Promotion des DESC dans le secteur de l’artisanat au Mali

Une approche basée sur les droits : l’information et les sensibilisations pour un indispensable éveil des consciences

, par TDHF

L’approche basée sur les droits : une autre vision du développement, un nouveau paradigme…

Grégoire Koné devant son salon à Ségou
Grégoire Koné devant son salon à Ségou

Comme l’explique Mary Robinson, Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies de 1997 à 2002 : « Une approche basée sur les droits [...] revient à décrire des situations non pas en termes de besoins humains ni de domaines de développement, mais en termes d’obligation à répondre aux droits des individus. Ceci permet aux individus d’exiger que la justice soit considérée comme un droit, et non comme un acte relevant de la charité. »

Cette approche considère donc la jouissance des droits (à l’alimentation, à la santé, à l’emploi, etc.) comme l’objectif final des actions de développement et la revendication et l’exigibilité de ces droits comme le principal moyen d’y parvenir. Les individus ne sont plus les bénéficiaires d’une action de développement. Ils en sont les acteurs… autant de détenteurs de droits qui s’organisent, s’associent et se mobilisent pour en exiger la protection et le respect.

Comme le résume la revue Droits de la femme et changement économique : le développement peut être réalisé en trois grandes étapes : l’aide directe (Tu as soif, je te donne de l’eau), l’aide au développement (Tu as soif, je t’apprends à construire un puits) et la mise en œuvre des droits humains (Tu as soif, je t’apprends à revendiquer tes droits auprès du gouvernement qui a l’obligation de te garantir un accès à l’eau.).

Pour TDHF, cette approche repose sur certains principes fondamentaux : le caractère universel et inaliénable des droits humains, le lien structurel entre la promotion des droits économiques, sociaux et culturels et le développement, le rejet d’une vision exogène ou charitable de la lutte contre la pauvreté, la responsabilisation des États en tant que débiteurs d’obligations, l’importance de la société civile dans les processus de changement social, le plaidoyer, la mobilisation, l’éducation, la sensibilisation, la mise en réseaux et les alliances comme principaux modes d’action.

Le PAPDESC : la protection, la promotion et l’exigibilité des droits économiques, sociaux et culturels des artisans maliens

Après plus de dix ans d’engagement dans le secteur de la formation technique et professionnelle et la mise en oeuvre de deux vastes programmes d’appui (ASPEUR I et II : voir la fiche de capitalisation n° 1), GUAMINA et TDHF ont décidé en 2005, en s’inspirant des principes de l’approche basée sur les droits, de lancer un nouveau programme, le Programme d’Appui à la Promotion des DESC (PAPDESC).

Il ne s’agissait donc plus d’organiser directement ou de faciliter l’organisation de formations, mais bien d’encadrer les artisans, de les former, de les informer afin qu’ils se mobilisent et exigent eux-mêmes le respect de leurs droits… le droit à la formation étant l’un d’entre eux. « Les droits des artisans maliens ne sont pas respectés, ils sont violés régulièrement, souvent en toute impunité », explique Madani Koumaré de GUAMINA. « Je parle du droit à un travail décent, du droit à la sécurité sociale, du droit à la formation ou à une fiscalité juste et adaptée… Je parle aussi des artisans qui sont expulsés de leurs parcelles, sans compensation, sans rien. Les artisans sont une force vive de notre pays, ils doivent faire entendre leur voix ».

Et c’est bien cette volonté de mobilisation et de changement social qui se trouva d’emblée au coeur du PAPDESC, un programme qui - dans sa mise en œuvre - opta pour une évolution progressive vers l’approche basée sur les droits.

Information et sensibilisation : pour un indispensable éveil des consciences

En 2005, au lancement du PAPDESC, la notion même de droits économiques, sociaux et culturels (DESC) et l’ensemble des textes et conventions en constituant le cadre légal et normatif, étaient encore très peu connus des acteurs de la société civile malienne, des organisations de représentation des artisans et, a fortiori, des artisans eux-mêmes.

Dans ce contexte, l’approche développée par GUAMINA et TDHF - fondamentalement axée sur ces droits et leur exigibilité - fut dès le départ perçue par ces différents acteurs comme une innovation majeure.

« Nous ne savions même pas que nous avions des droits, que nous pouvions exiger de l’État qu’il nous aide, qu’il nous appuie, qu’il nous donne accès aux formations, aux parcelles, à tout cela », se souvient Grégoire Koné, artisan coiffeur à Ségou. « Il y avait beaucoup de fatalisme, puis aussi une sorte de complexe, nous n’osions pas ». 

Dans sa première phase, le PAPDESC se fixa dès lors comme objectif d’informer les artisans et de vulgariser le plus largement possible l’ensemble de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Pour assurer cette diffusion, le programme décida de cibler les Chambres de Métiers installées dans les six communes de Bamako et le fit en étroite collaboration avec l’Assemblée permanente des Chambres de Métiers du Mali (l’APCMM).

Les chambres des métiers jouent en effet un rôle central et particulièrement stratégique dans l’encadrement et l’organisation, à la base, du secteur de l’artisanat. Ce sont des établissements publics dont les comités sont composés d’artisans élus et de représentants des organisations socioprofessionnelles.

Leur mission : répertorier les artisans, faciliter l’accès aux formations, assurer la promotion des produits, faciliter leur écoulement, etc. « Le ciblage des Chambres de Métiers fut très important pour nous », ajoute Madani Koumaré. « Elles sont très bien implantées localement et bénéficient de relais dans les quartiers, elles représentent l’ensemble des métiers de l’artisanat… C’était un point d’entrée idéal, une manière d’atteindre rapidement et directement un grand nombre d’artisans »

Un premier cycle de formation fut donc organisé au profit d’élus consulaires (les artisans élus au sein des Chambres de Métiers et chargés de leur gestion/animation) : des formations de formateurs sur les principes et la mise en application de l’approche basée sur les droits tout d’abord et sur les droits économiques, sociaux et culturels ensuite (introduction aux droits humains, leurs instruments juridiques, les méthodes d’exigibilité, les enjeux de leur justicialibilité, etc.).

Sur la base des outils mis à leur disposition et notamment d’une série d’outils pédagogiques traduits en bambara (le français est la langue officielle du Mali, mais le bambara est reconnue comme langue nationale, parlée par plus de 80 % de la population), les élus consulaires furent alors chargés de restituer et de diffuser le contenu de ces deux premières formations au sein de leurs Chambres et des différentes associations professionnelles actives dans leur commune, responsables à leur tour de l’information, de la formation et de la mobilisation de leurs membres… une formation en cascade donc.

Autre vecteur de vulgarisation des DESC : l’intégration dans les formations techniques organisées par la Cellule Opérationnelle pour la Formation Professionnelle (COFPA) d’un module spécifique sur les DESC élaborés par GUAMINA.

« Nous sommes en charge de la formation technique pour le compte des deux plus importantes structures de représentation des artisans, l’Assemblée Permanente des Chambres de Métiers du Mali (APCMM) et la Fédération Nationale des Artisans du Mali (FNAM) », explique M. Sidibe, assistant technique au sein de la COFPA. « Dès le départ, GUAMINA nous a impliqués. Leurs moyens étant limités, ils ont opté pour une approche de « faire faire ». Ils nous ont formés, nous ont responsabilisés et aujourd’hui nous sommes un acteur de référence sur ces questions et c’est notre rôle de poursuivre cet effort de vulgarisation dans le cadre des formations que nous organisons. »

Cette campagne d’information sur les DESC, initiée à partir des Chambres de Métiers de Bamako, s’est ainsi poursuivie, de manière progressive, tout au long de la mise en oeuvre du PAPDESC et fut élargie, à partir de 2010, aux autres régions du Sud du Mali : Ségou, Koulikoro, Sikasso, Mopti et Kayes.

Au total, 60 séances d’information et de formation ont été organisées et permirent de toucher directement l’ensemble des élus consulaires de chacune des Chambres de Métiers partenaires, une cinquantaine d’élus locaux, quelque 80 cadres de l’administration et représentants des ministères, les équipes dirigeantes de l’APCMM, de la FNAM et de la COFPA et plus de 3 200 artisans sensibilisés, formés sur les DESC dont ils sont détenteurs.

« Les formations ont changé nos comportements, notre façon de voir les choses et ça a amené une certaine confiance en nous-mêmes pour faire face aux autorités », explique Lamine Diallo, artisan mécanicien dans la commune I de Bamako.

« Maintenant, je sais que je suis un artisan, un homme qui a sa place et un rôle à jouer dans la société malienne et dans la nation. J’étais profane, j’étais là sans connaître mes devoirs, sans connaître mes droits, comme abandonné à moi-même, comme un citoyen qui n’a pas d’avenir. Mais présentement, c’est différent, ça a changé, on a pris conscience de tout cela, on s’organise parce que c’est nécessaire pour lutter en faveur des droits des artisans et obtenir satisfaction. »

Et Koné Lamine, élu consulaire de la Chambre de Métiers de Ségou d’abonder dans le même sens : « On dit que les absents ont toujours tort. Eh bien, au Mali les artisans étaient absents du débat public et quand tu dors, c’est quelqu’un d’autre qui prend ta part. Mais maintenant nous sommes bien réveillés, on ne peut plus décider pour nous sans nous, nous sommes là pour défendre nos droits. Mon pays a ratifié des textes et des conventions internationales, je les connais et je sais que moi, en tant que détenteur de droits et en tant que société civile, je peux dénoncer et influencer mon gouvernement pour qu’il respecte ses engagements… c’est mon droit le plus absolu »