Afrique du Sud : Un mouvement de pauvres suscite la colère du gouvernement

, par Integrated Regional Information Networks (IRIN)

 

Ce texte, publié originellement en anglais par IRIN, a été traduit par Marine Gandit, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

DURBAN, 21 avril 2010 – La montée d’un mouvement organisé de pauvres dans la province la plus peuplée d’Afrique du Sud, le KwaZulu-Natal, est accueillie avec une hostilité croissante par le parti au pouvoir, l’ANC (Congrès National Africain), qui prétend être le représentant légitime des plus pauvres.

De plus en plus, l’Afrique du Sud est touchée par des manifestations liées à la fourniture des services – un euphémisme pour désigner les communautés qui descendent dans les rues afin de faire entendre leur frustration à propos de la lenteur qu’ils dénoncent dans la fourniture de certains services publics. Pourtant, c’est la création du mouvement social militant non-aligné, Abahlali Basemjondolo – le « mouvement des habitants de bidonvilles », en Zoulou – qui suscite le plus de tensions.

Dans un rapport récent, une entreprise de recherche qui étudie les 283 municipalités d’Afrique du Sud, le Municipal IQ, a rapporté qu’il y avait eu 54 manifestations au cours du premier trimestre 2010, contre 105 au total en 2009.

« En fait, le nombre de manifestations du mois de mars [environ 25] équivaut au pic jusqu’à présent inégalé du mois de juillet de l’année dernière [2009] », a déclaré Kevin Allan, directeur général de Municipal IQ, à la presse.

La plupart des manifestations relatives à la fourniture des services sont perçues comme l’expression spontanée d’insatisfactions, lesquelles se traduisent parfois en actes de violence publique et en incendies criminels. Mais le mouvement Abahlali Basemjondolo s’est organisé et annonce regrouper plus de 20 000 personnes à travers 25 campements informels à l’intérieur et autour de Durban, la plus grande ville du KwaZulu-Natal.

Le mouvement Abahlali Basemjondolo a été créé en février 2005 suite au blocage d’une route par un groupe de personnes du campement informel de Kennedy Road. Leur but était de protester contre la vente à une entreprise d’un terrain sur lequel le conseiller municipal local avait auparavant promis de faire construire des maisons pour les habitants des bidonvilles.

Le président de Abahlali Basemjondolo, Sbu Zikode, 37 ans, qui vit désormais caché avec sa famille, a confié à IRIN que le mouvement avait été formé dans le but de travailler de pair avec le gouvernement et les autorités locales à améliorer les conditions de vie des habitants de ces bidonvilles. Sauf que la réponse de ces derniers a été tout sauf cordiale.

« Nous avons été appelés de tous les noms : la Troisième Force, agents provocateurs et contre-révolutionnaires », ajoute-t-il. En Afrique du Sud, le terme « Troisième Force » est empreint d’émotion et fait référence aux opérations de manipulation orchestrées par le gouvernement de l’apartheid pour semer la zizanie et la violence parmi la population noire.

La souffrance des pauvres ignorée

« L’ignorance des personnes au pouvoir les rend aveugles face à nos souffrances, car elles ne comprennent pas ce que c’est que de vivre dans un bidonville. Qu’elles viennent avec nous quand nous cherchons du travail ! Qu’elles chassent les rats et empêchent les enfants de renverser des bougies », déclare Zikode.

« Qu’elles prennent soin des malades quand il y a une longue file d’attente pour avoir de l’eau potable ; qu’elles soient présentes quand nos enterrons nos enfants morts dans l’incendie de nos cabanes, ou décédés de la diarrhée ou du SIDA. »

Le 22 mars 2010, Abahlali Basemjondolo a organisé une marche à travers Durban, qui a réuni des milliers de personnes, afin d’exiger des logements pour les pauvres. Le mouvement a promis d’organiser une action similaire lors de la finale de la Coupe du Monde de football qui aura lieu en Afrique du Sud en juin prochain. Bien que cette marche ait eu lieu sans incident, cela n’a pas toujours été le cas.

L’organisation explique qu’après avoir reçu la permission d’organiser une marche de protestation en mars 2007, la police a chargé et a battu des manifestants pacifiques, et procédé à l’arrestation de dizaines d’autres.

Abahlali Basemjondolo raconte également qu’en septembre 2009, un groupe de supporters de l’ANC a incendié puis rasé le centre social de Kennedy Road, qui faisait office non seulement de bureau, de crèche et de centre de formation de base pour les jeunes, mais aussi de refuge au président et à d’autres membres de ce mouvement social.

Au cours de deux jours de violence, deux membres du mouvement d’Abahlali Basemjondolo ont été tués, mais aucun des assaillants n’a été arrêté, et aucune charge de meurtre n’a été retenue. Au contraire, 13 membres du mouvement ont été arrêtés pour violence publique, et seulement huit libérés sous caution. Ces 13 personnes doivent comparaitre devant un tribunal le 13 mai 2010.

« Pas de maison, pas de vote »

« Nous avons fait une demande de logement, et cela fait des années que nous sommes sur une liste d’attente. Quand de nouvelles maisons sont construites, les personnes proches des conseillers municipaux les mettent en vente. Sans argent, vous pouvez rester des années sur la liste d’attente », déclare Makhosi Mdlalose, un membre d’Abahlali Basemjondolo qui habite avec ses deux enfants dans un campement informel près d’Umlazi, au sud de Durban.

« Quand nous organisons une marche pour protester contre de tels agissements, le gouvernement envoie la police pour nous tirer dessus et nous lâcher leurs chiens. Cela n’arrive pas quand ce sont les syndicats alignés avec l’ANC qui manifestent », a-t-elle dit à IRIN.

« Ils [les syndicats alignés avec l’ANC] mettent la ville sens dessus dessous et cassent les vitres des bâtiments, mais on les laisse tranquilles car ils sont proches du parti au pouvoir. Quand nous organisons des marches pacifiques, la police se déchaîne. »

Les prochaines élections municipales sont prévues pour 2011 – une seule des six plus grandes villes du pays n’est pas contrôlée par l’ANC. Abahlali Basemjondolo a entamé une campagne de boycott de ces élections, avec pour slogan : « Pas de terrain, pas de maison, pas de vote ».

« C’est parce qu’une fois les élections passées, tous les conseillers de partis politiques oublient la situation dans laquelle nous sommes, que nous avons décidés de nous débrouiller seuls et de mener nos propres combats –nous avons été trahis tant de fois par le passé ! », annonce Zikode.

Richard Pitthouse, un chargé de cours en sciences politiques à l’Université Rhodes, dans la province du Cap-oriental, a expliqué à IRIN que la croissance rapide d’organisations populaires indépendantes a été accueillie avec beaucoup d’hostilité par le gouvernement central et la municipalité de Durban, sous contrôle de l’ANC.

« Quand ils [Abahlali Basemjondolo] ont réalisé qu’aucune coopération entre le mouvement et le gouvernement ne serait possible, ils ont décidé d’exposer leurs griefs directement auprès des leaders locaux et de les [l’ANC] mettre dans l’embarras en public », raconte Pitthouse.

« C’est pour cela que le mouvement s’est attiré la colère de la police. Cette violence est inquiétante, car Abahlali a su dévoiler au grand jour quelle était la détresse des pauvres. »