Avec près de 400 000 morts, les États-Unis changeront-ils à présent leur politique au Soudan du Sud ?

, par Foreign Policy in Focus , HUNT Edward

L’administration Trump prêtera-t-elle vraiment attention à cette guerre aussi violente que celle qui a lieu en Syrie ?

Le gouvernement Trump est resté totalement silencieux au sujet du conflit en cours au Soudan du Sud et maintient des relations diplomatiques discrètes avec les leaders de ce pays, malgré un récent rapport affirmant que près de 400 000 personnes ont trouvé la mort au cours de la guerre civile qui a lieu dans le pays.

Ce nombre de 400 000 morts est comparable au chiffre estimé des victimes de la guerre en Syrie. Deux millions de personnes environ ont été déplacées à l’intérieur du Soudan du Sud et plus de 2,5 millions de personnes ont fui le pays.

Comme si cela n’était pas suffisant, le Soudan du Sud est également en train de vivre l’une des pires crises humanitaires au monde. Près de 6 millions de personnes, soit environ 60% de la population, sont en situation de précarité alimentaire grave, quand 1,6 millions d’autres sont menacées par une famine imminente.

"Parce que le conflit s’est prolongé et a pris de l’ampleur, le nombre de personnes ayant besoin d’aide a simplement continué d’augmenter“ a expliqué plus tôt cette année Mark Lowcock, le coordinateur des secours d’urgence des Nations Unies.

La guerre civile au Soudan du Sud a débuté en 2013 lorsque le Président Salva Kiir et le Vice-Président Riek Machar ont commencé à s’affronter. Si la guerre est souvent décrite comme un conflit ethnique insoluble entre les Dinkas (l’ethnie de Kiir) et les Nuers (celle de Machar), les deux hommes se sont surtout centrés sur des questions de pouvoir et de richesse.

"Il y a bien sûr des considérations ethniques, mais il s’agit surtout d’une lutte pour le pouvoir afin de prendre le contrôle du pays et de le conserver" explique Hilde Johnson, l’ancienne directrice de la mission des Nations Unies au Soudan du Sud.

Les États-Unis ont joué un rôle décisif pour le pays. Avant que la guerre n’éclate, le gouvernement Bush a aidé les dirigeants sud-soudanais lors des négociations qui ont mené à l’indépendance du pays en 2011. Le Président Kiir porte d’ailleurs régulièrement le chapeau de cowboy que lui avait offert George W. Bush.

Depuis 2005, les États-Unis ont fourni au Soudan du Sud près de 11 millions de dollars d’aide. "Une telle somme est sans précédent en Afrique subsaharienne et représente l’un des plus grands investissements des États-Unis en termes d’aide internationale au cours de la dernière décennie" affirme un rapport du Service de Recherche du Congrès.

Les États-Unis ont aussi pris position dans le conflit. L’administration Obama a soutenu le Président Kiir, en lui permettant d’acquérir des armes provenant d’Ouganda, un proche allié des étatsuniens dans cette région. "L’Ouganda a reçu notre feu vert" reconnaitun ancien haut fonctionnaire.

Afin de garantir l’affluence d’armes, le gouvernement Obama a pendant des années étouffé les appels à l’embargo d’armes.

Lors d’une autre crise majeure en 2016, Obama a continué à défendre la position de Kiir. Lorsque Machar a été chassé du pays, les fonctionnaires étatsuniens lui ont conseillé d’abandonner sa place au sein du gouvernement.

"Nous pensons qu’il n’est pas sage que Machar recouvre ses fonctions" déclara l’Envoyé Spécial Donald Booth au Congrès.

Jon Temin, qui a travaillé pour les responsables de la planification de la politique au Département d’État pendant les dernières années du mandat d’Obama, a été très critique des choix faits par ce gouvernement. Dans un rapport récent publié par le Musée Mémorial de l’Holocauste, Temin affirme que les actes de violence les plus extrêmes auraient pu être évités si le gouvernement Obama avait mis en place un embargo sur les armes au début du conflit et n’avait pas pris systématiquement le parti de Kiir.

« Les États-Unis ont à plusieurs reprises manqué l’occasion de se retirer et de réévaluer globalement leur position » signale Temin.

Lors de la prise de fonction du gouvernement Trump en 2017, le Soudan du Sud était déjà fissuré. En juillet 2017, un groupe d’analystes et d’anciens fonctionnaires informent le Congrès du niveau terrifiant des violences en cours, citant des massacres de masse, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Le président Kiir « dirige un régime brutal qui continuer à assassiner et à piller son peuple » assure l’ancien diplomate américain Payton Knopf, qui a travaillé pendant des années sur cette crise. « On peut comparer le nombre de victimes civiles à celui de la guerre en Syrie, mais avec une population deux fois moins nombreuse. »

Plus récemment, le gouvernement Trump a commencé à s’intéresser au Soudan du Sud. La Maison Blanche a publié sur son site Internet des critiques adressées aux dirigeants sud-soudanais et des menaces de retrait des aides accordées. Les fonctionnaires de l’administration ont récemment organisé un vote au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour finalement déclarer un embargo sur les armes dans le pays.

Cependant, par ailleurs, l’administration Trump maintient la plupart des décisions prises lors du mandat d’Obama et ne s’est pas beaucoup intéressée à la crise. Mis à part l’embargo sur les armes, qui peut toujours être contourné avec d’autres appels du pied à l’Ouganda, celle-ci n’a pas fait grand-chose pour modifier sa politique, se retirer ou changer de cap.

Les États-Unis pourraient « perdre leur influence » au Soudan du Sud « s’ils deviennent hostiles au gouvernement » a prévenu plus tôt cette année le diplomate américain Gordon Buay.

Bien sûr, on note un changement incontestable depuis le mandat d’Obama : le président Trump a non seulement montré très peu de préoccupation pour les horreurs qui se sont déroulées au Soudan du Sud, mais il s’est aussi fait remarquer par ses commentaires racistes sur les africains et les nations africaines, comme s’il n’était vraiment pas au fait du rôle qu’ont joué les Etats-Unis au Soudan du Sud.

Les perspectives de paix sur le long terme semblent très minces. Même si Kiir et Machar se sont entendus sur un nouvel accord de paix, beaucoup d’observateurs restent sceptiques quant à la capacité des deux hommes à se partager paisiblement le pouvoir.

« C’est de la folie de continuer à promouvoir des solutions qui n’ont pas marché » a récemment commenté Kate Almquist Knopf, ancienne analyste du Pentagone.

Voir l’article en anglais sur le site de Foreign Policy in Focus