« Black Lives Matter » en 2015 : année de la résistance internationaliste

Traduction

, par ALAI

Cet article a été traduit de l’espagnol au français par Charlotte Renard, traductrice bénévole pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site d’Alai : ‘Black Lives Matter’ en 2015 : Año de resistencia e internacionalismo

Par Jeannette Charles.

Aux États-Unis, l’ actuel mouvement afro a émergé comme une résistance internationaliste fondée sur la conscience de la diaspora mondiale.
Les violences systématiques de 2014 ont révélé les racines historiques du racisme anti-noir aux États-Unis (USA) et dans les Amériques. Le génocide des hommes, des femmes, des personnes transgenres et des enfants noirs par l’État a donné naissance à un mouvement en faveur de la justice et de la libération des noirs aux États-Unis.

La conscience et le leadership politique de la communauté noire américaine font partie d’un processus historique de solidarité avec la diaspora africaine.

Le slogan Black Lives Matter (Les Vies Noires Comptent), incarne le mouvement de libération et le pouvoir noir. Le combat s’étend au-delà des frontières au nom de la libération noire et progresse en forgeant une grande solidarité avec les peuples opprimés du monde entier.

Origines de la libération noire du XXI ème siècle

#BlackLivesMatter (BLM) a vu le jour à un moment très important de notre histoire. Trois femmes noires et queer, Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, ont lancé ce cri de ralliement en 2013, suite au procès de George Zimmerman en Floride, jugé pour la mort de Trayvon Martin, un jeune Afro-Américain de 17 ans. Zimmerman a été acquitté par les jurés de toutes les charges retenues contre lui.

Le hastag s’est cependant transformé en mouvement l’année suivante, lorsque l’homme politique blanc Darren Wilson a tué Michael Brown, un jeune Afro-Américain de 18 ans à Ferguson, Missouri. La mort de Brown a ouvert une blessure dans notre Amérique noire.

L’organisatrice de BLM à Los Angeles, Povi-Tamu Bryant, explique : « Le système qui existe aujourd’hui et dans lequel le peuple noir a vécu pendant des siècles aux États-Unis porte dans ses racines et dans son être la dévalorisation de la vie des Noirs ».

Les statistiques lui donnent raison. Toutes les 28 heures, un homme, une femme, ou un enfant noir meurt des mains de la police ou des vigiles. Environ 25 pour cent des femmes noires aux États-Unis vivent dans la pauvreté ; ce chiffre est le plus élevé de toutes les catégories. De plus, l’espérance de vie d’une femme noire transgenre est de 35 ans.

Pour BLM, la violence punitive d’État se manifeste non seulement dans les exécutions extrajudiciaires du peuple noir mais aussi dans le million de personnes noires emprisonnées, dans la pauvreté extrême des communautés noires, dans les attaques contre les femmes noires et leur famille, dans les violences contre les queer et trans tout comme dans les 500 000 noirs sans papiers, en grande partie originaire des Caraïbes et d’Amérique Centrale et qui sont relégués en marge de la société étasunienne.

Garza a écrit dans A Herstory of the #BlackLivesMatter Movement, « BLM est une action politique et idéologique dans un monde où les vies des noirs sont fatalement vouées à disparaître. [BLM] est une affirmation de la contribution du peuple noir à la société et de la résistance à l’oppression mortelle ».

Par essence, BLM, « se concentre sur les personnes qui ont été marginalisées dans les mouvements pour la libération des Noirs. C’est une stratégie pour (re)construire le mouvement de libération noire…[et] ériger les vies des Noirs en unifiant les luttes à travers la race, la classe, le genre, la nationalité, la sexualité et le handicap ».

Même si la lutte contre la violence punitive d’État est née d’une expérience historique et propre aux États-Unis, les organisateurs et activistes s’accordent sur le fait qu’il existe des conditions similaires parmi les communautés Afro-descendantes du monde entier. Le combat pour libérer les communautés noires aux États-Unis fait partie d’un mouvement international dont le but est de réaffirmer l’humanité du peuple Afro-descendant et de transformer la condition des personnes de descendance africaine à travers le monde.

La lutte du peuple palestinien est une lutte noire 

La Palestine s’est soulevée par solidarité avec le peuple noir de Ferguson et le reste des États-Unis en août 2014, un mois, deux semaines et quatre jours après le génocide israélien contre le peuple et le territoire ancestral palestinien.

Des milliers de messages de solidarité envoyés de Palestine ont été publiés sur les réseaux sociaux. Nous pouvons facilement penser que des milliers d’autres messages ne nous sont pas parvenus faute d’un accès généralisé à internet.

« Solidarité avec Ferguson depuis notre Gaza occupée, siégée et ensanglantée. Les vies des Palestiniens comptent. Les vies des Noirs comptent. Toutes les vies comptent », souligne un message.

Plus tard, en novembre, une délégation de dix étudiants activistes de Palestine s’est rendue à Ferguson et à St Louis pour se joindre au peuple dans la rue. Lorsque les étudiants sont rentrés, ils ont organisé une série d’événements en Cisjordanie afin d’éveiller les consciences sur la lutte des Noirs au sein de leurs communautés.
C’est alors que Dream Defenders, une organisation des États-Unis, a approuvé à l’unanimité une résolution pour soutenir le mouvement palestinien en faveur du boycott, du retrait des investissements et des sanctions contre Israël.

Suite à ce soutien, une délégation historique des organisateurs afros et latinos a voyagé en Palestine pour exprimer sa solidarité envers les personnes vivant sous l’occupation israélienne. Les organisateurs ainsi que BLM, Dream Defenders, Black Youth Project 100, New York Justice League et d’autres mouvements ont participé à cet échange solidaire pour connecter les luttes des peuples opprimés du monde entier.

Le directeur institutionnel de Dream Defenders et co-organisateur de la délégation, Ahmad Abuznaid a déclaré dans une interview au magazine Ebony : « L’objectif principal était de permettre aux membres d’un groupe de vivre et de voir de leurs yeux l’occupation, le nettoyage ethnique, et la violence imposée par Israël au peuple palestinien, mais aussi de construire un vrai lien avec les avant-gardistes du combat pour la liberté ».

Même le processus d’élaboration politique d’Abuznaid a été inspiré par la lutte des Noirs. Il ajoute : « Dans l’esprit de Malcolm X, Angela Davis, Stokely Carmichael et d’autres, nous pensons que les liens qui existent entre les mouvements afro-américain et palestinien doivent être rétablis et renforcés ».

De Ferguson à Haïti

Haïti incarne un modèle pour tous les peuples qui luttent pour leur liberté. Le mouvement fondamental, Lavalas, défie jour après jour l’investissement étranger et défend le territoire originel du peuple. La violence punitive d’État et la répression massive contre le peuple sont actuellement en plein apogée.

Malgré cela, le peuple haïtien préserve sa liberté, une liberté proclamée lors du triomphe de la Révolution haïtienne le 1er janvier 1804. C’est à ce moment-là qu’Haïti est devenu la première République noire et indépendante de l’hémisphère occidental, à la tête de laquelle étaient des cimarrons (personnes africaines auto-libérées de l’esclavage).

Le 12 janvier 2015 a marqué le cinquième anniversaire du tremblement de terre dévastateur qui a fait environ 316 000 morts, plus de 300 000 blessés et près d’1.5 million de personnes déplacées. Dès lors, le peuple haïtien a résisté fermement contre l’occupation militaire internationale et les investissements néolibéraux.

Après le tremblement de terre, les élections frauduleuses de 2010 ont exclu le parti politique le plus populaire d’Haïti, Lavalas, et c’est Michel Martelly qui a gagné, un ex Tonton Macoute (escadron de la mort sous la dictature de Duvalier). Avec moins de 20 pour cent de l’électorat participant au vote, la violence duvaliériste a fait son retour en Haïti. La politique ultra-droitière et la persécution politique des leaders populaires sont revenus en force.

Par exemple, l’administration de Martelly a ratifié les lois pour accroître la surveillance et la répression organisée par l’État à travers la nouvelle Cour de Sécurité Étatique. De plus, l’État interdit la liberté de pensée, d’expression et d’association, punie de la peine de mort. Des douzaines de leaders haïtiens ont été emprisonnés sans jugement sous le gouvernement Martelly.

De même, avec le soutien des États-Unis, Martelly a annulé les élections municipales et parlementaires à de nombreuses reprises ces trois dernières années. Le scrutin a été reporté au 26 octobre 2014 mais n’a, à nouveau, pas eu lieu, laissant le pays dans un vide législatif et institutionnel. Les mandats de plusieurs politiques ont pris fin à minuit le lundi 12 janvier 2015. Un autre tremblement de terre a alors secoué le pays lorsque Martelly s’est octroyé le pouvoir absolu en gouvernant par décret.

Le 12 janvier 2015, BLM à Los Angeles a mené son premier forum public organisé par Todd Harris en solidarité avec Haïti. « Lorsque le peuple haïtien s’est libéré du joug esclavagiste, il a inspiré des millions d’Africains pour lutter pour leur liberté. Il a montré au monde que la suprématie blanche n’était pas éternelle », explique Harris.
Il ajoute, « Tout cela a préparé les bases de la rébellion à Ferguson et le mouvement émergent aux États-Unis. Une victoire pour la démocratie en Haïti est une victoire pour le peuple afro-américain. La lutte n’a pas de frontières. L’enjeu est maintenant de renforcer ces relations à travers la solidarité ».
 
BLM s’est fait écho de cette déclaration dans son communiqué en appelant, « à la solidarité de tout le peuple afro-américain pour soutenir la lutte pour la démocratie et la souveraineté du peuple haïtien. Son combat fait partie de notre cri pour mettre fin à la violence punitive d’État contre le peuple noir. #Touteslesviesnoirescomptent ».

Ainsi, l’appel à la résistance en 2015 de BLM est une des nombreuses pancartes brandies par les peuples de descendance africaine de cette décennie. C’est un mouvement clé pour les débats et les actions internationales pour la lutte pour la justice et l’auto-détermination des peuples noirs du monde.
 

 Références

Abulhawa, S. (2013). The Palestinian struggle is a black struggle. Electronic Intifada. http://electronicintifada.net/content/palestinian-struggle-black-struggle/12530

Black Lives Matter (2015). #BlackLivesMatter from Ferguson to Los Angeles to Haiti. Communiqué de presse

Brignac-Cullors, P. (interview, 1er décembre 2014) Bryant, P.T (interview, 1er décembre 2014)

Davis Bailey, K. (2015). "Dream Defenders, Black Lives Matter & Ferguson Reps Take Historic Trip to Palestine". Ebony Magazine. http://www.ebony.com/news-views/dream-defenders-black-lives-matter-ferguson-reps-take-historic-trip-to-palestine#axzz3PT7Ooo44

Charles, J. (2014). "Black Lives Matter and 21st Century Abolition". teleSUR. http://www.telesurtv.net/english/analysis/Black-Lives-Matter-and-21st-Century-Abolition-20141208-0028.html

Donaghy, R. (2014). "Palestinians send messages of solidarity to #Ferguson protestors". Middle East Eye. http://www.middleeasteye.net/news/palestinians-send-messages-solidarity-...

Forster, C. (2014). In America, Haiti is Palestine. Manuscrit non publié.

Garza, A. (2014). A Herstory of the Black Lives Matter Movement. Black Lives Matterhttp://blacklivesmatter.com/a-herstory-of-the-blacklivesmatter-movement/

Harris, T.E. (communication personnelle, 20 janvier 2015)

Khalek, R. (2015). "Watch : Ferguson activists bring message of “love and struggle” to Palestine". Electronic Intifada. http://electronicintifada.net/blogs/rania-khalek/watch-ferguson-activists-bring-message-love-and-struggle-palestine

Loudon, T. (2015). "Intifada USA ? American Radicals Build Ties to “Palestinian” Revolutionaries". Noisy Room. http://noisyroom.net/blog/2015/01/17/intifada-usa-american-radicals-build-ties-to-palestinian-revolutionaries/
 

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Jeanette Charles est éducatrice populaire, journaliste, et fille de la diaspora haïtienne. Elle fait partie d’un collectif de jeunes afro et latinos.