Avant même de commencer, la COP29 était déjà surnommée la COP de la finance. De fait, il a beaucoup été question de financement à Baku avec d’intenses débats autour de sommes qui peuvent paraître faramineuses de par les ordres de grandeur abordés : des centaines de milliards, de milliers de milliards de dollars.
Des montants censés être à la hauteur de l’urgence actuelle, avec une COP qui débutait alors même que l’année 2024 était déjà considérée par le dernier rapport du service européen Copernicus comme étant de manière quasi certaine l’année la plus chaude jamais enregistrée, avant même de se terminer. C’est aussi la première année qui dépasse de 1,5 °C le niveau de l’ère préindustrielle, seuil pourtant fixé comme limite à ne pas atteindre par l’accord de Paris lors de la COP21.
Une COP dans un contexte de records de chaleur et d’événements climatiques extrêmes
L’année 2024 a également été, une fois encore, celle de nombreuses catastrophes climatiques, des précipitations meurtrières au Népal ou au Kérala, en passant par les ouragans Milton et Hélène aux États-Unis, aux pluies records enregistrées en Espagne, et par les inondations meurtrières au Soudan, au Niger, au Tchad, au Nigeria avec presque 2000 morts et de très nombreux déplacés. Autant d’événements dramatiques dont l’intensité et la fréquence est renforcée par les activités humaines émettrices de gaz à effet de serre.
Des émissions qui continuent de s’accroître, COP après COP, avec une augmentation de 1,3 % en 2023, et des politiques actuelles qui nous amèneraient, si rien ne change à un réchauffement global d’environ 3,1 °C en 2100.
La COP29 avait pour ambition d’éviter ce scénario, et surtout de réparer l’injustice climatique par laquelle les pays les plus pauvres subissent de plein fouet les conséquences d’un réchauffement dont ils ne sont que très peu responsables. Il était donc attendu à Baku, que les grands responsables historiques du problème climatique, à savoir les pays développés (Europe, États-Unis, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande), financent les efforts d’atténuation et d’adaptation des pays en développement et les dédommagent des préjudices subis. En 2009, lors de la COP15 de Copenhague avait déjà été conclu un financement de 100 milliards de dollars à partir de 2020, qui n’a finalement été versé avec deux ans de retard.
Dans un rapport paru le 14 novembre, les économistes mandatés par l’ONU économistes mandatés par l’ONU, Amar Bhattacharya, Vera Songwe et Nicholas Stern estimaient que désormais, les pays en développement auraient besoin de 1 000 milliards de dollars d’investissements supplémentaires, publics et privés, à partir de 2035. Ces mêmes experts ont également évalué les besoins annuels de finance climatique des pays émergents (hors Chine) à 2 400 milliards de dollars d’ici 2030. Un chiffre certes colossal, mais qui reste en deçà des subventions massives annuelles aux énergies fossiles, qui s’élevaient à 7000 milliards de dollars en 2022.
Dans la nuit de samedi à dimanche, après d’intenses négociations et une menace qui planait de voir les pays en développement refuser de signer un accord, le texte final a finalement statué que les pays développés devraient verser un minimum de 300 milliards de dollars par an à partir de 2035, et que les pays encore considérés comme en développement, comme la Chine, ou bien les pays du Golfe, pourraient eux ajouter des contributions additionnelles de manière volontaire. C’est donc une aide en hausse par rapport à l’accord de Copenhague mais bien en dessous de la réalité des besoins.
Tâchons donc de comprendre quels sont ces besoins justifiant de telles sommes et pourquoi ce résultat, jugé clairement décevant pour les pays du Sud, s’accompagne d’un sentiment de plus en plus criant d’injustice climatique.
Pourquoi passe-t-on de centaines de milliards à des trillions ?
Passer d’une aide de 100 milliards annuels, décidée à Copenhague en 2009 à un objectif, non atteint donc à l’issue de cette COP29, de plus de mille milliards, la différence peut sembler colossale. Mais la précédente somme était déjà critiquée pour être largement insuffisante de par son montant et inéquitable dans son versement : sur les 83,3 milliards de dollars finalement fournis par les pays développés avec deux ans de retard, seulement 8 % du total ont bénéficié aux pays à faible revenu et environ un quart à l’Afrique. De plus, l’argent a ciblé essentiellement l’atténuation au détriment de l’adaptation et l’essentiel de ces financements est advenu sous forme de prêts et non de dons, contribuant à l’endettement de pays déjà très vulnérables.
Enfin, l’inflation touche aussi grandement le financement de projets de lutte contre le changement climatique. Le Ghana, par exemple, est en défaut de paiement aujourd’hui à cause d’une inflation ayant atteint un pic à 54,1 % en décembre 2022. Dans ce pays, un doublement des aides financières sur le climat ne suffirait donc pas à compenser l’inflation.
Pourquoi c’est aux pays développés de financer l’aide aux pays en développement ?
Les COP sont un moment important pour les pays du Sud, qui y sont présents en nombre. Ainsi, à la COP29, on pouvait compter une vingtaine de chefs d’État africains, sept vice-présidents, et quatre Premiers ministres, tandis que les dirigeants des pays les plus développés étaient eux réunis entre eux à Rio pour le sommet du G20.
Les pays du G20 restent pourtant responsables de plus des trois quarts des gaz à effet de serre, quand l’Afrique, elle, n’a contribué que très peu aux émissions de gaz à effet de serre (7 % des émissions nettes de CO2 cumulées entre 1850 et 2019). Elle reste pourtant le continent le plus vulnérable au changement climatique avec peu de moyens pour s’adapter, une forte dépendance aux ressources naturelles et un continent déjà sous tension avec une population qui augmente rapidement, taux de pauvreté, instabilité politique et conflits armés. Cela fait que les aléas climatiques deviennent vite des catastrophes humaines et socio-économiques.
De plus, si l’Afrique détient actuellement les émissions nettes par habitant les plus faibles au monde, elle a aussi longtemps été un puits de carbone du fait de ses forêts tropicales qui captent le CO2. Mais c’est de moins en moins vrai et l’Afrique commence à peser sur le bilan mondial, de par son évolution démographique mais surtout la dégradation de l’environnement et des forêts causée par l’agriculture, l’industrialisation, l’urbanisation, les feux de forêt naturels et les émissions de méthane.
Face à cette réalité, et à la responsabilité historique des pays développés, déjà soulignée par l’accord de Paris il a été jugé que même si chacun doit prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques, ceux qui ont le plus contribué au problème assument une plus grande responsabilité dans sa résolution. Les grands émetteurs, par exemple, doivent agir en premier et rapidement pour réduire leurs émissions.
Mais concrètement à quoi ces milliards doivent-ils être alloués ? À trois choses principales : les efforts d’atténuation, d’adaptation et les pertes et dommages.
Les actions d’atténuation
Un soutien à la transition environnementale des pays du sud est essentiel pour faire en sorte que leur nécessaire développement ne repose pas sur les énergies fossiles mais plutôt sur les énergies renouvelables et la préservation des puits de carbone naturel. C’est crucial pour ne pas aggraver la crise climatique et respecter les engagements de la COP28 qui étaient de tripler la part des renouvelables et de sortir des énergies fossiles.
Mais ces mêmes énergies fossiles, et le charbon notamment sont beaucoup moins chères à exploiter que les énergies renouvelables. Il faut donc soutenir les pays du sud dans leur transition environnementale pour éviter qu’ils aillent exploiter leurs ressources en énergies fossiles au nom du droit au développement, notamment en Afrique sub-saharienne où 43 % de la population n’a pas accès à l’électricité.
Et si l’on regarde du côté des énergies propres, les investissements mondiaux ont certes atteint un pic historique en 2023, mais c’est en grande partie grâce à la croissance de l’énergie solaire photovoltaïque et des véhicules électriques, et plus de 90 % de l’augmentation de ces investissements depuis 2021 a eu lieu dans les économies développées et en Chine. Les pays à revenu faible et moyen inférieur, eux, ne représentaient que 7 % des dépenses en énergie verte en 2022.
Les enjeux de l’adaptation
Les preuves de la dangerosité du climat dans les pays du Sud s’accumulent. Les inondations dramatiques en Libye, par exemple, ont fait plus de 11 000 morts en 2023. Les projections du GIEC indiquent une intensification de ces changements avec le réchauffement climatique, qui menace gravement les ressources en eau, l’économie et les infrastructures, la sécurité alimentaire, la santé et les écosystèmes.
Ces constats soulignent l’urgence de mettre en place des actions d’adaptation pour réduire ces risques dès aujourd’hui.
On connaît les mesures les plus efficaces, qui peuvent s’inscrire dans l’adaptation incrémentale, avec le renforcement des systèmes d’alerte précoce ou transformationnelle via de nouvelles infrastructures (barrages, digues) incorporant des matériaux et des techniques de construction résilients, mieux adaptés au climat d’aujourd’hui et de demain.
Mais tout cela coûte cher : selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le coût de l’adaptation est estimé entre 30 et 50 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie en Afrique subsaharienne, soit 2 à 3 % du produit intérieur brut de la région.
Le Secrétaire général de l’ONU avait ainsi exhorté à doubler les financements consacrés à l’adaptation et à les rendre plus équitables, sans imposer de contraintes additionnelles. Il est à cet égard préoccupant de noter que plus de 60 % des financements pour l’adaptation ont été octroyés sous forme de prêts plutôt que de subventions, une tendance qui est en hausse. Par ailleurs, la quasi-totalité de ces fonds provient du secteur public, avec une forte dépendance envers les sources internationales dans de nombreuses régions en développement.
Les besoins en matière d’adaptation sont aujourd’hui estimés à environ 10 à 18 fois les flux actuels de financement public international de l’adaptation.
La question des pertes et dommages
Par ailleurs, en cas de réchauffement climatique trop intense, les capacités d’adaptation pourraient être rapidement dépassées. On parle alors de pertes et dommages, qui se produiront quoi qu’on fasse.
Sachant que ces pays n’ont que très peu contribué aux émissions de GES, est-ce normal que ce soit à eux de payer cette facture ? Cela fait 20 ans que les pays les plus vulnérables demandent ainsi un financement des pays les plus émetteurs pour les pertes et dommages et c’est seulement à la COP28 l’an dernier qu’on est arrivé à un accord financier.
Bien que 700 millions de dollars aient été promis, ce montant est loin d’être suffisant pour indemniser les pays à revenu faible et intermédiaire pour les pertes et dommages irréparables causés par le changement climatique. Les économistes Markandya et González-Eguino estiment par exemple que 290 à 580 milliards de dollars pourraient être nécessaires chaque année d’ici 2030. La Loss and Damage Collaboration a elle évoqué des coûts annuels à 400 milliards de dollars.
Quelle suite à cet accord ?
Bien en deçà des évaluations d’expert, l’accord conclu à Baku est donc une profonde désillusion pour les pays du sud, qui ont pourtant tout fait pour y être entendu, notamment à travers leurs travaux préparatoires, leur effort pour parler d’une même voix et la présence de nombreux chefs d’État.
Une maigre consolation demeure cependant : celle d’avoir réussi, in extremis, à faire passer une clause permettant la révision de cet accord qui ne les satisfait pas d’ici cinq ans et non dix ans, comme cela était initialement prévu. D’ici 2034, espèrent-ils, certaines idées auront peut-être fait leur chemin, comme celui d’une taxation sur les plus fortunés. Le Réseau Action Climat rappelle à cet égard que 2 % d’impôt sur la fortune de 3 000 milliardaires pourrait rapporter 250 milliards de dollars par an. Une feuille de route lors de la prochaine COP, organisée au Brésil en 2025, devrait également permettre aux pays les moins avancés d’obtenir plus de subventions et de garanties.