Du terrain idéologique…
En matière idéologique et médiatique, Alain de Benoist, « modérateur » du mouvement de la Nouvelle Droite [1] et « écologiste » d’extrême droite, est sans doute le personnage le plus ambigu à mentionner. Se revendiquant d’un « gramscisme [2] de droite », il est le fondateur, en 1969, du groupe de pensée du GRECE [3] – think tank inactif aujourd’hui mais ayant contribué à poser les bases idéologiques et rhétoriques des mouvements écologistes d’extrême droite. Usant d’une stratégie confusionniste qui singe le pluralisme, Alain de Benoist a fondé plusieurs revues [4] et collabore à la revue Éléments, vitrine du GRECE et de la Nouvelle Droite. Il contribue activement à de nombreux débats médiatiques autour de l’écologie que ce soit dans des publications militantes (Silence) ou grand public (Figaro magazine). Habitué des colloques de l’Institut Iliade « pour la longue mémoire européenne », institut de formation de la Nouvelle Droite sur le « grand effacement » et « les pensées non-conformes » [5], De Benoist travaille à diffuser une culture néo-droitière mêlant critique du libéralisme, de la modernité, écologie et néo-paganisme européen. S’inscrivant, comme la majorité des idéologues d’extrême droite, dans l’ethno-différentialisme [6] et tendant vers ce que Pierre Madelin nomme l’éco-différentialisme [7], il écrit sans ambages que « La vraie écologie se doit de préserver la diversité humaine par le maintien des grandes races dans leur environnement naturel ». Sous couvert de préserver les identités qui seraient le fruit de territoires naturels, c’est in fine le métissage, le brassage des cultures qu’il s’agit d’éviter, au risque de voir s’effondrer les civilisations. Un pont est ici jeté avec la théorie du Grand remplacement.
… au territoire
Parallèlement aux sphères intellectuelles, des femmes et des hommes de terrain souhaitent s’enraciner à leur terre natale et nouer des liens avec elle, dans la droite ligne du mouvement anticonformiste völkisch [8] et de la maxime néonazie « Le sang et la terre [9] ». Sacralisant le retour à la terre et pétris d’un imaginaire fantasmant la ruralité, ces groupes en appellent aux traditions et à l’enracinement ethnique à la terre qui les a vu naître. Un peuple et sa culture sont pour elleux liés à un territoire, perçu comme immuable et figé. Développant une forme d’« écologie des populations », iels envisagent les groupes ethniques comme des espèces animales, liées à un biotope, à un territoire qu’il faut préserver des espèces invasives. Passant presque inaperçu·s tant leurs écolieux, leurs amaps et leur spiritualité néo-païenne se confondent avec tous les autres, des groupes – encore rares en France – créent des ancrages territoriaux et tentent de s’organiser pour créer des Zones identitaires à défendre [10]. C’est le cas de l’association Des Racines et des Elfes [11] qui réunit des « Européens, Libres, Fiers, Enracinés et Solidaires », des ELFES ethno-nationalistes. Ou de l’association Tenesoum (résurgence de Bastion social, mouvement néofasciste violent dissout par décret en 2019) qui propose de « Bâtir quand tout s’écroule », en travaillant la terre ou en développant des circuits courts en Provence, entre autres activités de « solidarité, enracinement, sport ou formation ».
Pour ces idéologues d’extrême droite, l’écologie est un sujet pour recruter de nouveaux adeptes, notamment parmi celleux issu·es des générations qui n’ont pas connu le fort climato-négationnisme des élites d’extrême droite dans les années 1980.
Sur le large spectre des pratiques identitaires écolos allant du paysan néonazi à l’écoterroriste d’extrême droite, le mouvement « survivaliste » constitue par ailleurs un appel d’air. Ce courant qui compte de plus en plus d’adeptes a pour but de s’organiser pour résister à l’effondrement redouté. Comment ? En créant soit des communautés agricoles autonomes, voire autarciques, éloignées de la promiscuité urbaine et raciale [12], soit des BAD, des bases autonomes durables. Certains soraliens [13] notoires (comme d’autres groupes de la fachosphère tels que NEO ou Ecofash propaganda) se revendiquent d’ailleurs du survivalisme et d’une écologie ethno-différentialiste et guerrière. En novembre 2021, le groupe « Recolonisons la France » – se définissant comme un « groupe communautaire de survivalistes patriotes » – a fait l’objet d’une interpellation au cours de laquelle un arsenal de 130 armes a été découvert. Selon Stéphane François, politologue spécialiste des droites radicales [14], « le noyau des militants écofascistes compte en France 200 à 300 personnes. Autour, il y a une nébuleuse plus diffuse où ce type d’idées se propage notamment par des revues comme Éléments, Terre et peuple, Réfléchir et agir ou la maison d’édition Culture & Racines. Leur lectorat tourne autour de 20 000 personnes [15] ».
L’écologie intégrale version traditionaliste
Loin de représenter un mouvement uniforme, et à l’image de la cartographie de l’extrême droite [16], les écolos d’extrême droite se comptent aussi parmi les catholiques traditionalistes. Depuis 2013, iels se structurent en France autour de l’Academia Christiana, qui se décrit à la fois comme un mouvement de jeunesse catholique, un institut de formation politique, un laboratoire d’idées et un réseau d’initiatives.
Relisant l’écologie intégrale, issue du Laudato si du Pape François, à l’aune d’une grille traditionaliste, l’Academia Christiana s’est donné pour objectif de « former les cadres de la reconquête civilisationnelle » prêt·es « à défendre le Vrai, le Beau et le Bien ». La finalité ici est de protéger la terre, « terreau nourricier de [leur] foi » et « patrie charnelle », mais également de protéger les corps qui en sont issus, en refusant avortement, gestation pour autrui ou technique de procréation assistée.
Des propositions politiques aux couleurs écofascisantes
À la fois vert et bleu, blanc, rouge, le mouvement Les Localistes, cofondé en 2020 par l’eurodéputé et essayiste national-conservateur Hervé Juvin et l’ex-LFI Andréa Kotarac, cherche son assise dans les « territoires ». S’affichant comme les tenant·es de « l’écologie du bon sens », Les Localistes entendent reprendre le contrôle des lieux de vie pour mieux défendre le territoire national, son mode de vie et ses cultures « qui sont le fruit d’adaptations millénaires au sol, au climat et aux ressources naturelles [17] ». (« Toute la France est une zone à défendre. […] La priorité écologique commande d’en finir avec l’hypermobilité et l’ouverture des frontières […] » affirme leur manifeste, qui évoque au passage le vol du vivant, le « bio-pillage » que permettent les industriels-semenciers ou la médecine en matière de reproduction humaine). S’il est difficile d’étiqueter d’emblée ce mouvement d’écofasciste, l’analyse des propos d’Hervé Juvin (par ailleurs « expert écologie » du Rassemblement national) laisse planer moins de doutes, surtout lorsqu’il écrit que « L’homme doit défendre son biotope contre les espèces invasives. Il faut protéger les écosystèmes, à commencer par les écosystèmes humains que sont les nations ».
À la traîne, le Rassemblement national (RN) tente de prendre le tournant vert, bien que son programme n’en ait pas terminé avec le productivisme et la croissance [18], et soit très en-deçà – voire à contre-courant – des enjeux [19]. Ainsi, Marine Le Pen appelait-elle en 2019 (dans son manifeste pour les Européennes, écrit par Hervé Juvin [20]) à l’émergence d’une « civilisation écologique européenne », à rebours « du nomadisme » – cette déclinaison du mondialisme, qui serait une « arme de destruction contre l’Europe » et tendrait à l’effacement des nations [21].
Depuis, le RN tente d’établir les principes d’une écologie politique nationaliste, à la fois « localiste » et « enracinée », mais toujours bien dopée aux énergies fossiles. Pour Stéphane François : « Son programme écologique est considéré comme une impasse par les écologistes d’extrême droite car il ne rompt pas avec le modèle productiviste issu des Lumières » [22].