Afrique du Sud : Une coupe du monde de foot à l’arrière-goût de xénophobie

 

Ce texte, publié originellement en anglais par IRIN, a été traduit par Amélie Boissonnet, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

JOHANNESBURG, 27 mai 2010 (IRIN)- L’Afrique du Sud accueille la première coupe du monde de football qui ait jamais eu lieu sur le continent africain. Cependant l’exaltation grandissante ne parvient pas à noyer la vague de rumeurs insidieuses qui appellent à l’expulsion des ressortissants étrangers, à l’heure même où le rideau se lève en grande pompe sur le plus grand Jamboree de football du monde.

Les médias locaux croulent sous les anecdotes de complot qui circulent dans les taxis, les shebeens et les marchés afin de soulever un pogrom contre les ressortissants étrangers africains, accusés de voler les emplois et de détourner les services publics. Parmi les ONG concernées par le problème des migrants et des réfugiés, la tension monte à mesure que s’approche le 12 juillet – jour du lendemain de la finale.

Dans un article du journal local Business Day daté du 27 mai, le chroniqueur Jacob Dlamini raconte un incident survenu à Katelhong, le township où il a grandit. « J’ai vu trois femmes du quartier railler un Mozambicain ‘Fais tes valises et surtout sois bien prêt pour le départ le 12 juillet !’ lui lancent-elles, ‘Vous savez, certaines de vos sœurs n’auront plus qu’à mourir de faim si je suis expulsé d’ici’, leur répond-il. Et les commères de rétorquer ‘On s’en moque pas mal’ ».

Ces menaces proviennent de différentes personnes : voisins, collègues, chauffeurs de taxi, passants mais aussi infirmières, travailleurs sociaux et meme officiers de police.

La xénophobie, inséparable compère de l’après-apartheid en Afrique du Sud, connut sa manifestation la plus meurtrière en mai 2008 lorsqu’un incident survenu dans le township Alexandra, à Johannesburg, déclencha une vague de violence contre les étrangers à travers le pays, provoquant des dizaines de morts et plus de 10,000 déplacés.

Par la suite, des dispositifs d’alerte précoce furent mis en œuvre afin d’assurer une réponse rapide à la violence xénophobe. Cependant Jacques Kamanda, secrétaire général de l’Organisme de Coordination des Communautés de Réfugiés, a confié à IRIN que ces systèmes ne sont pas viables.

Depuis 2008, « personne n’a été condamné pour les attentats », témoigne-t-il. Un conseiller municipal du National African Congress (ANC, parti au pouvoir) dans la ville portuaire de Durban, accusé d’avoir mené un soulèvement populaire, « court toujours en liberté ». Cette émeute coûta la vie à deux hommes – l’un zimbabwéen, l’autre tanzanien – qui furent contraints de se jeter du haut d’un immeuble pour échapper à la foule. Un troisième homme a survécu à la chute.

Kamanda, venant de la guerre qui déchire la République Démocratique du Congo, a déclaré que le gouvernement devrait prendre position contre la xénophobie. « Nous avons besoin que le gouvernement [sud-africain] se lève et affirme qui nous sommes et pourquoi nous sommes ici, mais il n’en fait rien. »

Dans un communiqué daté du 11 mai, en commémoration du second anniversaire des attentats xénophobes de 2008, le Consortium pour les réfugiés et les migrants en Afrique du Sud (CORMSA) rapporte l’étendue des « plaintes déposées par les ressortissants étrangers de tout le pays qui sont menacés de violences après la coupe du monde ».

« Ces menaces proviennent de différentes personnes : voisins, collègues, chauffeurs de taxi, passants, mais aussi infirmières, travailleurs sociaux et même officiers de police. Ce qui est tout aussi inquiétant, c’est que nombre d’entre ceux qui émettent ces menaces croient bénéficier du soutien des dirigeants politiques. », dit ce communiqué.

Une lame de fond de xénophobie

Duncan Breen, chargé de plaidoyer à la CORMSA, a confié à IRIN que le risque est à double tranchant : d’une part, les spéculations sur la flambée de xénophobie risquent de devenir une prophétie auto-réalisatrice, alors que d’autre part il serait « irresponsable de ne pas alerter les gens contre cette éventualité, afin que nul ne puisse dire qu’il ne l’avait pas vue venir ».

Néanmoins, il rappelle que l’histoire de l’Afrique du Sud a regorgé de conspirations qui n’ont pas toujours versé dans l’action, comme par exemple le moment où l’ex-président Nelson Mandela quitta ses fonctions, où l’on s’attendait à ce que « les blancs tombent comme des mouches ».

Récemment, l’Observatoire de la région de la commune de Gauteng (ORCG), panel d’experts de la province, a publié en partenariat avec deux universités de Johannesburg une enquête qui interroge quelque 6 636 participants sur la qualité de vie à Gauteng, province la plus prospère du pays. Le résultat de l’enquête montre que la traînée de poudre xénophobe qui embrase la société sud-africaine ne s’arrête pas aux communautés pauvres et marginalisées.

Le Professeur David Everatt, directeur exécutif de l’ORCG, a déclaré aux médias locaux que 73% des participants ayant reçu une éducation supérieure pensent que « les étrangers accaparent les avantages qui sont censés être réservés aux sud-africains », alors que les trois-quarts de ceux qui n’ont pas fréquenté l’université ont jugé exacte cette affirmation. Everatt commente : « Si les attitudes xénophobes persistent… nous avons un problème ».