Promotion des DESC dans le secteur de l’artisanat au Mali

Le PAPDESC et l’approche Genre : l’appui aux associations de femmes et l’accès aux crédits

, par TDHF

Depuis 2004, en marge du PAPDESC, GUAMINA appuie l’association Musogundo. Objectif : faire émerger des femmes artisanes capables de s’organiser pour la défense de leurs droits.

Si à Bamako et dans les grandes villes du Mali, les femmes assument une part importante de l’activité artisanale (elles sont alors coiffeuses, couturières, teinturières et sont, pour certaines, membres des comités DESC mis en place par GUAMINA), dans les zones périurbaines et rurales, la situation est bien différente.

C’est le cas à Sirakoro Méguétan, un village de quelque 3 500 habitants, situé à une trentaine de kilomètres de Bamako, dans la région de Koulikoro. Faute de capital, d’accès aux crédits et aux formations, en raison aussi de la faiblesse du tissu économique et de certains blocages culturels, rares sont les femmes qui peuvent se lancer dans de telles activités. Les familles dépendent alors très largement d’une production agricole dont les rendements sont souvent faibles et aléatoires. Certaines femmes, de manière complémentaire, pratiquent malgré tout le petit commerce - elles achètent à Bamako ce qu’elles peuvent revendre localement - mais à nouveau, les revenus qu’elles en tirent restent généralement marginaux, insuffisants.

À Sirakoro Méguétan, depuis 2004, la situation a toutefois évolué progressivement. Environ 350 femmes ont décidé de s’organiser, elles ont fondé l’association Musogundo (« secret de femmes »), une association que GUAMINA a rapidement décidé de soutenir. « Ce sont les femmes elles-mêmes qui sont venues vers nous, elles avaient des idées, des projets. C’est important, il faut que cela vienne d’abord d’elles-mêmes », se souvient Madani Koumaré de l’ONG GUAMINA. « Dans le cadre du PAPDESC, nous nous concentrions alors sur la formations aux DESC, mais ici nous avons choisi de travailler différemment. Il fallait d’abord créer une base, contribuer au développement des activités commerciales et artisanales des femmes, les faire émerger et de là progressivement les informer, les conscientiser et les mobiliser autour de la défense de leurs droits. »

L’apprentissage des métiers : une première étape pour l’autonomisation des femmes et le développement de leurs activités de production

Dès 2005, dans la foulée de la première Assemblée générale de l’association, l’appui de GUAMINA s’est concentré sur la formation technique et professionnelle. Les 350 femmes membres ont toutes été formées, des formations de 3 ou 4 semaines en teinture, couture et fabrication de savon. Des équipements de base ont été mis à leur disposition par GUAMINA et sont, aujourd’hui encore, utilisés dans le cadre de nouvelles formations organisées cette fois-ci directement par l’association, au rythme de deux cycles par an et d’environ 30 jeunes filles formées par cycle.

Mani Bagayoko, l’une d’entre elles, raconte : « Avant j’étais à l’école, mais j’ai dû arrêter en 8e, j’avais 14 ans, mes parents n’avaient plus les moyens de payer. J’ai fait une année de formation comme apprentie ici à l’association et maintenant je suis salariée chez ma patronne, ça fait trois ans. La formation a été très utile : j’ai appris les différentes formes, les techniques de la teinture, les couleurs, les traitements et tout ça. Maintenant, on me paie 15 000 FCFA (23 €) par mois, ça m’aide beaucoup. J’habite chez mon frère : avant il décidait de tout, maintenant je me sens plus à l’aise, je ne suis plus à sa charge et les relations se sont améliorées, il y a davantage de respect. Moi aussi je peux participer, je prends en charge ma famille, parce que mon frère n’a pas beaucoup de moyens, et je contribue quand on a des problèmes de santé ou pour trouver de l’argent pour les condiments (pour nourrir la famille).

Je me sens plus libre. Pour l’avenir, mon objectif, c’est d’avoir mon propre atelier, je veux me mettre à mon compte, mais je dois encore trouver les moyens pour cela. Vraiment cette formation a beaucoup changé ma vie. Si je ne l’avais pas faite je ne sais pas ce que je serais devenue, ça allait mal tourner. Sans cela, aujourd’hui je pourrais être dans la rue, sans moyen, sans activité, à faire la débauche ou alors être mariée de force, sans pouvoir choisir mon mari. Maintenant que j’ai des moyens, j’ai envie de me marier, mais c’est moi qui vais choisir ».

La mise en place de la coopérative d’épargne et de crédit : un vecteur de développement et de changement social au sein de la communauté de Sirakoro Méguétan

Une fois les premières formations organisées, rapidement, la question de l’accès au crédit a été posée pour les membres de l’association, comme l’explique Assa Koumaré : « Ici, 90 % de la population vit de l’agriculture, mais les rendements sont faibles. Dans ces conditions, il est difficile pour les hommes de subvenir à tous les besoins et à plus forte raison de donner aux femmes l’argent dont elles ont besoin pour développer leurs activités. Il fallait imaginer un système pour que les femmes puissent s’autonomiser et qu’elles aient la possibilité et la liberté de faire ce qu’elles avaient envie de faire ».

Ce système, ce fut la mise en place d’une coopérative d’épargne et de crédit. Après plusieurs campagnes de sensibilisation menées dans le village et ses alentours, environ 500 personnes décidèrent d’adhérer à la caisse, en s’acquittant chacune de la part sociale de 5 000 francs CFA (7,5 €). Fort de ce fonds de départ et du soutien de GUAMINA, la caisse obtint son agrément en 2007 et put ainsi lancer ses activités de dépôts et de crédits. Sept ans plus tard, force est de constater que son bilan financier est positif : 80 millions de FCFA de dépôts (122 000 €), 505 bénéficiaires de crédits, dont 275 femmes, quelques140 millions prêtés et un taux de recouvrement moyen de 95 %.

De très bons résultats donc : « la communauté s’est appropriée la caisse, nombreux sont ceux qui en bénéficient et il y a beaucoup de nouvelles demandes », explique Madani Koumaré. « Nous ne nous substituons pas aux comités de gestion, ce sont eux qui gèrent, mais nous restons présents. Nous sommes là régulièrement, on les accompagne, on les conseille en matière de gouvernance, c’était d’ailleurs une condition pour l’obtention de leur agrément. Pour le moment, notre présence reste nécessaire, c’est une garantie de bonne gestion, une manière aussi de transférer les compétences en vue de l’autonomisation de la coopérative, c’est une perspective à moyen terme. Puis ici, aucun agent de GUAMINA ne peut prendre de crédits, c’est une question de sérieux et de rigueur. »

Outre ces bons résultats financiers, la création de la coopérative a également provoqué de nombreux et profonds changements au sein de la communauté et des familles ayant bénéficié de ses services : des changements économiques, sociaux et sécuritaires.

C’est ce que raconte sa présidente, Assa Koumaré : « Les avantages sont nombreux. Avant les femmes travaillaient et gagnaient un petit quelque chose, mais elles devaient garder l’argent à la maison, c’était un problème. Nous sommes dans un village avec beaucoup d’insécurité, les voleurs rôdent, parfois il y a des incendies. On peut tout perdre comme cela. Avec la caisse, les femmes peuvent déposer leurs petits gains et les laisser fructifier ici en toute sécurité. La coopérative offre un taux de 5 % sur les dépôts, c’est intéressant pour elles. Un autre avantage ce sont les crédits que les membres peuvent obtenir, cela en a aidé beaucoup à lancer leurs activités, à générer plus de revenus pour la famille, les frais de scolarité des enfants, pour la nourriture aussi ou pour les soins de santé. Notre communauté se porte beaucoup mieux.

Pour vous donner un exemple : avant, le marché commençait à 8 h, mais vers 10 h, il n’y avait déjà plus rien. Aujourd’hui, vous pouvez aller en fin d’après-midi et les femmes sont encore là, le marché a beaucoup grandi, on y trouve toutes sortes de condiments, des légumes, des fruits, ce n’était pas comme cela avant. La caisse a beaucoup contribué à cela, les femmes gagnent l’argent plus facilement avec les prêts et ça a vraiment créé un nouveau dynamisme au sein du village. Et cela permet aussi aux femmes de s’émanciper. Quand elles viennent ici à la coopérative, on leur donne des conseils, on leur explique comment gérer leurs prêts et organiser leurs activités, on les accompagne, on réfléchit avec elle et on fixe les objectifs à plus long terme. On les encourage à bien gérer leur argent et à investir leurs gains dans le développement de leurs activités. Tout cela a beaucoup diminué les tensions dans les familles. Avant, il y avait toujours des petites querelles dans les ménages. Si l’homme n’a pas les moyens, la femme n’a pas d’argent non plus, ça crée des malentendus. Mais actuellement, la femme se débrouille de son côté et l’homme aussi se débrouille, la vie en famille devient plus facile, il y a l’indépendance.

Autrefois, l’homme ne faisait que cultiver les champs, tout le reste, c’était la femme : trouver les condiments, l’huile, le sel et tout ça. C’est un village traditionnel ici, l’homme avant ne faisait rien, même l’entretien des enfants, s’ils sont malades, leur habillement, les frais de scolarité, les frais de santé… tout cela revenait à la femme. Elle cultivait son petit potager et devait se débrouiller comme ça. Avec les crédits, ça a évolué parce qu’il y a aussi beaucoup d’hommes qui en ont bénéficié. Avec ça, ils font d’autres activités en attendant la récolte. Il y en a qui font le petit commerce, la quincaillerie, certains sont devenus des bouchers, des forgerons, des artisans, il y en a qui ont des moulins. Comme ça, ils peuvent apporter plus d’argent, ça aide la famille et ça soulage aussi la femme dans ses tâches, chacun contribue, c’est plus équitable. »