Sensibiliser, former, mobiliser les habitants pour faire valoir leurs droits

Burundi : Des négociations communautaires pour une cohabitation pacifique

Association de Coopération et de Recherche pour le Développement

, par Juristes Solidarités

Cet article a été écrit par Juristes-Solidarités, à partir d’une intervention à un atelier d’échanges d’expériences (Rwanda, 2010) et du document Guide d’ACORD : Modèle de rétablissement de la paix sociale à l’échelle communautaire, 2009.

Des femmes de la municipalité de Rugombo (Burundi)

L’Association de Coopération et de Recherche pour le Développement (ACORD), organisation panafricaine de développement, intervient dans dix-sept pays d’Afrique, où elle se donne pour mission de faire cause commune avec les populations pauvres et privées de leurs droits, afin d’obtenir une plus grande justice sociale. Forte de son expérience d’appui aux organisations locales, ACORD est présente au Burundi où elle a initié des projets de rapprochement des communautés divisées par les conflits issus de la guerre civile, à travers la mise en place de contrats sociaux de cohabitation pacifique. Régi par le principe du gagnant/gagnant, ce modèle de contrat social est applicable à tout type de conflit social : désaccords fonciers, violences basées sur le genre, etc.

Traduire les accords de paix au niveau local : les contrats sociaux de cohabitation pacifique

Au Burundi, la signature en 2000 de l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation a constitué un facteur favorable au développement de projets de paix. Cependant, les tensions sont restées vives dans certaines régions au sein de la population civile, d’autant plus que les groupes en conflit vivent très près les uns des autres. Pour l’association ACORD, il s’agit à travers la mise en place de contrats sociaux de cohabitation pacifique de permettre aux communautés de s’approprier les accords négociés au niveau national par les dirigeants et de les traduire en véritables engagements en faveur de la paix.

Établis et adoptés par les communautés, ces contrats répondent à des principes d’autonomie et de responsabilisation. Leur élaboration repose sur un renforcement préalable des capacités des communautés de base : des formations sont mises en place pour permettre aux organisations locales de mieux comprendre le conflit, de communiquer de manière non-violente et de s’ouvrir aux possibilités de pardon et de réconciliation.

Le processus de négociation proprement dit peut ensuite être initié.

Les négociations communautaires

En ouverture de tout processus de négociation, une séance de décrispation permet de préparer les confrontations à venir et d’établir les règles des temps de dialogue : les personnes ne peuvent s’interrompre, ne peuvent être violentes sur les lieux de négociation, etc.

Le dialogue communautaire est ensuite initié entre les représentants des différentes communautés. Les négociations sont alors menées à plusieurs niveaux : négociations interpersonnelles, négociations au sein des groupes sociaux, des rues, collines ou quartiers. Les participants au dialogue sont choisis parmi les différentes catégories sociales en présence et sont invités lors d’ateliers à donner leur perception du conflit, à échanger sur son analyse, ses causes, ses conséquences et sur les solutions qui pourraient être envisagées pour faciliter une cohabitation pacifique.

Vient ensuite le temps des témoignages, basé sur les valeurs de réconciliation et de vérité. Ces séances reposent sur le postulat suivant : la confiance et la réconciliation des communautés sont le fruit d’un dialogue social qui s’appuie sur la découverte de la vérité et le pardon. Il s’agit pour les victimes de violations de droits comme pour ceux qui les ont perpétrées de dévoiler la vérité publiquement et d’exprimer leur ressenti. Ainsi, les auteurs de crimes demandent pardon à la victime, laquelle est invitée à accorder son pardon.

Enfin, après avoir identifié les causes du problème, les parties sont invitées à proposer des solutions pour cohabiter. Chaque communauté prépare alors séparément ses propositions puis les confronte en séance plénière. Parmi les solutions consensuelles qui feront l’objet du contrat social, certaines sont facilement réalisables, quand d’autres sont plus difficiles à mettre en œuvre mais sont cependant essentielles à formuler pour aider les parties en conflit à se réconcilier et à vivre en paix.

Enfin, le contrat social est élaboré par les participants aux négociations et signé par les représentants des ethnies et autres catégories sociales, qui s’engagent ainsi à le respecter.

Assurer le suivi des engagements

Les participants aux négociations élisent les membres des comités collinaires pour la paix parmi des catégories sociales différentes : hommes, femmes, jeunes, déplacés, rapatriés. Ceux-là ont pour missions de :

  • faire le suivi des contrats sociaux de cohabitation pacifique ;
  • vulgariser le contenu des contrats sociaux dans les communautés ;
  • gérer les conflits intercommunautaires et interpersonnels : couples en désaccord, frères en conflits, etc. ;
  • animer les séances de consolidation de la paix ;
  • accueillir les rapatriés et autres sinistrés de guerre qui veulent regagner leurs collines.

Consolider la cohabitation sur le long terme

Afin de consolider les contrats sociaux négociés, les communautés conçoivent et réalisent conjointement des projets.
Pilotés par des comités locaux intercommunautaires, ils prévoient des activités spécifiques afin de rapprocher les différents groupes sur le long terme : réhabilitation et reconstruction physique et morale des sinistrés de guerre, prévention des conflits, respect des droits humains, relance du développement communautaire participatif, etc. Autant d’objectifs poursuivis par ces projets.

Faciliter le retour des réfugiés à Kamenge

Ainsi, dans le Quartier Teza II de Kamenge à Bujumbura, après plus de dix années de guerre, les communautés Hutu et Tutsi ont élaboré ensemble un contrat social pour faciliter le retour des réfugiés dans le quartier. Les parcelles appartenant aux réfugiés ayant été occupées par d’autres personnes en leur absence, leur retour était susceptible d’exacerber les conflits intercommunautaires au sein du quartier.

Les deux communautés se sont alors engagées réciproquement à s’entraider dans la reconstruction des habitations, à veiller à ce que les déplacés se réapproprient leur parcelle et, plus globalement, à s’inscrire dans une logique de pardon.

L’accord prévoyait également qu’elles restaurent un climat de confiance en organisant régulièrement des visites et des réunions. Pour asseoir ces engagements, un comité élu a été nommé responsable de leur mise en application.

Le protocole d’accord stipulait en outre qu’en cas de conflit entre les habitants, le comité pouvait être saisi pour aider les parties à résoudre le problème de façon pacifique.

Mettre fin au conflit de gestion des terres entre éleveurs et agriculteurs

Applicable aux conflits fonciers, ce type de processus a été mené dans la commune de Rugombo pour mettre un terme aux désaccords qui opposaient les éleveurs aux agriculteurs dans la gestion des terres, chacun accusant l’autre d’empiéter sur son territoire.

Alors que les conflits s’étaient exacerbés, jusqu’à donner lieu à l’assassinat de bergers, des négociations communautaires ont débouché sur un contrat social. Ainsi, les éleveurs se sont notamment engagés à veiller à ce que les troupeaux de vaches ne détruisent pas les champs des agriculteurs. Les agriculteurs ont quant à eux déclaré qu’ils n’abattraient plus aucun troupeau. Les parties se sont en outre engagées mutuellement à faire du dialogue une priorité en cas de conflit. Pour veiller au respect du contrat, surveiller les incidents et faciliter le dialogue, un comité représentatif des parties a été élu.

Ainsi, en trouvant elles-mêmes des compromis pour coexister pacifiquement, les communautés élaborent des solutions adaptées à leurs besoins qu’elles s’engagent à mettre en œuvre. Les actions menées au Burundi en faveur de la paix ont valu à l’association ACORD de recevoir le prix Entrepreneuring Peace Change-makers Innovation Award en 2007. Depuis lors, l’association a étendu l’application du modèle du contrat social au Kenya et dans le nord de l’Ouganda.