Le Programme national de symbiose industrielle (Nisp) du Royaume-Uni est le seul programme national de facilitation des synergies entre entreprises au monde. Il chapeaute douze organisations régionales qui, outre les neuf régions anglaises, travaillent en Ecosse, au Pays de Galles et, depuis février, en Irlande du Nord.
La carte de visite du Nisp a de quoi intimider. Commencé en 2002, il couvre tout le territoire britannique, revendique 8000 entreprises membres et son bilan d’avril 2005 à mars 2010 force l’admiration :
- 39 millions de tonnes de matières détournées des décharges ;
- 35 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) évitées ;
- 53 millions de tonnes de matériaux vierges économisées ;
- 64 millions de tonnes d’eau potable utilisées en moins ;
- 2 millions de tonnes de déchets dangereux supprimées ;
- 8770 nouveaux postes de travail créés ou sauvés ;
- 1000 millions d’euros de coûts en moins pour les industriels ;
- 1075 millions d’euros de ventes en plus pour les industriels ;
- 52 millions d’euros d’investissements pour des installations de recyclage.
Ces chiffres, vérifiés par un organisme indépendant, sont la fierté du Nisp. Le secret de son succès : son pragmatisme et sa forte orientation « business » dans un pays qui est – il convient aussi de le souligner – très en retard sur le plan de la gestion de ses « déchets ». Les marges de manœuvre y sont donc énormes.
Au Royaume-Uni, le recyclage est encore balbutiant : plus de la moitié des déchets industriels et plus de 80 % des déchets urbains finissent en décharge. Et la place pour le stockage se raréfie, surtout au sud-est de l’île, très fortement urbanisé. D’une manière générale, les nuisances sont de plus en plus évidentes : émissions de méthane, pollution des sols, mauvaises odeurs, enlaidissement du paysage.
Pour décourager les décharges, le gouvernement a introduit en avril 2001 une taxe qui augmente chaque année de 4,5 euros la tonne de déchets. En 2011, il faut payer 67 euros pour en déposer une en décharge. Et une partie du montant de cette taxe sert à aider les industries à produire moins de déchets.
« Cette taxe, c’est à la fois un bâton et une carotte », commente Peter Laybourn, créateur et directeur du Nisp. A cette première explication de la popularité du Nisp auprès des entreprises s’en ajoute une autre : l’entrée en vigueur, au même moment, de la taxe climatique, qui frappe la consommation d’énergie non renouvelable dans les entreprises et le secteur public.
Répondre aux besoins des industries
Une autre source du succès du Nisp est sa philosophie. « Nisp diffère des approches traditionnelles qui présentent des solutions clefs en main aux industries, explique Peter Laybourn. Ce programme est unique parce qu’il prête une oreille attentive aux besoins des entreprises et répond à leurs demandes », poursuit le directeur. Le Nisp dispose de plusieurs méthodes pour stimuler la participation active de ses interlocuteurs.
« Notre préférée consiste à faire se rencontrer les entreprises pour qu’elles discutent entre elles », raconte Peter Laybourn. Dans ses douze programmes régionaux, le Nisp organise des ateliers qui mélangent les représentants de secteurs très différents. « Les gens de l’industrie chimique se connaissent, mais ils croisent rarement ceux des industries alimentaires ou de la métallurgie, par exemple. »
Lors de ces meetings d’une demi-journée, l’équipe du Nisp facilite le dialogue en faisant travailler les gens par groupes de huit à dix personnes. Toute idée est soigneusement notée. Un rapport consignant toutes les pistes évoquées est ultérieurement remis aux entreprises qui sont libres de pousser plus loin celle ou celles qui les intéressent. C’est comme cela qu’on peut enclencher des interactions entre des entreprises qui n’ont aucune habitude de se côtoyer.
Cependant, les entreprises affectionnent encore et toujours les bonnes vieilles rencontres individuelles. « C’est pourquoi nous multiplions aussi les visites », continue Peter Laybourn. Les responsables du Nisp suggèrent aux entrepreneurs des pistes d’action et leur proposent d’entrer leurs bilans de matières et d’énergie dans une base de données régionale pour identifier les fournisseurs ou les repreneurs potentiels de certains de leurs sous-produits. « Pour autant, nous n’offrons pas de prestations de consultant. Nous reconnaissons aux entreprises leur rôle d’experte dans leurs activités. Le nôtre est de stimuler leur créativité », précise Peter Laybourn.
Le Nisp aide ainsi à concrétiser des synergies. Exemple : des millions de pneus hachés sont utilisés pour faire une couche de drainage dans une décharge. Une entreprise qui construit une chaudière à bois et brûle les chutes de bois de plusieurs autres entreprises. Une autre qui écoule 10 000 tonnes de bois recyclé par an. Quatorze hectares de serres qui profitent de la chaleur et du CO2 que dégage une entreprise d’engrais voisine. Etc.
« Nous ne cherchons pas d’emblée la solution optimale. Nous visons les possibilités immédiates pour les entreprises de faire des affaires en réduisant leurs déchets », insiste Peter Laybourn. Cette approche toute anglo-saxonne, hyper pragmatique et tournée vers les opportunités commerciales, c’est la marque de fabrique de l’écologie industrielle.