Ce texte, publié originellement en portugais par Adital, a été traduit par Isabelle Miranda, traductrice bénévole pour rinoceros.
En septembre prochain aura lieu le Plébiscite populaire pour une limitation de la propriété foncière, qui a pour but de faire pression sur le Congrès brésilien pour limiter la taille maximum et les usages des terres du pays qui sont propriétés d’investisseurs étrangers. Dans un interview téléphonique pour IHU – On-Line, Gilberto Portes, du Forum National pour la Réforme Agraire et la Justice à la Campagne, explique l’initiative. « Un étranger s’installe au Brésil et peut acheter la quantité de terre qu’il veut. Dans le même temps, il y a 4,2 millions de familles qui n’ont pas accès à la terre, c’est-à-dire plus de 12 millions de personnes. », signale-t-il. Gilberto Portes parle aussi de l’importance de la révision des indices de la productivité pour une réalisation effective de la réforme agraire dans le pays. Il soutient que « les indices de productivité sont fondamentaux, principalement dans les régions qui disent qu’elles n’ont pas, en théorie, de terre pour la réforme agraire ».
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer l’idée centrale de la question de la « limite de la propriété foncière » ?
Gilberto Portes – Le Brésil est le deuxième pays ayant la plus grande concentration de terre dans le monde. Voilà l’élément central. Un autre élément, en rapport avec cette situation, est que le Brésil, depuis sa découverte ou son invasion, a vu le pouvoir économique, politique et même social se cristalliser et se concentrer autour de la propriété foncière. Le changement de la relation entre travail, revenu, nourriture et développement économico-social du pays passe nécessairement par une démocratisation de la terre. Et ce parce que c’est uniquement de cette façon qu’il sera possible de garantir que davantage de personnes produisent des aliments, gardent un travail à la campagne et, de cette manière, continuent à développer le pays à travers la production d’aliments de qualité, et qu’en conséquence la violence se réduise dans les grandes périphéries urbaines. Aujourd’hui, pour chaque famille qui voit son occupation de terre légalisée, il est possible d’embaucher, en moyenne, cinq personnes à la campagne et trois en ville. La société brésilienne doit avoir connaissance de ce fait. La limitation de la propriété foncière est la base permettant de s’affronter de manière structurelle au problème historique fondamental du Brésil.
Où en est la préparation du Plébiscite pour une limitation de la propriété foncière ?
Gilberto Portes – Des plénières ont déjà eu lieu dans environ douze Etats brésiliens. Nous avons environ cent leaders sociaux liés à la branche sociale de l’Église, aux mouvements sociaux et au mouvement syndical. Ces institutions sont en train de s’engager avec d’autres leaders sociaux des périphéries des quartiers, des associations de résidents et des communautés ecclésiales. Maintenant, fin juin/début juillet, nous aurons la consolidation de ces plénières étatales, pour lesquelles nous sommes en train de former les comités dans les communautés. En août, nous serons dans la phase intensive de mobilisation nationale, qui culminera lors du fameux plébiscite qui aura lieu entre le 1er et le 7 septembre. Nous ferons, conjointement au « Grito dos excluídos » [le « Cri des exclus », une manifestation culturelle/mouvement social de revendication des droits des plus pauvres issu du milieu pastoral brésilien, qui organise une série d’événements et de manifestations autour du 7 septembre, jour de la fête nationale], une grande manifestation populaire au cours de laquelle nous chercherons l’appui de la société pour entrer au Congrès National avec une proposition d’amendement constitutionnel pour limiter la taille de la propriété foncière. C’est l’instrument que nous utilisons comme forme de pression politique pour porter le débat dans la société brésilienne. Nous avons besoin de relancer la réforme agraire pour que transformer la condition sociale du peuple brésilien, et en conséquence, faire en sorte que les gens puissent exercer leur citoyenneté et leur participation populaire.
Dans quel contexte a surgi l’idée d’organiser un plébiscite sur ce thème ?
Gilberto Portes – En réfléchissant à l’histoire de la lutte pour la terre au Brésil, les mouvements ont approfondi ce débat ; nous avons vu combien il est nécessaire, comme cela a déjà été fait dans d’autres pays, d’initier un processus de limitation de la propriété foncière. Ce processus apporte beaucoup à travers ce qu’il dit sur le développement du pays, tant du point de vue du capitalisme que d’un point de vue plus socialiste. Au Brésil, nos élites étant les moins évoluées au monde, aucun investissement n’a été fait dans la démocratisation de la terre pour que la population ait accès à la nourriture bon marché et à l’emploi. Les mouvements, les organisations et les Églises ont toujours souhaité que notre Constitution brésilienne ait un alinéa ou un article qui établisse clairement que la propriété foncière au Brésil doit avoir des limites. Un investisseur étranger s’installe au Brésil et peut acheter la quantité de terres qu’il veut. Dans le même temps, il y a 4,2 millions de familles qui n’ont pas accès à la terre. C’est-à-dire plus de 12 millions de personnes. Seules les personnes qui ont de l’argent et du pouvoir ont accès à notre biodiversité, à la nature, à la terre. Notre idée est de mener un débat plus ouvert avec la société et présenter une proposition visant à inclure dans la Constitution brésilienne, dans l’article 186, un alinéa qui établisse, avec clarté, que nous devons limiter la propriété foncière en un certain nombre de modules.
À quoi correspondent ces « modules » ?
Gilberto Portes – Ce sont des surfaces que l’INCRA (Instituto Nacional de Colonização e Reforma Agrária) fixe pour chaque agriculteur ou petit paysan et qui doit lui permettre de survivre avec sa famille. Cette surface varie selon les régions. Dans le Sud, par exemple, le module est d’entre 25 et 30 hectares, mais au Nord il peut aller jusqu’à 100 hectares, tandis que dans le Centre-Ouest il varie entre 30 et 35 hectares. Nous avons calculé que le maximum, pour un Brésilien ou pour un étranger, devrait être de 35 modules, ce qui représente déjà un latifúndio d’une taille substantielle. L’État brésilien doit être constitutionnellement obligé à démocratiser la terre.
À quels usages les investisseurs étrangers destinent-ils leurs terres au Brésil ?
Gilberto Portes – Les investisseurs étrangers voient le Brésil comme leur laboratoire pour deux choses. Premièrement, pour déverser les produits chimiques agricoles dont les Européens et les Américains ne veulent pas. Pour que vous ayez une idée, le Brésil consomme annuellement 750 000 tonnes de ces produits phytosanitaires, ce qui signifie que si nous divisons ces milliers de litres per capita, chaque citoyen brésilien consomme 5 litres de poison par an. Comme ici il n’existe pas encore de législation, ni de contrôle important, ils déversent leur venin dans notre terre. Le second aspect : toute propriété dirigée par un investisseur étranger au Brésil travaille pour l’exportation ; aucune propriété d’investisseur étranger n’est ici pour produire de la nourriture pour le peuple brésilien. Il vient ici pour prendre notre richesse, détruire les ressources naturelles, retirer de ses terres toute la matière première pour valoriser ses investissements sur le marché financier. C’est ça la logique des investissements internationaux.
En conséquence, ces groupes internationaux s’allient à l’agrobusiness brésilien pour appliquer une même politique ; il y a une relation étroite entre ce secteur d’investisseurs internationaux et l’agrobusiness brésilien. Un exemple : dans le Mato Grosso, un politicien, qui a été gouverneur de l’État, possède un million d’hectares qui produisent du soja. C’est le plus grand producteur de soja au monde, et il est brésilien. Cependant, il a une relation étroite avec les multinationales qui produisent ici pour exporter. Notre interprétation est que l’agrobusiness est essentiellement est étroitement associé avec le capital international pour exploiter et détruire notre nature. Tout le démantèlement, la destruction du Cerrado [écosystème de savane tropicale du Brésil central], de la Forêt Atlantique, de l’Amazonie, de la Caatinga [écosystème du Nordeste brésilien caractérisé par une végétation de petits arbres épineux] et de la Pampa [plaine dépourvue d’arbres du Sud brésilien, qui s’étend en Uruguay et surtout en Argentine] résultent de cet investissement national et international de l’agrobusiness, qui a pour essence l’exploitation de la matière première pour amasser des devises représentant autant d’intérêts sur le capital investi.
Qui appuie le Plébiscite ?
Gilberto Portes – Nous avons 54 entités nationales qui sont liées à la mobilisation pour le plébiscite. La plus grande d’entre elles est la Conférence Nationale des Évêques du Brésil (CNBB), dont le Conseil des Évêques a fait circuler une directive visant à ce que les agents pastoraux s’impliquent concrètement dans le processus de mobilisation populaire. Nous avons aussi le Conseil National des Églises Chrétiennes (CONIC), qui a fait un travail avec ses églises pour que tout le monde s’implique dans cette mobilisation.
Cette année, la Campagne de la Fraternité [Campagne de solidarité organisée chaque année durant le Carême par l’Église brésilienne] a pour thème central « Économie et Vie », et fera la geste concret de participer au plébiscite. Pour ce qui est des mouvements nationaux, nous avons la Centrale Unique des Travailleurs (CUT), la Confédération Nationale des Travailleurs Agricoles du Brésil (CONTAG), la Via Campesina, le Mouvement des Sans Terre (MST) et d’autres organisations. La Commission Pastorale de la Terre nous a aussi beaucoup appuyés, tout comme la Pastorale du Migrant et le « Cri des Exclus ». Et, dans divers États, nous avons aussi l’appui de quelques partis politiques de gauche, qui ont pour proposition la réforme agraire comme changement au Brésil.
Qui peut participer et voter au Plébiscite, et ce, comment ?
Gilberto Portes – Le premier pas est de signer la pétition. Nous sentons qu’il y a beaucoup de doutes au sein des communautés, en raison d’une campagne de désinformation pour essayer de manipuler l’opinion publique à propos de notre proposition. Il se dit, en certains lieux, que limiter la propriété foncière signifie limiter aussi les terres des petits et moyens agriculteurs. La société a besoin d’être présente dans le débat politique, pour qu’elle comprenne l’importance notre proposition de limitation de la propriété foncière pour la population urbaine, les communautés traditionnelles et les paysans.
La révision des indices de productivité peut-elle contribuer à lancer une réforme agraire effective au Brésil ?
Gilberto Portes – C’est un point basique et essentiel pour la réforme agraire. Les indices de productivité sont fondamentaux, principalement dans les régions qui disent qu’elles n’ont pas, en théorie, de terre pour la réforme agraire. La révision régulière de ces données est prévue par la Constitution, et elle n’a pas eu lieu depuis très longtemps. Le gouvernement ne l’a pas faite et ne sait pas s’il la fera. La population a une énorme attente par rapport à la révision de ces indices pour amplifier le nombre de surfaces disponibles pour la réforme agraire.
[Gilberto Portes est avocat, secrétaire exécutif du Forum National pour la Réforme agraire et la Justice à la campagne. Il a été coordinateur étatal du MST (Mouvement des Sans Terre) dans l’Etat de Rio Grande do Sul.]