Argentine : le gouvernement de Javier Milei représente une menace urgente pour les droits humains

, par The conversation , FOUTREL Emilie (trad.), LEVEY Cara

Sur des barbelés, des manifestant·es ont placé le symbole du foulard blanc que portaient les Mères de la Place de Mai lorsqu’elles contestaient la dictature ; avec, dessus, les mots "Plus jamais ça".

« Milei, ordure, c’est toi la dictature ». C’est l’un des slogans de défi qui ont retenti dans le centre de Buenos Aires le dimanche 24 mars [2024], alors que quelque 400 000 Argentin·es remplissaient la Plaza de Mayo, place emblématique, témoin de moments cruciaux de l’histoire de l’Argentine.

Chaque année, à cette date, les gens affluent à Buenos Aires - et dans d’autres villes d’Argentine – pour une manifestation annuelle commémorant les victimes de la dernière dictature militaire du pays. Entre 1976 et 1983, on estime que 30 000 personnes ont été tuées, emprisonnées, torturées ou ont fait l’objet de disparitions forcées, dans le cadre d’une campagne menée par l’État qui hante encore le pays.

Mais cette année, la manifestation a pris des connotations un peu différentes. Les militant·es ont exprimé leur indignation tangible à l’égard du gouvernement du président Javier Milei, qui cherche à minimiser l’héritage violent de la dictature.

Le 21 mars [2024], le ministre de la Défense de Milei, Luis Petri, aurait même rencontré les épouses d’officiers militaires condamnés pour crimes contre l’humanité. En toile de fond de cette rencontre, des rumeurs de grâces pour les auteurs de violations aux droits humains commises sous la dictature.

De nombreux droits humains sont également en régression. Des menaces ont été proférées à l’encontre de militant·es, le financement des sites commémoratifs du pays a été retiré et leur personnel licencié, et des employé·es du Secrétariat des droits humains ont été renvoyé·es. Les droits humains, durement acquis au fil des décennies en Argentine, sont en danger.

Violence politique

Milei se réclame de l’anarcho-capitalisme. Ses politiques sont, au mieux, nébuleuses, au pire, dangereusement chaotiques. Depuis son élection en novembre 2023, Milei a clairement planifié de vastes réformes économiques libérales, des coupes dans le financement des services publics, et s’est opposé au mariage pour tou·tes ainsi qu’à l’avortement légal.

La politique de Milei en matière de droits humains est inquiétante. Un certain nombre de militaires en activité ou à la retraite ont été nommés à divers postes gouvernementaux, notamment au poste de chef d’Etat-major et au ministère de la Défense. Cependant, le pire serait à venir, à l’approche des commémorations du 24 mars de cette année – une attaque en règle contre les droits humains.

Début mars, Sabrina Bölke, membre de HIJOS (Fils et filles pour l’identité et la justice contre l’oubli et le silence), a été attaquée et agressée sexuellement à son domicile. HIJOS est une organisation argentine fondée en 1995 pour représenter les enfants de personnes assassinées, disparues ou emprisonnées par la dictature militaire argentine.

Avant de partir, ses agresseurs ont écrit « VVLC [viva la libertad, carajo] ñoqui » sur l’un des murs. Il s’agit du slogan de Milei, qui se traduit approximativement par « Vive la liberté, putain ». Ñoqui (gnocchi) est un terme péjoratif désignant les fonctionnaires paresseux qui abusent de leur petit quota de pouvoir.

C’est une leçon sur ce qui se passe lorsque des « outsiders » radicaux comme Milei (ou Jair Bolsonaro au Brésil et Donald Trump aux États-Unis) sortent de l’ombre. Non seulement ils tolèrent la violence politique, mais ils l’encouragent activement. Manquant d’expérience politique, leur leadership est fondé sur la création d’une mentalité « nous contre eux » qui enhardit leurs partisan·es.

Révisionnisme historique

Le jour de la commémoration, les événements ont pris une tournure encore plus inquiétante. Le gouvernement a publié une vidéo, tout droit sortie du manuel des négationnistes, présentant une image fausse et alternative des crimes de la dictature militaire.

La vidéo plaide pour une « mémoire complète » qui met l’accent sur les personnes tuées par les organisations armées de gauche dans les années 1960 et 1970 et appelle à la fin de la poursuite de la justice pour les auteurs militaires. La vidéo met en scène Juan Bautista Yofre, l’ancien chef du Secrétariat aux renseignements, et María Fernanda, la fille du capitaine Humberto Viola, qui a été tué en 1974 par la gauche révolutionnaire.

La vidéo ressuscite le thème des « deux démons ». Il s’agit d’une théorie qui renvoie dos à dos le terrorisme systématique de l’État à la violence commise par la gauche révolutionnaire. Elle justifie les disparitions comme étant le résultat d’un conflit entre deux factions belligérantes.

C’est un point de vue qui, ces dernières années, avait perdu beaucoup de crédibilité. En 2006, le prologue du rapport de la Commission nationale sur la disparition des personnes, initialement publié en 1983 pour détailler l’ampleur des disparitions forcées dans toute l’Argentine, a été réécrit spécifiquement pour supprimer toute allusion à ce mythe.

Un tel refus des faits historiques n’est pas surprenant. Lors des débats de sa campagne présidentielle, Milei a contesté le nombre de disparu·es de la dictature militaire.

Sa vice-présidente, Victoria Villarruel, nièce d’un membre des forces armées faisant l’objet d’une enquête judiciaire, est allée encore plus loin. Elle a demandé la fin des procès pour violation des droits humains et a fait pression pour la fermeture du musée de la mémoire, situé sur le site de l’ancienne école de mécanique de la marine, devenue un centre de détention clandestin pendant la dictature.

Quelle sera la suite ?

Milei et Villarruel pourraient avoir du mal à bloquer complètement les procès relatifs aux violations des droits humains, pour le moins, pas sans un affrontement avec les tribunaux argentins. L’opposition du congrès à la « loi omnibus » de Milei (le nom collectif de son paquet de réformes libérales) en février 2024 rappelle qu’il sera sans aucun doute confronté à des obstacles législatifs.

La Cour d’appel argentine, qui est chargée de statuer sur les affaires relatives aux droits humains, a également indiqué clairement qu’elle empêcherait les auteurs de violations des droits humains de bénéficier d’une assignation à résidence. Cependant, nous assisterons probablement à une remise en cause progressive des procédures judiciaires par la libération d’accusés et le remplacement de juges, accompagnée d’un renforcement de ceux qui nient le terrorisme d’État.

Le mandat de Milei n’en est qu’à ses débuts. Mais les militant·es des droits humains et les observateur·rices internationaux·ales devraient s’inquiéter de l’avenir des droits humains en Argentine.

Voir l’article original en anglais sur le site de The Conversation