De retour de Dakar

, par ABI Samir

Du 15 au 19 octobre 2014, une délégation de Visions Solidaires (relais Ritimo) a pris part aux activités de la septième édition du Forum Social Africain tenu à Dakar au Sénégal. Retour sur cet évènement majeur dans l’agenda des mouvements sociaux en Afrique.

« Pour la libre circulation des personnes dans toute l’Afrique », « Fermeture de toutes les bases militaires étrangères en Afrique », « Soutenons les peuples pas les dictateurs ! », « Travailleuses domestiques, nous aussi nous avons des droits », « Donnons les moyens aux exploitations familiales de nous nourrir »… pouvait-on lire sur les banderoles déployées par les manifestants en face de la Radio Télévision Sénégalaise, lieu de départ de la marche d’ouverture du septième Forum Social Africain. Les slogans rivalisaient ainsi dans leurs contenus pour exprimer le désir de changement et d’unité auxquels aspirent les peuples africains. Hasard du calendrier, le début du forum coïncidait avec le jour anniversaire du décès du Capitaine Thomas Sankara, icône éternel de la lutte d’un continent pour la reconquête de son indépendance.

Le thème central du forum portait sur les interventions militaires étrangères sur le continent et les accaparements de ressources naturelles qui s’en suivent plongeant l’Afrique dans une nouvelle phase de domination impérialiste. De la crise libyenne à la crise centrafricaine en passant par les guerres en Côte d’ivoire, au Mali et les troubles au Nord du Nigéria, les peuples africains sont pris au piège d’une spirale de conflits dont les enjeux sont souvent liés aux ressources naturelles. Des vies ne cessent d’être décimées au profit des vendeurs d’arme créant des millions de déplacés dans une situation humanitaire alarmante. L’espace du forum se voulait un lieu d’expression des souffrances des victimes des conflits à travers l’Afrique. Les populations casamançaises ont ainsi pu au côté de leurs frères et sœurs maliens et ivoiriens pousser leur cri de cœur pour la paix.

L’accaparement des ressources naturelles fut l’autre sujet brulant du forum. Paysans, pêcheurs et miniers se sont ainsi mobilisés pour dénoncer les pressions qu’ils subissent afin de céder leur terre et leur zone de pêche à des investisseurs et multinationales assoiffés de profit. L’échec des politiques de privatisation des années 90 n’a guère servi de leçon aux dirigeants africains qui continuent leur fuite en avant pour faire plaisir aux spéculateurs, investisseurs et institutions financières internationales. Les paysans qui réclament l’accès au sol pour développer avec leur famille des cultures vivrières pouvant nourrir leur pays sont déguerpis manu militari par ceux pour qui ils ont voté pour présider au destin de leur pays. Les débats permirent de pointer du doigt la gouvernance en Afrique comme la principale source des malheurs vécus par ses humbles citoyens soucieux de la souveraineté alimentaire.

La gouvernance en Afrique est à l’origine de tous leurs maux conclurent également les jeunes dans l’espace qui leur était dédié lors du forum. Le non respect des institutions républicaines, les élections truquées et les alternances qui finissent par amener au pouvoir des opposants pires que leur prédécesseur, les jeunes disent « y’en a marre ». Marre d’attendre des emplois qui ne viennent jamais, des décisions qui ne sont jamais justes et des politiciens plus véreux les uns que les autres. A quand de nouveaux Sankara pour relever l’espoir perdu de toute une jeunesse en sa capacité de bonheur sur le sol qui l’a vu naitre ?

Sans paix, sans terre et sans espoir, il ne reste plus que l’exode vers de nouveaux horizons plus hospitaliers. Le village Migration fut un des espace les plus actifs lors du forum. Et il y avait matière à débattre dans un pays fortement marqué par la migration comme le Sénégal. Les panels se succédèrent pour s’interroger sur la libre circulation dans l’espace CEDEAO, la mobilité à l’intérieur du continent africain, les politiques migratoires sécuritaires et xénophobes européennes qui s’externalisent en Afrique.

La fermeture de la frontière sénégalo-guinéenne par les autorités sénégalaises suite au virus EBOLA a fait l’objet d’une vive condamnation par l’ensemble des participants au forum. La décision des autorités sénégalaises était d’autant plus mal comprise vue que la Côte d’ivoire laissent ses frontières ouvertes alors qu’elle a pour voisin la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, pays où sévissent durement la fièvre hémorragique. Un sentiment d’impuissance transparaissait des interventions des participant-e-s au forum tou-te-s meurtri-e-s du peu de solidarité des Etats africains aux pays victimes du virus EBOLA. Le rêve panafricain restant encore un vœu pieux au niveau des Etats après cinquante années de tentative d’union, les populations n’ont plus qu’à relever ce défi majeur pour l’émergence d’une Afrique libre. Prochaine étape Tunis pour le Forum Social Mondial 2015.