"A la limite de l’irresponsabilité"

Par Julianna Malerba

, par MALERBA Julianna

Ce texte a initialement été publié en portugais, et il a été traduit par Anapaula Maia, traductrice bénévole pour rinoceros

Julianna Malerba a un Master en Aménagement Urbain et Régional et est coordinatrice de la branche Justice Environnementale et Droits, de la FASE. Elle est, également, associée du Réseau Brésilien de Justice Environnementale.

Telle a été la phrase utilisée par le Ministère Public Fédéral (MPF) pour caractériser la décision de l’IBAMA (Institut Brésilien de l’Environnement et des Ressources Naturelles Renouvelables, sigle portugais) qui a octroyé une Licence d’Installation à la Centrale Hydroélectrique de Belo Monte, dans l’état du Pará. Déposée en justice le 6 dernier, l’action du MPF demande la suspension de la licence permettant le début des travaux en raison de la non-conformité aux conditions préalables exigées par l’IBAMA lui-même, afin de préparer la région aux impactes causés par cette installation.

Afin d’accorder cette licence - en dépit de son propre avis technique qui a constaté de nombreuses irrégularités en ce qui concerne la conformité aux conditions exigées – l’IBAMA a créé des concepts inexistants dans la loi, comme les conditions "en voie d’exécution" ou "partiellement exécutées". Cela a été le cas, par exemple, des travaux d’assainissement des régions où seront implantés les chantiers qui auraient dû être prêts pour la délivrance de la licence, mais qui n’ont pas encore débutés. Au lieu de considérer que cette condition n’avait pas été remplie, elle a été jugée "en voie d’exécution" par la simple présentation d’un projet qui établit sa conclusion en mars 2012.

Une autre condition fondamentale, telle l’implantation préalable d’assainissement afin de contrôler l’eau d’Altamira (PA), a été considérée "partiellement réalisée" et pourtant sa conclusion n’est prévue que pour 2014. D’ici là, il y aura une contamination et une eutrophisation (c’est-à-dire la putréfaction) des eaux des rivières qui baignent la ville.

Ces décisions, jugées au moins irresponsables par le MPF, sont devenues le point central des actions de supervision et de contrôle environnemental ces dernières années. Depuis la création de concepts élastiques afin de permettre l’installation des centrales de Santo Antônio et Jirau dans l’état de Rondônia, la flexibilisation des normes d’octroi des licences environnementales a été la réponse trouvée par le Gouvernement pour garantir l’exécution des projets qu’il considère prioritaires, sans tenir compte de l’acceptation de la société. Et pire encore, il ferme les yeux sur les impacts socio-environnementaux qui toucheront des milliers d’habitants de la région, dont une centaine ont directement besoin des ressources naturelles des territoires qui seront radicalement modifiés par cet ouvrage.

L’idée selon laquelle "quinze ou vingt millions de personnes ne peuvent pas empêcher le progrès de 185 millions de brésiliens", comme l’a affirmé un des directeurs d’Eletrobrás [1] en 2009, justifie selon lui la flexibilisation des normes environnementales. Par ailleurs, elle permet l’acceptation sociale dans la mesure où elle fait référence à un discours récurrent dans les milieux des affaires et dans certains secteurs du Gouvernement selon lequel l’octroi de licences porte préjudice au développement du pays.

En plus d’alimenter une vieille perception déjà popularisée selon laquelle les actions de protection environnementale empêchent la génération d’emplois et le développement économique, cette idée implique la dangereuse acceptation par une partie de la société que l’accès aux droits de certains groupes peut être revu à la baisse au profit du bénéfice présumé de l’ensemble de la société.

Le résultat tend à être le déchirement des liens qui unissent la société brésilienne et la perte des bases sociales et environnementales qui assurent le maintien des moyens de subsistance, de travail et de reproduction sociale d’innombrables citoyens vivant dans les régions lointaines des centres du pouvoir.

Un processus sérieux d’octroi de licence devrait donner de la visibilité à la perspective des groupes directement affectés et promouvoir un débat avec la société intéressée par le produit – l’énergie dans le cas de Belo Monte – avant de réaffirmer la nécessité de l’ouvrage. Si la nécessité exprimée est celle de la production d’énergie, il faut établir un débat à propos du type d’énergie et des formes sûres de l’obtenir, tant sur le plan social qu’environnemental, en garantissant la participation de ceux qui seront potentiellement touchés tant dans la définition de la nécessité de l’entreprise que dans la conception des alternatives techniques [2].

L’entrée, en avril, de la Vale, la plus grande consommatrice d’énergie électrique du pays, dans le consortium responsable de la construction de Belo Monte, montre que l’énergie produite ne sera pas prioritairement destinée à approvisionner la demande résidentielle comme pourrait le faire croire le discours du directeur d’Eletrobrás.

L’expansion des secteurs énergivores – comme les activités minières – en Amazonie, associée au potentiel hydroélectrique de la région encore peu exploité, débouche sur l’action du gouvernement de donner la priorité à la construction de grandes centrales qui sont mises en place en dépit des critères et normes de protection sociale et environnementale établis par l’Etat lui-même.

Sept jours après l’octroi de la Licence d’Installation de Belo Monte, l’IBAMA a admis qu’il est en train d’élaborer une proposition de réduction de sept unités de préservation dans la vallée des rivières Tapajós et Jamanxim, dans l’état du Pará, l’une des zones le plus préservée et de plus grande biodiversité de la forêt amazonienne, afin de permettre la construction de six nouvelles centrales hydroélectriques [3].

Afin d’éviter l’embarras de non respect de ses propres exigences, comme dans le cas de Belo Monte, l’IBAMA s’empresse de changer les instruments de protection qui garantissent la conformité de sa mission. Il semble que l’irresponsabilité ne connaisse plus de limites.