Le terrorisme est anti-politique

, par SACSIS

Cet article a été traduit de l’anglais au français par Sandrine Merle et Françoise Vella, traductrices bénévoles pour Ritimo. Retrouvez l’article original sur le site de Sacsis : The Anti-Politics of Terrorism

Terrorisme. Suite aux récentes attaques à Sydney, Paris et Baga, le mot est sur toutes les lèvres. Après l’attaque de Charlie Hebdo à Paris, quiconque essayait d’expliquer le contexte dans lequel émerge le terrorisme était taxé d’angélisme.

Il faut bien avouer, en même temps, que le mot terrorisme est chargé politiquement. Définir une attaque comme terroriste plutôt que simplement criminelle, c’est demander aux pouvoirs les plus extrêmes de l’État de réagir et certains signes nous montrent que ces derniers sont utilisés pour réprimer la dissidence politique et pas uniquement pour combattre le terrorisme.

Pendant des décennies, les gouvernements ont fait l’amalgame entre les actes révolutionnaires et les actes terroristes pour satisfaire leurs intérêts. Mais dès lors qu’ils emploient la violence contre les populations civiles, leurs actes ne sont généralement pas décrits comme du terrorisme d’État. Cela montre bien que ce terme est utilisé de façon unilatérale.

Ces réalités ont conduit Arundhati Roy à soutenir que « les lois anti-terroristes ne sont pas destinées aux terroristes, mais aux personnes que les gouvernements n’aiment pas. C’est pourquoi leur taux de condamnation est inférieur à deux pour cent. Ce n’est qu’un moyen d’écarter pour longtemps les personnes qui dérangent, sans droit à une mise en liberté sous caution, pour finir par les libérer. ».

De plus, le gouvernement des États-Unis, en particulier, a utilisé le terme pour étendre son contrôle militaire à d’autres parties du monde, tout en retournant son importante machine à espionner vers l’intérieur afin de contrôler les personnes rétives sur son territoire national. D’autres gouvernements lui ont emboîté le pas. Les politiques étrangères militarisées de l’alliance des « Five eyes » [1], qui ciblent principalement les populations musulmanes, ont implanté les bases d’une réaction qu’ils ont de plus en plus de mal à contrôler.

Au vu de ces problèmes, un cadre de la British Broadcasting Corporation (BBC) a soutenu que les présentateurs devraient laisser ce terme de côté en raison de sa forte connotation. En réalité, la ligne éditoriale de la BBC précise que le mot « terroriste » devrait être évité, s’il n’est pas clairement défini, car il peut constituer une barrière plutôt qu’un outil de compréhension.

À quoi devrait donc ressembler une réponse appropriée au terrorisme ? Devrait-elle elle condamner sans réserves de tels actes terroristes, chercher à en comprendre les causes au risque d’être accusé d’ambiguïté face au phénomène, ou rejeter complètement le terme en considérant qu’il est porteur d’une idéologie favorisant l’État et la classe politique dont il sert finalement les intérêts ?

Les définitions du terrorisme abondent, mais certains facteurs communs devraient être sans équivoque. Le terrorisme implique l’usage de la violence ou des menaces d’actions violentes pour des raisons idéologiques dans le but d’obliger des gens à agir ou de les empêcher d’agir de telle ou telle manière, mais cela exclut les luttes légitimes menées par des mouvements de libération nationale ou anti-coloniaux.

Le terrorisme agit de manière inconsidérée et implique, de ce fait, un problème éthique : il attaque, ampute et assassine des victimes innocentes sans s’intéresser vraiment à qui elles sont ou à ce qu’elles pensent en tant qu’individus. Certains sont pourtant des combattants, tel le pilote jordanien Muath el-Kaseasbeh, brûlé vif par l’État islamique la semaine dernière.

En dehors du fait que de tels actes démontrent un mépris total pour les souffrances humaines, ils rendent les individus responsables du comportement de la machine étatique et de la classe politique qu’elle sert. C’est pourquoi les personnes possédant une conscience politique ne devraient pas avoir de difficultés à condamner le terrorisme, et ce pour des raisons éthiques.

Ceci ne veut pas dire que la violence n’a pas sa place dans certaines circonstance. Parfois les tentatives pacifistes d’établir la non-violence en tant que principe général posent problème. De telles tentatives privilégient souvent une forme de violence (à savoir la violence d’État) par rapport à une autre (à savoir la violence civile), sans le déclarer ouvertement. Dans certains contextes, la violence de la lutte armée est la seule réponse éthique face à un ordre social particulier : mais la violence de nature terroriste ne peut pas être tolérée sur cette base. 

Le terrorisme pose aussi des problèmes politiques. Il met l’accent sur le spectacle aux dépens des mouvements politiques de masse, ce qui encourage l’apathie. En assumant qu’un changement de la société peut être obtenu par des actes de violence individuels, il néglige le fait que ce sont les forces sociales qui sont le plus susceptibles d’apporter un changement significatif.

Dans les sociétés capitalistes, les forces sociales sont le plus souvent représentées par la classe ouvrière organisée, en lien avec les organisations communautaires de masse et les chômeurs. Ce sont en effet ces groupes sociaux qui ont le plus à gagner d’une société plus équitable et plus juste. En identifiant des individus comme des ennemis, plutôt que comme un ordre social spécifique, les terroristes n’auront jamais la capacité de changer l’organisation du pouvoir dans la société.

Ainsi, la tactique des terroristes est déficiente, car ils semblent ne pas se préoccuper de rallier les masses à leurs idées. Sans perler de la nature dépourvue de principes du terrorisme, le mépris évident des terroristes pour les mouvements politiques de masse leur laisse une base sociale beaucoup trop étroite pour donner un sens politique à leur action.

Le terrorisme ne remplacera jamais le besoin de travail collectif. Il minimise l’importance des réponses collectives à l’oppression et à l’exploitation, et sous-estime le degré de confiance qu’il faut atteindre pour les vaincre. Le terrorisme montre en réalité l’impuissance de ceux qui y ont recours. Incapables d’obtenir une réponse à leurs revendications par des méthodes plus convaincantes, ils se contentent de répandre la terreur psychologique.

Le terrorisme est une forme d’anti-politique. Il peut effrayer les partisans potentiels, qui craignent eux-mêmes d’être blessés ou tués lors d’une attaque : le terrorisme peut en réalité avoir un effet profondément démobilisateur. Les organisations terroristes sont souvent (pas systématiquement) idéologiquement rigides. Elles souscrivent à des opinions réactionnaires qui ne devraient pas trouver leur place dans le cadre d’une politique de transformation.

Néanmoins, toutes les organisations qui ont eu recours à la violence, y compris contre la population civile, ne peuvent être classées dans la même catégorie politique. Certaines ont des programmes d’émancipation et doivent être différenciées catégoriquement des politiques régressive d’un Boko Haram ou d’un État islamique.

Les questions les plus complexes émergent dans des contextes tellement répressifs et où les forces en conflit sont tellement inégales, qu’il est presque impossible de miser sur les luttes politiques. Il est beaucoup trop facile de dire que ceux qui subissent la répression sont les gentils, alors que la violence d’État qui les oppresse se poursuit sans relâche. Mais même dans ce cas, les problèmes éthiques et politiques que font émerger ces formes de lutte ne peuvent être complètement écartés.

Le terrorisme, comme forme de lutte politique, se confronte également à des problèmes pratiques. Les organisations terroristes sont susceptibles d’être infiltrées par des agents des services secrets car elles sont par nature secrètes. Il est plus difficile d’infiltrer les organisations de masse qui ont des pratiques politiques ouvertes sur l’extérieur, ce qui les rend plus résistantes puisqu’elles sont moins susceptibles d’être renversées.

Le terrorisme pousse également à des réactions ultra répressives, permettant aux gouvernements d’obtenir le consentement de leurs citoyens pour l’application de mesures coercitives qui restreignent les droits de la population sous prétexte que la sécurité publique est en danger. Ces réalités rendent le terrorisme anti-stratégique politiquement.

Le terrorisme est anti-classe ouvrière. Les militants ne devraient donc pas avoir de mal à appeler ces actes par leur nom, quelles que soient les manipulations politiques dont le terrorisme fait l’objet, afin de les différencier des formes d’organisation et d’action qui ont un sens politique et un fondement éthique.

Cependant, il est aussi nécessaire de reconnaître les conditions qui ont permis au terrorisme d’émerger, y compris les ravages de la violence impérialiste, ainsi que la mondialisation de la guerre contre la terreur, créée par l’héritage révoltant de l’Irak. L’État islamique est né de cet héritage. L’admettre ne signifie pas adopter une position ambigüe par rapport au terrorisme. Cela permet au contraire de trouver une réponse politique fondée sur l’histoire au problème, une réponse qui refuse une logique simpliste et binaire à la George Bush : « soit vous êtes avec nous soit vous êtes avec les terroristes ».

L’expansion du terrorisme est la preuve de l’échec des mouvements politiques de masse à empêcher la montée du racisme et de l’islamophobie dans le monde aujourd’hui, en particulier en Occident. Les militants peuvent, soit plonger la tête dans le sable et ignorer les critiques, soit gérer le problème de front.

Il est nécessaire de comprendre les raisons politiques qui poussent les personnes aliénées par le racisme et l’islamophobie à se tourner vers le terrorisme plutôt que vers un mouvement politique de masse, qui pourrait potentiellement aussi les entraîner. Au final, le seul moyen viable de gérer ces problèmes passe par les mouvements politiques de masse.

Notes

[1les Etats-Unis et ses quatre alliés anglophones : Canada, Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle-Zélande participeraient à un vaste réseau de surveillance électronique surnommé l’Alliance des cinq yeux.

Commentaires

Article publié le 9 février 2015 par Jane Duncan, enseignante de journalisme à l’université de Johannesburg.