qui en fait le plus bas d’Europe ! Une aubaine pour les multinationales. En 2018, une loi augmentant le seuil des heures supplémentaires des travailleur·ses hongrois·es est adoptée. Elle permet aux employeur·ses d’exiger jusqu’à 400 d’heures supplémentaires par an, contre 250 actuellement, soit une journée de plus par semaine alors que les Hongrois·es travaillent 40 heures hebdomadaires. Cette mesure a suscité la colère de nombreux Hongrois·es, qui ont dénoncé une loi « esclavagiste ». Les manifestations se sont surmultipliées dans le pays à l’appel des syndicats, l’opposition a repris de la vigueur. Comment Orban a-t-il réagi aux protestations ? En évoquant, encore une fois, un complot de Soros.

En Pologne, main basse sur les médias, attaque contre les droits des femmes et la justice

En Pologne, la situation est toute aussi préoccupante. « Le pays a suivi le modèle hongrois. Mais ils ont été encore plus vite », décrit Marie-Christine Vergiat, députée européenne du groupe Gauche Unie de 2009 à 2019. Le parti Droit et Justice (PiS), fondé par les frères Kaczynski, règne en maître depuis qu’il a obtenu la majorité absolue aux élections législatives de 2015. Là encore, il s’est d’abord attaqué aux pouvoirs du tribunal constitutionnel, qui peut en principe bloquer les lois. Il a placé des fidèles dans les médias de l’audiovisuel public, tenté de restreindre l’accès du Parlement aux journalistes, et fondu la fonction de procureur général dans le ministère de la Justice, remettant en cause l’indépendance de la justice. Une mise au pas bien ordonnée des contre-pouvoirs.

Dans le domaine de la culture, le gouvernent du PiS fait également le ménage en écartant les directeur·rices des institutions culturelles, des théâtres, des centres culturels polonais à l’étranger, pour y placer des proches, et promouvoir une vision nationaliste et conservatrice de l’art [1]. C’est encore une fois le modèle hongrois qui est copié : à peine arrivé au pouvoir, Orban s’était empressé de placer deux figures de l’extrême droite néofasciste et antisémite à la tête du Nouveau théâtre de Budapest.

Une loi adoptée en 2016, dite « de lutte contre le terrorisme », a attribué de vastes pouvoirs à l’Agence de sécurité intérieure et donné une définition très large des infractions liées au terrorisme. « Les étrangers étaient particulièrement visés dans cette loi, qui autorise leur surveillance secrète, y compris par des écoutes et un contrôle des communications électroniques et des réseaux ou dispositifs de télécommunications, en dehors de tout cadre judiciaire, et ce pendant trois mois », explique Amnesty International. Là aussi, le gouvernement surfe sur une rhétorique ultra-xénophobe, et a refusé d’accueillir ne serait-ce que quelques milliers de demandeur·ses d’asile dans le pays.

En Autriche et en Italie, les migrant·es abandonnés en mer et mis en prison sans raison

En Autriche et en Italie, même si les institutions démocratiques y sont plus anciennes, l’arrivée de partis d’extrême droit au pouvoir y est aussi synonyme d’une atteinte aux droits fondamentaux. En Autriche, le nouveau gouvernement en place depuis fin 2017 est composé d’une alliance de la droite avec l’extrême droite du FPÖ. Depuis, le gouvernement adopte une politique de plus en plus répressive à l’égard des personnes migrantes. Tout comme l’Italie, la Pologne et la Hongrie, l’Autriche a refusé de se joindre au pacte de l’ONU sur les migrations, signé en décembre et qui vise simplement à améliorer la coopération internationale en matière de gestion des migrations. Le gouvernement autrichien a préconisé aux autres gouvernements européens, dans une note qui a fuité, une externalisation totale des demandes d’asile hors des frontières de l’UE. Début 2019, le ministère de l’Intérieur autrichien, d’extrême droite, a défendu un projet pour mettre en prison sur décision administrative les demandeurs d’asile de manière « préventive », même sans qu’ils ou elles n’aient commis aucun délit.

En Italie, le Mouvement 5 étoiles, arrivé largement en tête aux dernières élections législatives, a choisi de faire alliance avec le parti d’extrême droite de la Ligue du Nord pour gouverner. Depuis, c’est le ministre de l’Intérieur issu de ce parti, Matteo Salvini, qui semble tenir les rênes du pays plutôt que le Premier ministre du Mouvement 5 étoiles. Là aussi, le nouveau gouvernement a adopté une rhétorique raciste et une politique d’attaques contre les migrant·es. Dès juin 2018, l’État italien a fermé ses ports aux bateaux des ONG qui sauvent des vies d’exilé·es en mer. Fin 2018, le gouvernement italien a adopté un décret-loi pour augmenter les expulsions et la durée de rétention des personnes étrangères de trois mois à six mois. « Dans ce contexte tendu, la société civile italienne se mobilise avec les personnes exilées pour faire entendre une autre voix et pour continuer à se réclamer d’une Italie ouverte et accueillante », tient tout de même à préciser l’association d’aides aux réfugié·es La Cimade. Car l’extrême-droitisation des gouvernements ne touche pas forcément l’ensemble des sociétés.