Brésil, Mercosur et morale sélective dans les relations commerciales avec Israël

, par Carta Maior , MANTOVANI Maren

L’article a été traduit du portugais vers le français par Fernanda Grégoire et relu par Jean-Luc Pelletier, tous deux traducteurs bénévoles à Ritimo. L’article original est en ligne sur le site de Carta Maior : Brasil, Mercosul e a moral seletiva nos negócios com Israel

La relation commerciale actuelle du Mercosur avec Israël viole le droit commercial, les droits humains, les principes et les pratiques du bloc sud-américain, les engagements politiques du Brésil avec le peuple palestinien et porte préjudice aux relations avec d’autres partenaires commerciaux. En outre, Israël viole les dispositions de l’Accord de Libre Échange, en exportant illégalement les produits des colonies. Que faut-il faire pour se comporter avec Israël comme on le ferait avec n’importe quel autre pays ?

Une des qualités essentielles des activistes palestiniens est leur sens aigu de l’ironie. Pour se faire une petite idée : les politiques recommandées par la charte de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont dénoncées par des mouvements sociaux du monde entier à cause des attaques aux souverainetés politiques, économiques, culturelles, et même alimentaires des peuples. La Palestine est, probablement, le seul endroit où la situation est si calamiteuse que l’implantation des normes de l’OMC serait un progrès. Cependant, en Palestine occupée, même ces règles ne sont pas respectées.

Après la campagne réussie du Brésil pour faire nommer Roberto Azevedo directeur général de l’OMC, est apparue l’opportunité de discuter des relations commerciales du monde – et du Brésil – avec Israël.

Israël est constamment exempté du respect des lois et règlements internationaux en cours. Pour cette raison, les pays qui tolèrent cette situation contribuent directement à la permanence des graves violations des plus élémentaires principes des droits humains, ainsi que des normes du droit international en Palestine.


Israël une exception



Un des fondements des normes commerciales de l’OMC sont les règles de l’origine. Même si les détails des termes suscitent le débat, il y a un consensus fondamental entre les pays participants : le régime du commerce mondial s’écroulerait si des pays commercialisaient des produits en provenance d’autres pays comme en étant les leurs en toute impunité.

Malgré cette entente, il y a une exception unique autorisée  : l’exportation israélienne de produits « Made in Israël  », bien qu’ils soient totalement ou partiellement produits dans les colonies construites illégalement sur le territoire Palestinien occupé.
Ces produits entrent sur le marché brésilien exemptés d’impôts, en vertu de l’Accord de Libre Échange (ALE) entre le Mercosur et Israël, qui a été ratifié par le Brésil en 2010. Cette mesure était contraire à la recommandation de la commission parlementaire qui demandait que la ratification de l’ALE soit suspendue jusqu’à ce qu’un État palestinien soit créé dans les frontières démarquées de 1967. Pour apaiser les protestations, lors de la ratification de l’ALE, le Brésil a signalé une évidence – l’exclusion du traité des produits originaires des colonies illégales. Cependant, même cette exception n’est pas mise en pratique. Bien que 30% de la production israélienne provienne des colonies, les autorités douanières n’ont trouvé aucune raison valable pour mener une enquête. Par conséquent, le traité est violé quotidiennement par les autorités brésiliennes, du Mercosur et d’Israël.

Au delà de la discussion technique relevant du domaine commercial, ce qui doit vraiment être abordé est le fait que l’actuel comportement commercial du Brésil contribue aux graves violations des droits de l’homme et des normes du droit international en Palestine.

Le financement de l’occupation israélienne

Israël ne serait pas capable de continuer ses onéreuses politiques d’occupation, de colonisation et d’apartheid en Palestine, si elles n’étaient pas viables économiquement. Les colonies et le Mur érigé illégalement autour des villages palestiniens pour confisquer leurs terres, n’auraient pas été construits et ne se seraient pas maintenus sans les entreprises qui font ce travail. Dans la logique du droit international, tous ceux qui contribuent à la viabilité financière et matérielle de ces politiques israéliennes sont impliqués et complices.

Pour éviter cela, les États sont légalement obligés de ne pas admettre, aider ou assister les graves violations de clauses du droit international ou maintenir des situations créées par celles-ci. Le commerce des produits des colonies est donc illégal et devrait être interdit. Les contrats et les relations commerciales avec les entreprises impliquées dans la violation de la loi internationale par Israël entrainent des risques légaux.

Malgré cela, l’entreprise Ahava [1] vend ses cosmétiques partout au Brésil, bien que son usine soit localisée dans une colonie illégale en Cisjordanie et exploite illégalement les ressources naturelles du territoire occupé. La campagne mondiale « Beauté volée  » [2] est menée dans des dizaines de pays dans le monde, au moyen de protestations et de piquets devant l’entrée des boutiques. Elle a déjà obtenu des avancées significatives pour interrompre les ventes de ces produits. Sodastream [3], qui produit des machines pour l’industrie des boissons dans la colonie illégale de Maale Adumim en Cisjordanie, a déjà été, en 2010, interdite par le Tribunal Européen [4] d’exporter ses produits avec la mention « Made in Israël  ». Cependant l’entreprise a commencé à les exporter vers le Brésil dès la ratification de l’ALE. Mekorot [5], la compagnie des eaux israélienne, agent essentiel de la politique de vol systématique d’eau palestinienne pour l’approvisionnement des colonies, a des contrats [6] avec la SABESP à São Paulo et la CAESB à Brasilia.

Enfin, l’entreprise israélienne Elbit [7], tristement célèbre dans le monde entier pour son rôle dans la construction du mur, vient de remporter un important contrat [8] avec le gouvernement de Rio Grande do Sul.

L’Accord de Libre Échange avec Israël aggrave la situation. Mais, en dehors de la nécessité pour le Mercosur de suspendre d’urgence l’ALE à cause de l’absence d’un mécanisme efficace d’exclusion des marchandises originaires des colonies, nous espérons que le Brésil et ses voisins se mettront d’accord pour que l’ALE soit suspendu à cause d’un problème structurel  : il entre en contradiction avec le devoir du Brésil de non-assistance aux violations du droit international par Israël. On ne peut offrir des avantages commerciaux à un pays qui systématiquement commet des crimes de guerre, met en œuvre des politiques de colonisation et d’apartheid, ignore le droit à l’auto-détermination de tout un peuple et le droit au retour des réfugiés, qui constituent la majorité des palestiniens.


Une diplomatie sélective

En accord avec le droit international et en plus du devoir de non-reconnaissance et non-assistance, les États ont le devoir de prendre des mesures efficaces, qui incluent des sanctions, pour empêcher les violations des règles impérieuses du droit international. Dans le cas des Malouines, le Mercosur a déjà mis en application ses obligations contre la colonisation illégale des îles par la Grande-Bretagne, en interdisant aux bateaux qui hissent le drapeau illégal des « Falkland  » d’accoster dans ses ports. De la même manière, il n’est apporté aucune assistance aux bateaux qui contribuent à l’exploitation illégale des ressources naturelles des Iles.

Quand le Paraguay fut victime d’un coup d’état, le Brésil a été leader lors de la décision du Mercosur d’exclure le pays du bloc commercial. Alors pourquoi, quand il s’agit de la Palestine, les États-membres du Mercosur délaissent-ils les principes directeurs du bloc commercial, qui lient de façon indissociable les accords commerciaux au développement et à la promotion des droits de l’Homme, des libertés fondamentales et de la démocratie  ?

Le Brésil a également assumé une série d’engagements politiques avec le peuple palestinien et la communauté internationale, dont nous lui sommes profondément reconnaissant, mais pour que ceux-ci aient un véritable effet sur les vies palestiniennes et la justice, ils doivent avoir des conséquences à la base. Le rôle actif que le Brésil a joué à l’ONU lors de la campagne mondiale pour la reconnaissance de l’État palestinien dans les frontières de 1967, devrait impliquer son engagement à ne pas reconnaitre ni soutenir la viabilité économique de la politique de colonisation et de nettoyage ethnique pratiquée par Israël dans les territoires occupés après l’invasion de ses frontières. En outre, en mars de cette année, le Brésil a voté et a soutenu activement l’approbation de la résolution A/HRC/22/L.45 du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur l’impact de l’entreprise de colonisation israélienne, ce qui exige de tous les États-membres de l’ONU le respect des obligations de non-reconnaissance et non-assistance au développement des colonies.

La logique anti-économiste


De telles obligations politiques, morales et légales sont fréquemment négligées sous prétexte que les droits de l’Homme ne sont pas des critères quand on doit élaborer des stratégies de développement. D’après ce discours, assumer des engagements favorables aux droits de l’Homme serait contraire à « l’intérêt collectif  », entraverait le progrès, dés lors que de tels principes ne s’appliqueraient pas à la réalité économique. Ainsi, la collectivité prospèrerait mieux lorsque ses droits les plus basiques ne sont pas respectés. Cette logique fait que même les règles de l’OMC sont violées et appliquées de façon sélective dans les relations internationales.
Cette interprétation est profondément contestable du point de vue de l’éthique, mais même si nous appliquons une analyse purement économique, nous pouvons voir à quel point la signature de l’ALE est illogique face aux intérêts du Mercosur.

Les discussions entre le Mercosur et le Conseil de Coopération des pays du Golfe (CCG) pour l’établissement d’un ALE ont été gelés de façon inattendue juste après la signature de l’accord avec Israël. Ceux qui ont participé aux négociations rapportent que cela a un rapport direct avec le choix d’une position en faveur d’ Israël. Nous avons perdu un marché d’exportation international, d’un volume global 15 fois plus important que le marché israélien et qui, même s’il n’a pas les mêmes exemptions fiscales, a un commerce avec le Brésil 8 fois supérieur à celui d’Israël. De son côté, la balance commerciale des échanges économiques entre le Brésil et l’État d’Israël est deux fois plus négative que ce qu’elle était en 2009.

En somme, la relation commerciale actuelle avec Israël viole le droit commercial, les droits humains, les règles et les pratiques du Mercosur, les engagements politiques du Brésil avec le peuple palestinien et porte préjudice aux relations avec d’autres partenaires commerciaux. En outre, Israël viole chaque jour les dispositions de l’ALE en exportant illégalement les produits des colonies.

En conclusion, une question évidente se pose : que faut-il faire pour, simplement, se comporter avec Israël comme on le ferait avec n’importe quel autre pays ? Quels justificatifs éthiques ou économiques empêcheraient l’imposition de sanctions commerciales, la prohibition des produits des colonies illégales ainsi que la suspension des affaires avec les entreprises engagées dans l’occupation israélienne en Palestine  ? 



Qu’est-ce qui empêche de suspendre l’Accord de Libre Échange avec Israël, jusqu’à ce que ce pays respecte le droit international  ?