Les droits économiques sociaux et culturels : des droits à affirmer et à conquérir

Introduction

, par CIIP

Comme le droit à la vie, à la liberté, à la dignité, la prohibition de la torture, de l’esclavage, la liberté d’expression… pouvoir manger, avoir accès à l’eau, avoir un toit, être payé pour son travail font partie intégrante des droits de la personne humaine. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) adoptée unanimement par l’Assemblée générale de l’ONU en 1948, pose les premiers jalons de la reconnaissance de ces droits. Cependant cette déclaration n’ayant aucune force obligatoire, les Etats membres des Nations Unies ont décidé de créer un acte qui obligerait tous les Etats à respecter et mettre en œuvre les droits déclarés en 1948. A la base, un seul acte avait été prévu mais le contexte international de la guerre froide et les différences idéologiques des Etats ont abouti à l’adoption de deux textes.

Apprentissage de l’écriture, Mozambique.
C.Bastien

C’est ainsi que le 16 décembre 1966, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté deux pactes qui sont venus conférer un caractère obligatoire au « catalogue » des droits énoncés : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

L’existence de deux pactes distincts a porté un coup dur aux principes d’universalité et d’indivisibilité des droits . Pourtant, comme les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) s’inscrivent dans des traditions de luttes émancipatrices et s’ancrent dans des valeurs fondamentales de dignité humaine et de solidarité qui se retrouvent dans toutes les traditions philosophiques et religieuses. Les revendications en faveur des DESC se retrouvent partout dans le monde et à différentes époques, ce qui témoigne de leur universalité.
Malgré l’affirmation des DESC par un texte les rendant obligatoires, ils font très souvent l’objet de nombreuses violations, ceci est dû au fait qu’ils sont les premiers à être atteints par les effets pervers de la mondialisation et de la libéralisation accrue des échanges.

C’est pour cette raison que les DESC sont aujourd’hui au cœur des revendications de la société civile qui se bat pour leur application réelle, leur avancée et leur généralisation dans le monde entier. Les ONG, ont un rôle primordial en la matière car c’est grâce à leurs travaux auprès de l’ONU et aux campagnes de mobilisation que la justiciabilité des DESC avance.

Les droits affirmés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié aujourd’hui par 159 pays, reprend en les étendant et les affinant les DESC affirmés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
Ces droits ont évolué avec le temps mais aussi grâce au travail de la société civile. Aujourd’hui il existe des droits qui ont été largement codifiés, par exemple le droit au travail, les droits syndicaux (art.6 à 8) ou le droit à l’éducation (art.13).
Le droit pour une personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle est capable d’atteindre, plus connu sous le terme générique de « droit à la santé » (art.12) est au cœur des luttes et mobilisations actuelles : accès aux médicaments et libéralisation des brevets de propriété intellectuelle (accès aux génériques), accès aux soins publics de qualité par une vraie politique de santé publique.

Le droit à la culture (art. 15) est clairement affirmé mais soulève de nombreux problèmes pour son application, par exemple concernant les droits des minorités et des peuples autochtones.
Le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant (art.11) englobe clairement le droit à l’alimentation, le droit à l’eau potable (résolution de l’Assemblée générale des Nations Unis du 28 juillet 2010) et le droit au logement. Partant de ce droit, le comité DESC a également développé dans ses observations générales le droit à l’accès à l’eau en indiquant les conditions de cet accès : accessibilité physique et économique à une eau potable. D’autres interprétations plus novatrices de cet article, telles que les droits au développement et à un environnement sain sont apparues avec le temps pour élargir les garanties des droits à protéger.

Les violations des Droits économiques, sociaux et culturels

1,4 milliard de personnes vivent dans une extrême pauvreté, 1,5% de la population mondiale souffre de la faim, 61 millions d’enfants ne sont pas scolarisés et 7,6 millions d’enfants de moins de 5 ans sont décédés dans le monde en 2010 (Objectifs du millénaire pour le développement : rapport 2012)… La mondialisation économique s’accompagne de considérables violations des droits humains.
Les formes d’oppression sont devenues principalement économiques. Plus que dans la répression exercée par un appareil militaire, la domination réside en effet désormais dans la pression exercée sur les conditions de vie et de travail par les gouvernements, les entreprises multinationales et les institutions financières et commerciales internationales (IFCI).

La mondialisation économique se traduit également par des atteintes spécifiques à la réalisation de certains DESC. Les activités des multinationales et les grands projets d’infrastructure soutenus par les IFCI aboutissent souvent à des destructions environnementales, à des expulsions, à la pollution de l’eau et de l’alimentation, à une perte des activités économiques et des sources de revenus des populations avoisinantes. Les politiques néolibérales ont également abouti à une régression des droits sociaux : flexibilisation de l’emploi, suppression du revenu minimum, décentralisation des négociations collectives contribuant à circonscrire le pouvoir de négociation des syndicats, atteintes à l’exercice des droits syndicaux, etc. Elles ont aussi tendu à réduire l’accès de la population, et notamment des plus pauvres, aux services collectifs de base : santé, éducation, protection sociale, distribution d’eau et d’électricité… Cette détérioration résulte de la réduction des budgets sociaux de l’Etat, de la privatisation des services publics et de l’imposition de politiques de « recouvrements des frais ». Au niveau global, la mondialisation économique s’est donc traduite par une dégradation des conditions de vie, l’explosion des inégalités et des discriminations et une régression en matière de droits.

La justiciabilité

Subversifs par essence, les droits de l’Homme sont sans cesse menacés par les pouvoirs qu’ils soient politiques ou économiques. Des textes internationaux, des conventions, des lois existent, encore faut-il les faire respecter.

La garantie d’un droit recouvre bien entendu la non violation, mais aussi la mise en œuvre de moyens pour y accéder. Droits civils et politiques (DCP) et droits économiques, sociaux et culturels (DESC) paraissent avoir une différence notable. Alors que les Droits civils et politiques demandent une abstention des pouvoirs publics (liberté de la presse par exemple), les Droits économiques, sociaux et culturels ne peuvent pas être garantis sans l’action de l’Etat (comment garantir le droit à l’éducation, par exemple, sans la création d’école par les pouvoirs publics ?). Sur la base de cette différence, on a opposé les droits-libertés (les Droits civils et politiques) aux droits-créances (les droits économiques, sociaux et culturels) dont l’Etat est le principal sinon l’unique débiteur. Cette distinction est même utilisée par certains pour dire que les DESC ne sont pas des droits de la personne à part entière, que ce sont des droits programmatiques qui représentent un idéal, mais qui ne peuvent être exigés… ! Pourtant les obligations de l’Etat, le premier responsable du respect des textes internationaux et des lois, sont de trois ordres : l’obligation de respect (mises en œuvre des politiques respectueuses de ces droits), l’obligation de protection (contre les violations venant de tiers) et l’obligation de mise en œuvre (l’Etat doit tout mettre en œuvre, notamment au « maximum des ressources disponibles » pour garantir le plus tôt possible l’intégralité d’un droit. Tous les droits nécessitent à la fois une action positive et négative de l’Etat. La distinction entre droit-liberté et droit-créance n’est donc pas pertinente.

Un des enjeux pour le respect des DESC est leur justiciabilité, permettre de les défendre devant des instances judiciaires.
Réclamé par la société civile depuis de nombreuses années, un Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) a enfin été adopté par les Nations Unies en 2008. De façon très symbolique, l’adoption de ce nouvel instrument s’est faite le 10 décembre 2008, jour du 60ème anniversaire de l’adoption de la DUDH, par l’Assemblée générale de l’ONU. Cette adoption est une avancée majeure dans la protection internationale des droits humains. Pour la première fois depuis la proclamation de la DUDH en 1948, tous les droits humains sont considérés sur un pied d’égalité et peuvent potentiellement être protégés de manière comparable. Même s’il n’est pas parfait, notamment parce qu’il ne s’applique à priori pas aux actions et omissions des États tiers ni aux activités des sociétés transnationales, il représente pour les victimes de violations des DESC un instrument important d’accès à la justice. Mais comme pour tous traités internationaux, l’adoption du protocole par l’Assemblée générale des Nations unies ne suffit pas, il faut une ratification de cet instrument par les États pour le rendre contraignant juridiquement, pour qu’il entre en vigueur. Pour cela, il est indispensable que les mouvements sociaux et les organisations de la société civile fassent pression sur les gouvernements et sur les parlements nationaux

Faire respecter et avancer les Droits économiques, sociaux et culturels

Les espaces à conquérir pour le respect des DESC pour tous et partout dans le monde restent immenses.

En 2000, les Nations Unies soutenues par les ONG ont pris part à ce combat en soumettant aux Etats les Objectifs du millénaire pour le développement par lesquels ceux-ci s’engageraient à les atteindre d’ici 2015. Alors qu’il reste moins de la moitié du chemin à parcourir avant la date butoir de 2015 pour la réalisation de ces objectifs, les grands progrès dans la lutte contre la pauvreté et la faim commencent à ralentir, voire à s’inverser à cause des crises économiques et alimentaires mondiales et la plupart des cibles ne seront pas atteintes.

Un autre champ d’action est de s’appuyer sur ce qui existe notamment dans les instruments régionaux ou nationaux (Traités, Conventions, Constitutions, lois …) plus complets et explicites que le Pacte. La ratification du protocole facultatif fait partie de cette lutte ainsi que l’adoption d’une Convention internationale sur la responsabilité sociale des entreprises ou le renforcement des mécanismes de contrôle comme l’Organisation Internationale du Travail. Il est également indispensable de faire pression sur les gouvernements afin que ces derniers reconnaissent la compétence du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC) à mener des enquêtes et à recevoir des plaintes inter-étatiques.

Mais il s’agit aussi de faire pression sur les États afin de faire évoluer les législations nationales, internationales, régionales et la jurisprudence pour renforcer et généraliser les DESC. A titre d’exemples, certains États comme l’Afrique du Sud, l’Équateur, la Bolivie, le Venezuela ou encore le Bangladesh ont déjà inscrit dans leur Constitution nationale la garantie des DESC.

Quand le Protocole facultatif entrera en vigueur (le 5 mai 2013), il sera temps pour les victimes et leurs représentants de revendiquer leurs droits au niveau local et national, avant de saisir le CODESC si ces recours internes ne sont pas effectifs. Le rôle des organisations de solidarité internationale et de protection des droits humains sera essentiel dans ce processus. Par leur engagement, elles permettront aux victimes de participer pleinement aux délibérations devant le CODESC. Elles auront également un rôle essentiel pour assurer que les conclusions du CODESC seront suivies d’effets. Ce sont elles qui devront, comme souvent, faire le lien entre les constatations des experts des Nations Unies et la réalité quotidienne des victimes de violations des DESC.

De fait, le respect et l’application des textes concernant les droits quels qu’ils soient ont toujours nécessité d’importantes luttes politiques et sociales. Beaucoup de syndicalistes, de travailleuses, d’ouvriers, de peuples se battent pour défendre leurs droits économiques, sociaux et culturels. Pour les soutenir et faire avancer les DESC, des associations de solidarité internationales organisent des campagnes de mobilisation et de soutien.