Petit tour de la « Presse Pas Pareille » en Méditerranée

Le Ravi fait tomber le mur

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Après le Maghreb et l’Europe, le Ravi poursuit sa tournée de la presse pas pareille méditerranéenne au cœur d’un conflit sans fin entre Israël et Palestine, reflet aussi d’un paysage médiatique où la presse alternative essaie d’avoir voix au chapitre.

Le 11 janvier dernier, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou défilait en tête de cortège au côté de François Hollande et à deux pas du président palestinien Mahmoud Abbas, au nom de la liberté de la presse. Une action très critiquée par le média d’opposition de gauche israélien Haaretz. Il a révélé que la présence de « Bibi » - surnom donné à leur premier ministre - n’était pas souhaitée par la France qui ne voulait pas que le conflit viennent perturber ce moment d’unité. En pleine campagne législative, Netanyahou est quand même venu (ses opposants participant eux aussi à la marche). Hollande aurait alors convié le président palestinien pour donner le change.

Dessin : Mohammad Saba

Mais ce qui a surtout fait grincer des dents, c’est la légitimité du chef du gouvernement israélien à défendre la liberté d’expression. Toujours dans Haaretz, au lendemain du défilé, le dessinateur de presse Ido Amin explique qu’en Israël Charlie Hebdo ne pourrait pas exister à cause de la loi qui interdit d’offenser les sensibilités religieuses et de ce fait de représenter Moïse, Jésus et Mahomet « d’une façon qui risquerait de heurter les croyants ». Et que lui-même s’est fait licencier d’un journal quelques années auparavant pour un dessin « offensant ».


Violences et censures

Si un journaliste israélien bénéficie d’une certaine liberté de ton tant qu’il tient compte de la censure militaire, pour les journalistes ou dessinateurs palestiniens qui essaient d’exercer leur métier, c’est plus compliqué : violences policières permanentes, emprisonnements et même la mort pour certains. En février 2013, Mohammad Saba’aneh, dessinateur de presse palestinien (qui illustre cette page) travaillant entre autre pour Al-Hayat Al-Jadida, quotidien de l’autorité palestinienne, est arrêté par la police israélienne à son retour de Jordanie, accusé de « communication avec des parties hostiles à l’État d’Israël ». « Le recours à la rhétorique sécuritaire permet de tout justifier, quand les autres raisons invoquées ont été invalidées », note Reporter sans frontières dans son rapport intitulé « Les journalistes palestiniens entre trois feux » (juin 2014).

Le caricaturiste est emprisonné quatre mois dans une geôle du désert du Negev, et subit de nombreux interrogatoires. Mais rien qui ne lui donne envie de changer de métier. « Quand on ne partage pas une langue, le dessin est le meilleur moyen de faire comprendre au monde entier ce qui se passe ici et les problèmes que rencontre le monde arabe », nous explique-t-il. Le dessin qui illustre cette page porte le sous-titre « liberté d’expression » et n’a pas besoin de plus de légende pour être compris de tous. « C’est très difficile de travailler ici, à cause de l’occupation, à cause des divisions entre le Fatah et le Hamas [ndlr. Un accord de réconciliation a été signé le 23 avril 2014], à cause du monde arabe et de l’islamisme… Mais quand tu as un public qui te suit et qui apprécie tes dessins, tu peux toujours trouver des supports où t’exprimer comme les réseaux sociaux », note encore Mohammad.

En août 2013, le site indépendant +972 Magazine (indicatif téléphonique commun aux deux pays) basé en Israël, qui regroupe des journalistes, bloggeurs et photographes israéliens et palestiniens, fait circuler la pétition des journalistes palestiniens demandant à l’État d’Israël de leur assurer les mêmes droits de protection, de libre circulation et d’exercice de leur métier qu’aux journalistes israéliens. La pétition n’atteint même pas les 7000 signatures ! Un coup d’épée dans l’eau puisque l’année suivante lors des bombardements sur Gaza, 13 journalistes palestiniens sont tués et ils sont environ une vingtaine à peupler les geôles israéliennes. +972 a été créé en 2010 et affiche clairement la couleur : le respect des droits humains, la liberté d’information et l’opposition à la colonisation. Le magazine fonctionne grâce aux dons dont la provenance est consultable en ligne. Les articles sont en anglais et depuis peu une version en hébreux est disponible.

Dessin : Mohammad Saba

En février dernier, Mohammad Saba’aneh subit une autre censure, celle de l’autorité palestinienne. Le dessinateur est suspendu de Al-Hayat al-Jadida, pour lequel il travaille depuis 2002, accusé d’avoir dessiné le prophète. Lui parle de « mauvaise interprétation de son dessin », il a d’ailleurs depuis réintégré le journal. « Si tu as besoin de te demander ce que tu dois dessiner, alors dans le monde arabe tu ne peux pas être dessinateur. Je ne me pose pas cette question », conclut-il. En 2013, le journaliste Mamdouh Hamamreh a été quant à lui condamné à un an de prison (avant d’être gracié) pour avoir comparé Mahmoud Abbas à un comédien de série B en publiant une photo sur facebook.

Faire entendre une autre voix sur le conflit

Nous contactons Ramzy Taweel, lui aussi dessinateur de presse. Son profil Skype indique qu’il travaille pour la présidence palestinienne. Nous l’interrogeons alors sur son indépendance. Pour lui pas de problème « puisque ma vision, nous explique-t-il ne diffère pas de la façon dont Mahmoud Abbas mène sa politique ». Il nous explique même que parfois, grâce à ses dessins, il peut ouvrir les yeux du gouvernement sur certains faits de société… Selon Benjamin Ferron, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication et chercheur au Ceditec (Centre d’étude des discours, images, textes, écrits, communication), spécialiste des usages politiques des médias [1], l’indépendance journalistique comme nous l’envisageons en occident ne peut pas être transposable en Israël-Palestine : « On a affaire à un conflit asymétrique avec une puissance occupante et une population occupée […] On a une injonction permanente à une information "équilibrée" dans un conflit qui ne l’est pas. » Pour lui, la meilleure manière de définir un journalisme indépendant passerait entre autre par « la capacité des journalistes à tenir compte, dans leur propre travail d’information, du fait qu’ils ne sont pas de simples observateurs du conflit, mais des parties prenantes. Il faudrait donc faire preuve d’une plus grande réflexivité sur le rôle des médias d’information dans les stratégies politiques et militaires des protagonistes et la construction des événements et des figures ennemies. »

De nombreux médias alternatifs ont vu le jour ces dernières années et tentent de faire entendre une autre voix sur le conflit que celle diffusée par les médias de masse. C’est via internet que ces médias se sont développés pour des raisons évidentes de censure et d’impossibilité de circulation de la presse papier, mais surtout pour toucher la communauté internationale. La plus ancienne plateforme étant l’ONG israélo-palestinienne Alternative Information Center basée à Jérusalem. Ils sont pour la plupart à but non lucratif : Electronical Intifada avec pour but affirmé de “combattre le baratin pro-israélien et pro-américain” créé en 2001 par un Américain d’origine palestinienne et un activiste des droits de l’homme néerlandais ; Ma’an News agency agence de presse créée en 2005, elle appartient à Ma’an Network, média non gouvernemental créé en 2002 par des journalistes indépendants de Cisjordanie et de la bande de Gaza qui possède aussi une chaîne de tv ; Middle East Monitor, créée en 2009 et qui compte parmi ses conseillers honoraires le controversé Tariq Ramadan. Quand à Active stills, créé en 2005, il met en avant le reportage photo car, note le site, « nous croyons au pouvoir des images pour façonner les attitudes du public et le sensibiliser sur les questions qui sont généralement absentes des discours officiels ».

Handala plus que jamais vivant

Handala

« Il a tout d’abord été un enfant de Palestine pour ensuite devenir un enfant arabe et un enfant de l’Humanité. » C’est ainsi que le dessinateur Naji Al-Ali, père spirituel de nombreux dessinateurs du monde arabe, présentait son personnage Handala [2].15 euros.. Petit bonhomme en haillons, pieds nus, les mains serrées, les cheveux hérissés et le dos tourné au spectateur. Handala (qui signifie amertume) est un petit garçon de 10 ans - « le nom de sa mère est Naqba », la catastrophe de 1948, et « celui de sa petite sœur Naqsa », celle de 1967 - qui refuse de grandir pour ne pas se résigner et qui n’acceptera de se retourner que lorsque son peuple aura un État.

Handala est né en 1969 et nous tourne encore le dos… Son créateur, lui, a été assassiné en 1987 à Londres, alors qu’il se rendait à son journal. Un étudiant palestinien appartenant à l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) a été arrêté, mais l’homme a toujours affirmé avoir agi pour le compte du Mossad (Services secrets israéliens). Margaret Thatcher, premier ministre de l’époque, ordonna alors la fermeture des bureaux du Mossad à Londres.

Symbole de la résistance palestinienne, très connu dans le monde arabe, il a fallu attendre 2009 pour qu’un premier livre en anglais soit consacré à Naji Al-Ali, et 2011 pour une parution en français, soit 22 et 24 ans après sa mort… Sur Marseille une seule librairie, la Librairie Transit (boulevard de la Libération, 13001) en a encore en rayon.

Article initialement publié sur le site Le Ravi