Migrants et réfugiés : amalgames et mensonges... ou comment certains États ont détricoté les politiques d’accueil

Accueil et accompagnement : les actions citoyennes en faveur des migrants

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Distribution de petits déjeuners par l’association Quartiers Solidaires, Paris, 18 juillet 2017. Crédits : Jeanne Menjoulet.

L’état de la situation, début 2017

Après avoir été rappelé à l’ordre par le tribunal administratif de Lille, le Conseil d’État et le Défenseur des droits, le ministre de l’Intérieur a annoncé très rapidement (le lundi 31 juillet 2017) des mesures d’aides aux migrants du Calaisis. Une volte-face devenue obligatoire pour le moment. L’ancien maire de Lyon a tenté de faire bonne figure, usant de multiples artifices rhétoriques pour donner l’impression qu’il est à la manœuvre. Gérard Collomb a d’abord osé affirmer que les consignes du préfet du Pas-de-Calais ont « permis d’organiser des distributions de nourriture » dans la ville de Calais ces derniers mois. Pourtant, les services de l’État ne cessent de faire obstruction aux associations qui sont les seules aujourd’hui à subvenir aux besoins vitaux des exilés. Puis le ministre a certifié que les pouvoirs publics cherchaient une « solution » de plus long terme dans la région.

En réalité c’est bel et bien la validation par le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays, de mesures d’aide aux migrants qui a accéléré l’annonce du Ministre de l’Intérieur. Dans les dix jours, les pouvoirs publics devaient ouvrir deux centres d’accueil dans le nord de la France. Le premier à l’abbaye de Belval, dans la ville de Troisveaux (Pas-de-Calais) et le second dans la localité de Bailleul (Nord). Deux lieux distants de 90 kilomètres de Calais, ce qui interroge sur l’attractivité du dispositif, dans la mesure où les migrants restent avant tout attirés par la Grande-Bretagne. Outre cet éloignement géographique, motivé par l’obsession de ne pas recréer de « point de fixation » à Calais, les structures n’ont qu’une capacité d’accueil de 300 places, bien sûr en-deçà de plusieurs centaines de personnes qui vivent à Calais, Grande-Synthe et dans la région. Gérard Collomb a aussi vanté des sites « d’un type nouveau », au nom d’ailleurs éloquents : « les centres d’accueil et d’examen des situations administratives (CAES) ». Le ministre de l’Intérieur a été clair sur cet objectif. Il s’agira « d’accélérer  » les procédures pour orienter les personnes vers les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), procéder à des réadmissions vers d’autres pays européens dans le cadre du règlement Dublin (le règlement Dublin III prévoit que le premier pays d’entrée dans l’Union européenne est responsable de l’examen de la demande d’asile. Ce mécanisme fait peser une menace de renvoi dans un pays tiers pour les migrants concernés), voire à des mesures d’éloignement du territoire.

Un « tri » potentiel qui risque fort de dissuader les migrants de rejoindre ces lieux. Collomb espère néanmoins les convaincre par le biais de maraudes dans les environs de l’ancienne « jungle », où ils ont trouvé refuge. Comme le Conseil d’État les y a enjoints, les pouvoirs publics devraient aussi mettre en place des lieux d’accès à l’eau et à une hygiène minimale dans Calais. Le ministre de l’Intérieur a ainsi parlé de «  douches mobiles » : «  il s’agit de fournir des conditions correctes, mais d’éviter de fixer les gens dans un seul lieu ». (Lire Sylvain Mouillard, www.liberation.fr, 31.07.2017).

Du côté de Macron

Aux dernières nouvelles, le Président indiquait vouloir installer,dès l’été, des postes avancés pour trier les candidats à l’asile en France. Xavier Bertrand, Président du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais-Picardie, voulait imposer un « blocus maritime » pour empêcher les bateaux de migrants de sortir des ports libyens. Féderica Mogherini, la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, avait proposé, dans un rapport en 2015, de « détruire » les navires utilisés par les passeurs. Emmanuel Macron annonce donc quant à lui, la création de hotspots, ces centres chargés de trier les migrants pour maîtriser les arrivées de Libye. Depuis le début de l’année, 11 200 hommes, femmes et enfants ont traversé la Méditerranée du Sud au Nord et plus de 2300 sont morts durant la traversée.

L’urgence humanitaire fait consensus. Les réponses avancées jusqu’ici, beaucoup moins. Celle du chef de l’État n’échappe pas aux critiques. Première interrogation : à qui s’adressent ces hotspots ? En 2016, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a enregistré 85 726 dossiers émanant principalement de Soudanais, d’Afghans et d’Haïtiens. Or, la même année, les réfugiés arrivés en Italie depuis la Libye étaient, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) : Nigérians 20 %, Érythréens 11,4 %, Guinéens 7,4 % et Ivoiriens 6,4 %. Hormis les Érythréens, les autres ressortissants africains ne remplissent pas les strictes conditions - persécutions en raison de l’ethnie, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques - d’obtention de l’asile. Ce sont des migrants économiques. Et Emmanuel Macron a bien précisé, dans son discours d’Orléans «  qu’il n’existe pas de pays qui peut accueillir tous les migrants économiques ».

Quel est donc l’intérêt de ces hotspots  ? « Éviter que les gens qui seraient de toute façon déboutés de l’asile ne prennent des risques inutiles en continuant leur voyage », indique l’Élysée. Même s’ils ne représentent qu’une petite partie des migrants. Le Président souligne que «  le pré-traitement des demandes » doit permettre d’éviter aux candidats au départ d’être abandonnés dans « des camps, des hangars qui ne relèvent même pas de l’humanité minimale ».

Mais la Libye, territoire sans État, peut-elle sérieusement accueillir des travailleurs français de l’OFPRA et garantir aux migrants un examen serein et sécurisé de leurs demandeurs ? « C’est gravement méconnaître la situation libyenne, commente Corinne Torre, de Médecins sans frontières. Dans ce pays, les migrants se cachent de peur d’être capturés, torturés, rançonnés. On risque de les exposer un peu plus, de les mettre en danger.  ». L’Élysée reconnaît que les conditions de sécurité ne sont pas réunies pour le moment et qu’il n’est pas possible aujourd’hui d’installer les hotspots. Seule une mission de faisabilité sera diligentée fin août, rétro-pédale ensuite l’Élysée.

En revanche, la présidence assume cette volonté de prendre en charge les demandes d’asile «  le plus en amont possible », notamment au Tchad et au Niger. La France peut-elle intervenir dans un pays souverain ? « Cela me semble difficile, relève Pierre-Henry, de France Terre d’Asile. Nous sommes favorables à l’ouverture de voies de migrations légales, c’est une bonne chose. Mais il existe déjà le Haut-Commissariat aux Réfugiés qui a présenté un plan de réinstallation des réfugiés, pourquoi sortir de ce schéma ? D’autant qu’aucun État européen ne s’est associé, jusqu’à présent à la proposition d’Emmanuel Macron.  »

Deuxième question soulevée par l’annonce des hotspots libyens : où les installer ? L’Élysée évoque la région Sud, c’est-à-dire le Fezzan. Logique, puisque l’écrasante majorité des migrants y passe. Mais c’est justement la zone où les conditions de sécurité sont les plus délicates. L’autorité du gouvernement reconnu par la communauté internationale y est inexistante. Les trois principaux groupes de la région : les Touaregs, les Toubous et la tribu arabe des Ouled Slimane, estiment avoir un lien particulier avec la France, dont les derniers soldats ne sont partis du Fezzan qu’en 1956, et cherchent à en tirer parti. Senoussi Messaoud, membre du conseil des tribus des Ouled Slimane, principale tribu de Sebha, la capitale du Sud, tend ainsi la main : « Si la France nous aide, nous pouvons contrôler la frontière.  »

Les deux autres clans font la même offre de service, promettant de transformer les 2000 km de frontière avec le Niger, le Tchad et le Soudan en zone sécurisée… Un pari risqué. Prendre parti pour l’un de ces trois acteurs, c’est s’aliéner les deux autres. Quant au reste du pays, il n’est pas beaucoup plus sûr. La route de 50 km qui relie Tripoli à Zaouiya, proche des plages d’où partent les navires de migrants, est régulièrement bloqué par des milices hostiles au gouvernement de Tripoli et par des bandes criminelles spécialisée dans les enlèvements. A part l’Ambassade d’Italie, aucune représentation diplomatique occidentale ou internationale n’est revenue s’installer dans la capitale. C’était d’ailleurs la principale raison invoquée par Gérard Collomb, le lundi 24 juillet 2017, lors d’une conférence interministérielle sur la migration, pour écarter l’idée d’installer des centres pour les migrants en Libye [1].

De nouvelles solutions ?

En choisissant de créer deux centres situés plus loin, Gérard Collomb tente de désamorcer une situation devenue difficilement tenable localement. Les associations qui viennent en aide aux migrants sont mitigées sur les annonces du ministre : « Ici, à Calais, ce ne sont que des migrants qui ont envie de rejoindre leur famille en Angleterre. Le fait de les envoyer dans des centres d’accueil à 100 km d’ici, ça leur fera de la marche pour revenir ici... », explique le président de l’Auberge des migrants, Christian Salomé, qui penche pour l’ouverture de « couloirs humanitaires », vers la Grande-Bretagne.

D’un autre côté, aiguillonnée par des administrés excédés, Natacha Bouchart, maire de Calais, a décidé d’entrer en résistance. Estimant que «  la décision de justice du Conseil d’État met de nouveau les Calaisiens sous la menace de la recréation d’un énième Jungle », elle prévient que « la ville ne donnera pas suite aux injonctions qui lui ont été faites ». Plus que jamais, l’équipe municipale (une partie) pense que «  l’État doit assumer sa responsabilité régalienne d’acheminer les migrants vers les centres d’accueil et d’orientation ».

Pourtant, dans d’autres communes, comme à Saint-Martory, des habitants accueillent sans difficulté des migrants. Selon le journaliste de Libération, Jean-Manuel Escarnot, « dans cette commune de 1000 habitants de haute-Garonne, une cinquantaine de migrants sont accueillis avec succès ».

Nous connaissons aussi le cas de Cédric Herrou, agriculteur et producteur d’olives à Breil-Sur-Roya (Alpes-Maritimes) poursuivi plusieurs fois et aujourd’hui encore par la justice, pour délit de solidarité, comme c’est le cas de beaucoup de personnes en France. Le mouvement associatif se mobilise à travers des actions collectives afin de dénoncer le cadre inadapté de l’accueil des migrants. Un des appels du 26 juin 2017, « Non, le centre humanitaire pour migrants de la porte de la Chapelle à Paris n’est pas un modèle », indique en effet qu’il était clair, dès l’annonce de la création du centre, que le dispositif n’était susceptible de fonctionner seulement si, à l’issue des quelques nuitées de « mise à l’abri » offertes à Paris, les personnes migrantes se voient proposer des places dans des lieux d’hébergement plus pérennes dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA).

Ces lieux relevant des dispositifs nationaux (État), le camp parisien ne peut accueillir de nouveaux venus que si l’État s’engage dans l’opération en collaborant avec la Ville de Paris. Or, les places disponibles continuent de manquer cruellement, révélant ainsi, le manque de volonté de l’Etat à créer des lieux d’hébergement dédiés à un accueil digne de ce nom.

Notons, par ailleurs, qu’ils étaient conçues au départ pour accueillir les demandeurs d’asile pendant la durée de la procédure et qu’ils ressemblent de plus en plus à des sas de contrôle avec un seul intérêt pratique pour les services de l’Etat : répartir les charges d’un premier accueil sommaire ; mais aussi, ce faisant, disperser, isoler et rendre moins visible.

En réalité, le camp de la Chapelle souffre de bien d’autres défauts que le manque de « fluidité » et de « saturation ».

En effet, les personnes qui parviennent, après des jours d’attente, à être accueillies dans la « bulle » parisienne, non seulement ne se voient pas assistées correctement dans les démarches en vue d’obtenir la protection internationale dont elles ont besoin, mais sont même empêchées de faire ces démarches. Contraintes de faire enregistrer leurs empreintes digitales à un guichet spécialement ouvert pour elles en préfecture, elles peuvent ainsi être menacées de renvoi -voire renvoyées sans délai- vers des pays par lesquels elles ont transité ou vers leur pays d’origine sans que soit examinée leur potentielle qualité de réfugié. Le camp parisien, loin d’être un lieu d’accueil et de manifester l’hospitalité de la ville, fonctionne de fait comme un centre de tri de l’administration préfectorale.

La maltraitance administrative qui règne à l’intérieur du centre de la Chapelle, tout comme la maltraitance physique imposée aux personnes qui, jour après jour, essaient d’en franchir les portes et sont, en attendant, contraintes de dormir dans la rue dans un contexte de harcèlement policier, maintes fois documenté, ne sont en rien le produit d’un « afflux » insupportable de migrants, que la France, sixième puissance mondiale, ne pourrait gérer. Conséquences du sous-dimensionnement structurel du dispositif d’accueil des migrants, elles s’inscrivent dans une stratégie de dissuasion que la France, comme plus généralement l’Europe, fait subir aux personnes en besoin de protection. Oui, des lieux de premier accueil doivent être ouverts, afin que les migrants cessent d’être réduits à la vie dans la rue, à Paris comme à Calais, à Vintimille ou ailleurs. Mais ces lieux doivent être réellement hospitaliers, conçus de telle sorte que les personnes y soient informées des possibilités qui s’offrent à elles, aidées et accompagnées dans leurs premiers pas en Europe. Accueillies vraiment. Ensuite seulement, une répartition sur l’ensemble du territoire pourrait être organisée selon la situation de chacun, ses souhaits, les possibilités existantes dans les collectivités. Si un plan général d’accueil des migrants en France est mis en place, c’est dans cet esprit qu’il doit être conçu et non sur le modèle du centre de la Chapelle.

Rappelons que c’est en écho à la demande adressée au gouvernement par Anne Hidalgo, maire de Paris, de réfléchir à « un plan général d’accueil des migrants en France » avec l’ouverture de camps de premier accueil dans les métropoles régionales -à l’image de celui qu’elle a installé en octobre 2016 porte de la Chapelle- que le ministre de l’Intérieur avait annoncé le 20 juin 2017, la possible « ouverture de centres d’accueil » pour migrants sur le territoire français. Le même jour, plusieurs élus s’étaient rendus dans le camp humanitaire de la Chapelle et s’étaient relayés pour alerter sur la situation d’engorgement que connaissait ce centre, avec « des tensions à l’entrée » et des rixes qui se multipliaient, ainsi que de la reconstitution de campements rassemblant plus d’un millier de personnes dans le nord de Paris. « Depuis un certain temps », expliquait alors Pascal Julien, conseiller de Paris, Europe Écologie les Verts (EELV), «  il n’y a plus de sorties, donc plus d’entrées. Ce centre est saturé en permanence »

Du côté du mouvement associatif

Plus largement, la société civile se rassemble depuis le début (et bien avant) pour qu’il soit possible d’accueillir dignement et autrement les migrants dans notre pays. A rebours du « plan migrants », la société civile lance un appel pour une « Conférence nationale citoyenne sur la politique migratoire de la France » [2], qui se tiendra fin 2017. Ce sont près de 260 associations et collectifs de solidarité et de défense des droits humains qui lancent l’organisation de cette conférence nationale citoyenne. Cette décision des acteurs associatifs et citoyens est une réponse au gouvernement qui ignore les propositions portées par celles et ceux qui, sur le terrain, agissent pour le respect de la dignité et des droits des personnes migrantes en France, et pallient l’absence ou l’insuffisance de volonté et de moyens de l’État.

Parmi les signataires de l’organisation de cette conférence, hormis les associations comme Amnesty international, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les immigrés (FASTI), la Cimade, la Ligue des droits de d’Homme (LDH), nous trouvons aussi la Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Immigration, développement, démocratie (IDD), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), le Forum des organisations de solidarité internationales issues des migrations (FORIM), etc. Mais aucune association malienne, sénégalaise, mauritanienne, ivoirienne… Sont-elles représentées derrière la signature du FORIM ? Cette plateforme nationale réunit des réseaux, des fédérations et des regroupements d’organisations de solidarité internationale issues de l’immigration (OSIM) engagées dans des actions d’intégration « ici » et dans des actions de développement dans les pays d’origine.

Bien qu’il ne s’agisse pas ici de retracer l’histoire des OSI, il est cependant important de revenir sur certains aspects du mouvement associatif dont celui des OSIM. Certes, dans certaines localités, un travail au jour le jour se réalise avec les municipalités sur les questions de développement des pays d’origine, mais on remarquera une forte absence sur tout ce qui relève de la défense des droits. Plus largement, les OSIM ne sont pas les seules absentes parmi les ONG dont certaines sont, par ailleurs, actives dans des domaines comme l’éducation, le logement, la santé… Cependant, elles dissocient la dimension dramatique des parcours administratifs de migrants de leurs domaines d’intervention (alors que les liens sont évidents), car elle ne facilite pas, au regard du poids politique qu’elle représente, des partenariats favorables avec les États.

Julie Godin, chargée d’étude au CETRI (Centre Tricontinental), analyse bien cet environnement et indique que : « l’hégémonie de la forme ONG, dans sa version "professionnalisme", et les facteurs de dépolitisation que cette "ONGisation" comporte (de l’instrumentalisation à la managérialisation, en passant par la privatisation et l’occidentalisation), générant une approche technicienne dans une optique réformatrice, quitte à s’éloigner des préoccupations populaires, met à mal la légitimité des organisations en tant qu’outils de contestation du néolibéralisme et acteurs de changement social. Prendre conscience de ces risques dans la reconnaissance de l’ambivalence qui gagne -souvent malgré elles- les organisations, permettra de s’en affranchir et de regagner en indépendance. Et partant, de repenser leur rôle dans la résistance à un modèle qui, insoutenable, inégalitaire et injuste, est aujourd’hui remis en cause dans ses fondements… ».

Rajoutons aussi que : « La situation actuelle montre à quel point le travail social est en pleine tourmente. Confrontées à la baisse des subventions, les associations entrent en concurrence sur des marchés publics (appels à projets) où, comme n’importe quel compétiteur, elles pratiquent le mieux-disant économique… et le moins-disant social avec répercussions sur l’emploi et les modalités d’intervention sociale. L’accompagnement social cède le pas aux impératifs de gestion pour complaire aux bailleurs publics. Et comme souvent, les populations étrangères font les frais de cet affaiblissement des normes. De l’autre côté du guichet, celles et ceux qui les accompagnent souffrent d’une aggravation de leurs conditions de travail, voire de la multiplication des atteintes au droit du travail. Et surtout, ils se voient confier des missions qui relèvent plus du contrôle, voire du tri des populations immigrées que de l’accompagnement. Quand toute parole discordante qui remettrait en cause les termes du marché passé avec les pouvoirs publics est muselée, on peut s’interroger : où s’arrête le devoir de réserve et où commence le devoir d’alerte ? » (GISTI, Plein droit n°112, mars 2017).

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Tous les jours, des exilés, femmes et hommes fuyant les guerres, violences, dictatures, misère… et traversent la Méditerranée. Beaucoup y meurent. Les autres espèrent pouvoir trouver asile en Europe. Certains cherchent à venir en France. Mais celles et ceux qui arrivent à Vintimille sont bloqués, la frontière leur étant fermée, les migrants qui parviennent néanmoins à franchir cette frontière, sont refoulés par les forces de l’ordre (au motif du règlement Dublin) sans avoir la possibilité de demander l’asile. Y compris les mineurs isolés ! Et ce en violation par l’État des droits fondamentaux et de la loi. Pourtant, certains les aident. Au nom de la justice et de la solidarité. L’association Roya Citoyenne est de ceux-là, entourée de nombreux autres citoyens.

Cedric Herrou, agriculteur dans la vallée de la Roya qui prend en charge des migrants sur le sol italien et les aide à transiter en sécurité vers la France ; Pierre-Alain Mannoni, enseignant-chercheur à Nice, qui aide des Érythréens venus d’Italie ; tous deux ont des problèmes avec la justice pour « délit de solidarité », « Collusion avec les passeurs », création d’ « un facteur d’attraction », « mise en danger des personnes en migration ». Depuis plusieurs mois, les ONG intervenant en Méditerranée pour sauver des vies font l’objet d’attaques et de diffamation de la justice italienne, de l’agence européenne Frontex et dernièrement, de l’extrême droite européenne.

Aujourd’hui, c’est à un discours public de plus en plus répandu sur les « éloignements fermes mais dignes » que les organisations et les citoyens sont confrontés en venant soutenir les migrants. Il fut un temps où la réadmission n’était qu’un élément parmi d’autres du système de renvoi des étrangers en situation irrégulière, mais depuis les années 1990, la France, et plus largement l’Union européenne, ont fait de l’expulsion un enjeu majeur de la politique migratoire.

Comme dans les périodes précédentes, le concept politique du « retour volontaire » est un principe d’expulsion qui a été transposé dans le champ de l’action sociale, sous la forme d’un dispositif humanitaire qui brouille la dimension de contrainte, sans pour autant perdre de vue l’objectif de sortie du territoire. Les programmes d’aide au retour volontaire consistent en la prise en charge matérielle et logistique du départ (obtention de documents de voyage, transport, hébergement, argent de poche) et s’accompagnent parfois d’un soutien financier à l’arrivée (micro-entreprise, formation, assistance médicale, logement). En échange, l’étranger signe une déclaration de volontariat (ou « engagement de retour volontaire »). Strictement administrative, l’aide au retour « volontaire » présente, du point de vue des États, l’avantage d’échapper à des règles conçues comme autant d’entraves au départ, et d’écarter tout contrôle juridictionnelle.

Dans les années 1990, l’argument d’une « saturation des possibilités d’accueil » avait alimenté les prises de position des membres de l’UE en faveur de la « réorientation des actions vers le retour ». En 1994, la Commission européenne plaidait pour le rapprochement des pratiques de retour volontaire et, dès 1997, un budget spécifiquement dédié, à des « actions communes en matière de rapatriement volontaire » [3] a été créé. A l’échelle mondiale, plus de 80 % des retours volontaires sont mis en œuvre depuis le territoire européen [4]. Les membres de l’UE sont les premiers bailleurs mondiaux de ces programmes dont l’application s’étend par-delà le territoire communautaire, au sein des pays dit de « transit » vers l’UE, tels que la Libye, le Maroc, le Sénégal, ou encore la Turquie, etc.

Sur la scène internationale, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en sont les principaux promoteurs et gestionnaires. Multiples sont les acteurs impliqués dans la mise en œuvre de ce principe (organisations internationales, services de police et de l’immigration, associations humanitaires ou de solidarité internationale pour le développement, travailleurs sociaux, etc), ce qui démontre que ce principe est bien plus complexe et répond à bien d’autres objectifs que ceux affichés par les institutions publiques.

Le « retour volontaire » participe-t-il ainsi, de la mise à l’écart des migrants et incarne-t-il une politique d’accueil en cohérence avec le respect des droits humains... ?

Bibliographie

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 CONDAMINES Charles : Les illusions d’un codéveloppement sans moyens, Le Monde diplomatiqe, avril 1998.

 CORNEVIN Christophe : Migrants de Calais : Collomb dégaine un nouveau plan, Le Figaro, 1 août 2017, www.lefigaro.fr

 DAUM Christophe : Immigrés acteurs du développement : une médiation sur deux espaces, Hommes et Migrations n° 1206, mars-avril 1997 ; Et : Les associations de maliens en France – Migration, développement et citoyenneté, Karthala, 1998.

 DEWITTE Philippe (s. la dir.) : Immigration et intégration – L’état des savoirs, La Découverte et Syros, 1999.

 DUMONT René : L’Afrique noire est mal partie, Seuil, 1992.

 FASTI : Immigration, actrice du développement, Actes du Colloque, L’Harmattan, 1992, www.fasti.org
 GALTIER Mathieu : Migrants : des « hotspots » dans le désert lybien ? Le mirage de Macron, Libération, www.liberation.fr, 27 juillet 2017.

 GISTI (action collective) : A rebours du plan migrants, la société civile se rassemble autour d’une conférence nationale citoyenne sur la politique migratoire de la France, 25 juillet 2017, www.gisti.org Et : Travailleurs sociaux précarisés, étrangers maltraités, GISTI, Plein droit n° 112, mars 2017.

 GODIN Julie : ONG : dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ? CETRI, Alternatives sud, Sylepse, 2ème trimestre 2017.

 MIGREUROP : Journée de réflexion inter-associative : « Le retour volontaire, qu’elles politiques ? », 14.07.2014, Paris, compte-rendu, 2014.

 MOUILLARD Sylvain : Calais : après la fermeté, Gérard Collomb découvre (un peu) l’humanité, Libération, 31 juillet 2017, www.liberation.fr

 OIM : rapport annuel d’activités, OIM, 2011, www.iom.int/fr

 Premier ministre (Présentation du plan d’action du gouvernement) : Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires, Dossier de presse, Mercredi 12.07.2017.

 THIBAO Jean-Marie, cité par MISSOTTE Philippe : Endogène et exogène en développement Mélanésien – Nouvelle-Calédonie, Collége Coopératif de Paris, EHESS, 1970.

 SAMUEL Michel : Le prolétariat africain noir en France, Maspéro, 1977.

Sites à voir :
 FORIM : www.forim.net
 GISTI : www.gisti.org
 MIGREUROP : www.migreurop.org
 Ministère de l’Intérieur : www.immigration.interieur.gouv.fr
 OFPRA : www.ofpra.gouv.fr
 OIM : www.iom.int/fr
 UE : https://ec.europa.eu/commission