Les ONG en question

Zoom d’actualité

, par CRISLA , LE SANN Alain

Le rôle des ONG fait souvent débat : que ce soit au niveau de leurs interventions sur le terrain et leurs résultats, de leurs financements ou de leurs réseaux discutables (accointances avec les multinationales), la question de leur légitimité est régulièrement posée. Retour sur quelques analyses et prises de position, qui pointent notamment du doigt les liens étroits entre certaines grosses ONG et les puissances financières (multinationales en particulier)...

Arundhati Roy s’interroge en 2004 sur la légitimité des interventions des ONG étrangères avec leur puissance financière, dans les pays du Sud. « Les ONG doivent rendre des comptes à leurs financeurs, et non aux gens avec lesquels elles travaillent ». Pour sa part, Naomi Klein interroge également la légitimité des grosses ONG environnementalistes dans leur action sur le climat. Selon elle, « celles-ci ont fait plus de dégâts que les négationnistes climatiques de droite ». Les politiques mises en place et leurs résultats ont été désastreux, car fondés sur les logiques marchandes.

Aux États-Unis, Mark Dowie, historien du mouvement environnementaliste, met aussi en cause les pratiques et les objectifs des grosses ONG environnementalistes et fondations qui détournent les citoyens des processus démocratiques légitimes pour renforcer leur rôle comme intermédiaires (ce qu’il appelle la "philanthocratie", mot valise soudant "philantropie" et "technocratie") entre les citoyens et les gouvernements, marginalisant les petits groupes de base ne bénéficiant pas des fonds des grosses fondations. Cette analyse est confortée plus récemment par deux universitaires dans un livre « Protest inc, the corporatization of activism ». Ils mettent en cause l’évolution des grosses ONG qui, du fait de leur taille, sont de plus en plus gérées comme des entreprises et, pour certaines d’entre elles, entretiennent des liens étroits avec de grosses multinationales, au sein d’un complexe philanthro-capitaliste.
Deux informations récentes confirment les appétences et dérives de certains gros réseaux internationaux dans leurs rapports avec la finance et les grandes sociétés. Elles concernent Greenpeace international, qui a fait partir en fumée des millions d’euros de donateurs suite à une mauvaise opération boursière et Max Havelaar-France, qui a déclenché les foudres dans le milieu du commerce équitable par la mise en place d’un nouveau label "équitable light".
On peut constater avec satisfaction que ces évolutions soulèvent des réactions indignées au sein même de ces organisations.

Concernant les associations de solidarité internationale (ASI), ce sont également leur mode d’intervention et certaines de leurs pratiques sur le terrain qui soulèvent beaucoup d’interrogations au Sud. Ainsi à Haïti, les comportements néocolonialistes de certains humanitaires entraînent des effets pervers et un sentiment de marginalisation chez de nombreux Haïtiens.
Dans son blog, le journaliste pakistanais Raza Rumi pointe également les dérives de l’aide humanitaire au Pakistan. Le poids considérable des ONG américaines suscite des interrogations légitimes sur leur rôle et leur impact. Raza Rumi considère que la supériorité de l’action des ONG tient du mythe : elles échouent dans leur objectif d’atteindre les plus pauvres et les plus marginalisés.

Fondamentalement, les ONG ne bénéficient-elles pas d’un affaiblissement de l’État qu’elles contribuent elles-mêmes à aggraver ? Question redoutable... mais il existe des pistes de réels partenariats et des exemples intéressants à soutenir, en se fondant sur l’idée que le développement est un processus politique qui permet aux plus pauvres de conforter leurs droits, comme le souligne le blog du réseau des ONG irlandaises pour la justice globale. Certaines ONG n’ont-elles pas tendance à privilégier leur propre pouvoir au lieu de soutenir le renforcement des capacités des plus pauvres et des plus marginalisés ? Chaque cas est différent et il existe encore et heureusement des ONG réellement au service des plus démunis.
Conscientes des interrogations autour de leurs actions, les ONG misent sur la professionnalisation de leurs effectifs et certaines structures ne veulent pas fonctionner selon des logiques de grosses entreprises et refusent également la collaboration avec des acteurs privés en inadéquation avec leur éthique et leurs objectifs. Enfin, la nécessité d’établir de réels partenariats Sud/Nord est une préoccupation partagée par de plus en plus d’ONG. Une porte de sortie vers des relations équilibrées et réciproques, exemptes de paternalisme ?