Qu’est-ce que l’accaparement des océans ?

, par TNI

Cette introduction révèle une nouvelle vague d’accaparement des océans, et répond à quelques unes des principales questions sur les mécanismes qui facilitent ce processus ainsi que ses impacts sur les personnes et les environnements.

Petit bateau de pêcheurs artisanaux en Malaisie. @Jamie Oliver/WorldFish (CC BY-NC-ND 2.0)

Le concept « d’accaparement de l’océan » vise à jeter un nouvel éclairage sur d’importants processus et dynamiques qui affectent négativement les populations et les communautés dont le mode de vie, l’identité culturelle et les moyens de subsistance dépendent de la pêche artisanale et des activités qui y sont étroitement liées.

Les petits pêcheurs et les communautés de pêcheurs du Sud et du Nord global sont de plus en plus menacées et ébranlées par des forces puissantes qui sont en train de remodeler radicalement les régimes de droits d’accès et les modèles de production existants en matière de pêche. Ce processus non seulement diminue le contrôle que les petits pêcheurs ont sur ces ressources, mais conduit aussi dans beaucoup de cas à la destruction écologique voir à la disparition de ces mêmes ressources.

Aujourd’hui nous sommes témoins d’un processus majeur de restriction de l’accès aux océans et aux ressources halieutiques du monde, aussi bien concernant les zones de pêche marines, côtières que continentales. L’accaparement des océans est principalement mis en place par le biais de politiques, de lois et de pratiques qui (re)définissent et (ré)attribuent l’accès, l’utilisation et le contrôle des ressources halieutiques, en en excluant les petits pêcheurs et leurs communautés, et souvent avec peu de considération pour les conséquences environnementales. Les règles d’exploitation et les pratiques d’utilisation et de gestion coutumières ou communales, déjà existantes, des zones de pêches sont ignorées et finalement perdues au cours du processus. L’accaparement des océans signifie donc la prise de contrôle par de puissants acteurs économiques de décisions cruciales en matière de pêche, y compris le pouvoir de décider comment et à quelles fins les ressources marines sont utilisées, conservées et gérées aujourd’hui et à l’avenir. En conséquences, ces puissants acteurs, dont la principale préoccupation est le profit, gagnent de plus en plus de contrôle à la fois sur les ressources halieutiques, mais aussi sur les bénéfices de leur utilisation.

Certaines des institutions clés qui ont ouvert la voie à l’accaparement des océans ont adapté une rhétorique relative aux droits humains et prétendent que leurs réformes répondent à un besoin de sécurité alimentaire et d’éradication de la pauvreté. Cependant, de nombreux exemples aux quatre coins du monde montrent que le principe sous-jacent qui guide ce processus de réforme est une croyance aveugle en des solutions basées sur une logique de marché, qui sont en contradiction directe avec les souhaits et les demandes des organisations représentatives de la société civile [1].

L’accaparement des océans ne concerne pas que les politiques de pêche. C’est un phénomène qui se propage dans le monde entier et dans des environnements aussi variés que les eaux marines et côtières, les eaux intérieures, les rivières et les lacs, les deltas et les zones humides, les mangroves et les récifs coralliens. De même, les procédés par lesquels les communautés de pêche sont dépossédées des ressources desquelles elles dépendent traditionnellement, prennent des formes tout aussi variées. Ils opèrent via des mécanismes aussi divers que la gouvernance (inter)nationale de la pêche et les politiques commerciales et d’investissement, la désignation de zone de conservation côtières et marines « interdites à la pêche », les politiques (éco)touristiques et énergétiques, la spéculation financière, et l’expansion des activités de l’industrie alimentaire et halieutique mondiale, dont l’aquaculture de grande échelle. Pendant ce temps, l’accaparement des océans entre dans une phase inédite et intensifiée avec l’émergence en 2012 du Partenariat Mondial pour les Océans, une initiative de la Banque mondiale qui encourage la privatisation des régimes de droits de propriété sur les ressources aquatiques et les plans de conservations imposés par le haut et basés sur une logique de marché.

Alimenté par le capital et son désir de profit, la vague actuelle de restrictions ciblant les ressources halieutiques du monde, les océans et les ressources en eaux intérieures s’inscrit dans le même contexte que l’accaparement des terres. Cette dernière expression fait référence à l’actuel regain dans le changement de l’utilisation des terres et des ressources qui y sont associées (comme l’eau) qui passent d’une utilisation à petite échelle et à forte intensité de main-d’œuvre, comme l’agriculture de subsistance, à des utilisations à grande échelle et à forte intensité de capital, épuisant les ressources, comme la monoculture industrielle, l’extraction des matières premières, la production hydroélectrique à grande échelle, intégrées dans une infrastructure croissante des industries et marchés mondiaux. [2] Cet accaparement a lieu dans le contexte plus large d’un changement global des dynamiques économiques, financières, climatiques et environnementales. Une réévaluation fondamentale des ressources naturelles a déjà commencé. Cette réévaluation révèle une tentative d’arracher aux terres, à l’eau, aux zones de pêches, aux forêts et aux ressources qui y sont attachées leur ancrage dans des fonctions sociales et des significations culturelles, avec une gouvernance enracinée dans les principes des droits humains, pour leur attribuer des fonctions économiques étriquées, fondées sur des logiques de privatisation et de marché.

En dépit de l’attention croissante portée à ce phénomène global, l’histoire des zones de pêche reste notablement ignorée et largement négligée aussi bien dans les milieux universitaires et militants que dans les nouveaux médias d’information. Pourtant, l’accaparement des océans sous ses diverses formes porte atteinte aux droits et aux aspirations de millions de personnes qui, aux quatre coins du monde, dépendent de la pêche artisanale continentale ou marine. La nécessité urgente d’accorder une attention ciblée et renforcée à l’accaparement des océans est illustrée par Olivier de Schutter, l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui, dans un discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, a souligné que « l’accaparement des océans - sous la forme d’accords douteux d’accès aux ressources qui portent préjudice aux petits pêcheurs […] et le détournement des ressources des populations locales - peut constituer une menace aussi grave que l’ "appropriation des terres" » [3].

Lire l’article original en anglais, ainsi que les développements sur le sujet, sur le site de TNI

Notes

[1A Call for Governments to Stop Supporting the Global Partnership for Oceans (GPO) and Rights-Based Fishing (RBF) Reforms : http://masifundise.org.za/wp-content/ uploads/2013/03/WFFP-WFF-Call-on- Governments_GPO_200313.pdf

[2Cette interprétation de l’accaparement des terres à l’échelle mondiale est issue de : TNI (2013) The Global Land Grab : A primer ; pour plus d’information sur l’accaparement de l’eau en particulier, voir aussi : TNI (2014) The Global Water Grab : A primer .

[3Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, (2012), “‘Ocean-grabbing’ as serious a threat as ‘land-grabbing’ – UN food expert”, http://www.srfood.org/en/ ocean-grabbing-as-serious-a-threat-as- land-grabbing-un-food-expert

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Cet article, publié initialement en anglais sur le site de TransNational Institue, a été traduit vers le français par Charlotte Lily Fouillet, traductrice bénévole pour ritimo.