Marre d’en avoir marre !

, par COUTROT Thomas

Intervention de Thomas Coutrot au rassemblement « Y en a marre » de la communauté Emmaus Lescar Pau, 2 février 2014.

Ici nous savons de quoi nous avons marre. Marre des maîtres de ce monde, qui n’ont jamais été aussi riches, aussi puissants ni aussi enfermés dans leur frénésie d’accumulation.

En Chine et aux États-Unis les riches ont doublé leur part dans la richesse nationale depuis 30 ans. 1% des familles possèdent 46% de la richesse mondiale.

Marre des banquiers et des financiers qui imposent leur loi : la crise financière n’a débouché sur aucune remise en cause de la spéculation, qui bat aujourd’hui des records historiques. Les banques sont plus grosses et plus insolentes que jamais.

Marre des hommes politiques qui ne font que mentir. Ils se font élire en promettant de s’attaquer à la finance, puis gouvernent pour les banques et le patronat.

Marre aussi de la bigoterie, de la haine et de la bêtise qui déferlent depuis plusieurs mois dans les rues. Mais comme le dit Patrick Chamoiseau, « il ne faut pas se laisser aveugler par ces manifestations de bêtise et de hargne. Plus elles sont virulentes, plus elles sont le signe qu’un mouvement contraire est en marche », le mouvement « de la houle et des mélanges ».

Car jamais les humains n’ont eu autant de connaissances les uns des autres ni autant de reconnaissance mutuelle des cultures. Jamais ils n’ont été confrontés tous en même temps à cette effrayante domination d’une oligarchie mondiale irresponsable. Et avec la crise écologique, jamais ils n’ont eu autant de raisons de construire leur fraternité, comme disait l’Abbé Pierre, « au delà de la famille, du clan, de la nation : la fraternité humaine est universelle ».

Ce n’est plus seulement une posture éthique, c’est une nécessité vitale. Nous devons réduire vite et radicalement nos consommations d’énergie et de matières premières, ou bien nos petits-enfants vivront sur une planète invivable, déchirée par les catastrophes climatiques et les guerres pour les ressources.

Ce mouvement contraire à la haine et à la bêtise, c’est celui de la transition citoyenne vers une société conviviale. C’est celui de ces milliers de salariés qui, comme les Fralib à Marseille, se battent pour produire mieux et autrement.

C’est le mouvement des compagnons de Lescar-Pau qui construisent la solidarité entre les plus démunis, qui bâtissent ces maisons poétiques et une économie locale durable.

C’est le mouvement des villes en transition, écologique et démocratique, comme Marinaleda dont Juan Manuel Sanchez Gordillo nous parlera tout à l’heure.

C’est le mouvement des zones libérées, comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et tant d’autres ZAD moins connues, communautés rurales écologiques, squats et centres sociaux, jardins urbains partagés, etc...

C’est le mouvement des Alternatibas qui – Txetx va nous en parler - commencent à multiplier partout en France et ailleurs pour donner à voir ces alternatives.

C’est le mouvement des citoyens qui se révoltent contre l’oligarchie, les multinationales, les Monsanto, Unilever, BNP Paribas, Société Générale..., ceux qui veulent la redistribution des immenses richesses, ceux qui refusent d’être « des jouets dans les mains des banquiers et des politiciens », comme le disent les indignados et le 15M en Espagne : des révoltes et des indignations qui sont aussi des inventions, de nouvelles manières de produire, de vivre, de faire de la politique.

Ce mouvement pour l’égalité, pour la responsabilité, pour la liberté - car sont-ils vraiment libres, ceux qui vivent en écrasant les autres et la nature ? - , ce mouvement on pourrait l’appeler « La bonne vie pour tous ! ». « La bonne vie » (buen vivir), parce que nous sommes gourmands, curieux, inventifs, amoureux, et nous voulons l’être les uns avec les autres, pas les uns contre les autres. Pour tous, donc, parce que oui, la concurrence et l’émulation sont inhérents à l’homme, mais elles ne peuvent ni ne doivent l’emporter sur la coopération entre égaux et avec la nature. L’humanité a survécu par la coopération, elle périra par la compétition.

Nous en avons marre, mais nous en avons aussi marre des « y en a marre » qui prônent l’ordre moral et l’exclusion. Face à la haine et à la bêtise, construisons ensemble et affirmons dans la rue et sur nos places publiques un mouvement joyeux enraciné dans nos luttes et nos alternatives. Vive la bonne vie pour tous !

Consultez l’article sur le site Attac France