Après l’émotion, quelles analyses ?
Suite aux événements tragiques qui se sont succédé depuis le 7 janvier 2015, ritimo a recensé des textes qui, au-delà de l’émotion, nous donnent des clés pour comprendre ce qui a conduit à l’inacceptable et portent des réflexions face à la complexité de la situation et de ses implications. Ce travail d’analyse est nécessaire pour ne pas tomber dans des discours de stigmatisation de l’autre, dans le tout sécuritaire et dans la peur, et participe à notre capacité à construire une société solidaire, égalitaire, juste et respectueuse des libertés fondamentales.
Dans une tribune d’Altermondes Plusieurs choc emmêlés, Gustave Massiah, figure du mouvement altermondialiste, s’interroge sur les différents chocs provoqués par ces événements (« un journal décapité, des dessinateurs et des journalistes, la liberté d’expression, le droit à l’humour bête et méchant, l’islamophobie, le retour de l’antisémitisme, les conséquences, la peur d’un monde qui implose. Tout se mélange et rend ce cocktail explosif ») et leurs conséquences.
Le philosophe Patrick Viveret nous alerte dans son texte Ne nous trompons pas de combat ! car une réponse sécuritaire ne pourra que renforcer "la logique de peur et le repli identitaire [et] faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits".
Le chercheur spécialiste de l’islam Olivier Roy s’interroge sur La place des musulmans en France dans les discours. Il revient sur le terme "communauté musulmane", basé sur un imaginaire politique musulman et pointe d’autres menaces, celles de "l’islamophobie et l’exclusion qui peuvent expliquer, sans l’excuser, la radicalisation des jeunes".
Le site d’information Basta ! a choisi quelques thèmes - peur, terrorisme, prison, amalgame, désolidarisation... - pour tenter de comprendre ce qui se joue actuellement : Après l’émotion et la mobilisation, quels défis pour la société française et la défense des libertés dans le monde ?
Dans son texte Caricatures et liberté d’expression : le choc des hypocrisies, le chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) Karim Emile Bitar propose une analyse très claire entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité pour expliquer les différentes interprétations de la liberté d’expression. Il invite tous les intellectuels à s’engager pour changer les mentalités de leur camp en expliquant que « le véritable courage consiste à défendre la liberté d’expression des "autres" et non pas celle des "nôtres" ».
Un groupe d’universitaires en appelle à « l’analyse profane de la violence politique ». Dans leur analyse Qu’est-ce que ça fait d’être un problème ?, les auteurs observent le glissement dans les discours politiques et médiatiques : « Après le "problème de l’intégration des immigrés", nous sommes passés au "problème musulman", dont l’enjeu est pourtant identique : ont-ils la légitimité de vivre sur le territoire français ? » et donnent des clés de compréhension sur les sources de la violence politique.
Des voix s’élèvent contre les stigmatisations
A l’heure où l’obsession est au recensement des "incidents" dans les classes de collège et lycée de France, une professeure de Saint-Denis raconte le "silence respectueux, attentif, plein" de sa classe quand elle a ouvert les discussions. Son texte, adressé à ses élèves Pour mes élèves de Seine Saint-Denis, attire notre attention face aux préjugés et amalgames qui pourraient être faits par la suite.
Face à la stigmatisation des "zones dites sensibles" en France, des voix s’élèvent aussi pour refuser cette stigmatisation. C’est le cas des Reporters citoyens, apprentis journalistes des quartiers franciliens, qui ont publié une tribune puissante pour refuser les discriminations, les amalgames et promouvoir la paix et la solidarité en guise de réponses à ces tragiques événements.
Le rôle fondamental de la société civile
Un texte de l’association Lebret-Irfed sur La montée de l’extrémisme religieux en Europe et en Asie rappelait dès 2008 l’importance des organisations de la société civile et de la participation populaire face à de tels défis :
"Les organisations de la société civile ont un rôle prééminent à jouer : leurs idées, si elles sont mises en pratique, peuvent être beaucoup plus puissantes que les idées fondamentalistes. La voie vraie pour prévenir la violence fondamentaliste passe par l’éducation à la fois formelle (c’est de la responsabilité de l’État) et informelle (c’est de la responsabilité de la société civile).
Mais l’éducation en elle-même n’est pas suffisante. La question est de savoir comment renforcer la capacité des populations à influencer la prise de décision politique et à s’assurer que leurs problèmes sont pris en compte. Ce qui est en jeu ici est la participation citoyenne et populaire, et le lien entre démocratie représentative et démocratie participative."