Sensibiliser, former, mobiliser les habitants pour faire valoir leurs droits

Burundi : Les femmes dans les processus décisionnels

L’expérience de l’Association Pour la Paix et les Droits de l’Homme

, par Juristes Solidarités

Cet article a été rédigé par Juristes Solidarités à partir d’une rencontre avec Ernest Kamwenubusa.

Le programme UMIZERO, Espoir en Kirundi, est né en 2006 d’un partenariat entre l’Association pour la paix et les droits de l’homme (APDH), CARE International et l’Association burundaise pour le bien-être familial (ABUBEF). Les objectifs de cette initiative étaient d’intégrer davantage les femmes dans les processus de prise de décision au niveau communautaire et de lutter contre les discriminations dont elles sont victimes. Plusieurs volets d’action composent ce projet :

  • développement de l’épargne et du crédit,
  • renforcement de l’accès à la santé et à l’alphabétisation,
  • promotion des droits de la femme et du leadership féminin.

Au départ réduite à trente collines, la zone d’action s’est peu à peu étendue à quatre-cent collines situées dans quatre provinces - Ngozi, Kayanza, Kiroundo, Moyinga - de la région nord, zone la plus peuplée et la plus pauvre du pays.

Comparer pratiques locales et dispositions légales

Le volet promotion des droits humains et renforcement de la participation des femmes au niveau communautaire est géré par l’APDH, association burundaise engagée depuis 1994 dans la promotion de la justice, la consolidation de la paix et de la démocratie, et l’éducation aux droits humains.

Afin de sensibiliser les femmes, des temps d’échanges sont organisés dans les communautés. Ainsi, les principes fondamentaux tels que l’égalité, la liberté, la dignité sont abordés à travers la vulgarisation de textes légaux, comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ou encore à partir d’observations du Comité des Nations-unies pour l’é1imination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Les communautés sont amenées à comparer les pratiques locales et les dispositions légales, puis à élaborer des stratégies pour mettre fin aux pratiques qu’elles estiment discriminatoires.

Vulgariser le Code de la famille pour protéger les femmes

Sur la base d’une pédagogie similaire, la vulgarisation du Code de la famille permet de sensibiliser les femmes ainsi que l’ensemble de la communauté à la gestion des ressources du ménage et à la procédure de divorce. L’accent est également mis sur la nécessité d’enregistrer les naissances par acte d’état civil et sur les lois relatives au mariage. En effet, 40% des ménages ne sont pas mariés et 20% des naissances ne sont pas enregistrées à l’état civil. Cette situation met les femmes et les enfants dans une situation de forte insécurité : en cas de décès du conjoint ou du père, ils ne sont pas en mesure de prouver le mariage ou la filiation et ne peuvent donc hériter du défunt.

Débattre à partir du Code pénal

La vulgarisation du Code pénal permet quant à elle de débattre de la notion d’infraction. Celle-ci est d’abord définie par la communauté avant que l’animateur ne se réfère aux textes juridiques. En confrontant leur propre définition et celle du Code pénal, les personnes constatent que certains comportements réprouvés par la communauté ne constituent pas des infractions d’un point de vue légal (accusations de sorcellerie par exemple). A l’inverse, certaines pratiques sont considérées comme des infractions par la loi sans l’être par la communauté : tel est le cas des violences physiques commises entre conjoints ou entre parents et enfants, souvent tolérées alors que le Code pénal punit ces pratiques. Les animateurs donnent également des informations aux femmes sur l’organisation des instances judiciaires, en présentant à la fois les compétences des structures traditionnelles de résolution pacifique des conflits et celles des structures étatiques.

A l’issue de ces séances, il n’est pas rare que les personnes sensibilisées, ainsi que leur entourage, sollicitent les animateurs pour un appui juridique, des conseils ou une orientation vers un service qui pourra les accompagner dans la résolution de leur problème.

Sensibiliser les autorités locales et les leaders communautaires

L’APDH sensibilise également les personnels administratifs locaux (responsables des collines, des communes), ainsi que d’autres leaders communautaires et les bashingantahe [1]. pour qu’ils puissent contribuer à la lutte contre les discriminations du fait de leur influence. Les temps d’éducation aux droits humains peuvent être menés en collaboration avec eux : les femmes sensibilisées lorsqu’elles revendiqueront leurs droits, trouveront ainsi plus facilement un soutien auprès d’eux. Il s’agit en outre de leur faire prendre conscience des capacités et des compétences des femmes pour qu’ils les encouragent à participer aux instances de prise de décisions.

Favoriser la représentation des femmes au niveau des communes et collines

Une femme de la colline de Kigufi, sensibilisée par l’APDH, affirme que « la femme elle-même se discrimine parce qu’elle n’ose pas prendre la parole en public pour donner ses opinions ». Ces propos illustrent bien la nécessité pour l’APDH de faire prendre conscience aux femmes de la possibilité de participer à la vie publique, de renforcer leur capacités en ce sens, mais aussi de soutenir les candidatures de certaines d’entre elles au niveau communal.

En comparant les zones d’action du projet UMIZERO aux zones non couvertes par le programme, une véritable évolution a pu être constatée : au niveau national, seules 31% des femmes sont administratrices des communes contre 71% dans les zones ciblées par le programme. On souligne ainsi que malgré certaines pesanteurs culturelles (coutumes rétrogrades, tabous, stéréotypes), les femmes peuvent s’émanciper, et ce même en milieu rural.

Prendre en compte le volet économique et social pour lutter contre les discriminations

La lutte contre les discriminations envers les femmes et pour la reconnaissance de leurs droits est indissociable d’un travail favorisant leur autonomie économique. Ainsi un autre volet du programme, mené par CARE International et l’APDH, concerne le développement de l’épargne et du crédit. Divisées en groupes de 20 à 30 personnes partageant les mêmes conditions de vie, les femmes épargnent chaque semaine, et, après un mois de cotisation, peuvent demander un crédit qu’elles rembourseront avec un intérêt très modeste fixé par les conventions établies par le groupe. Ainsi des activités génératrices de revenus peuvent se développer : l’argent est investi dans de petits commerces de produits alimentaires, dans l’élevage ou dans l’agriculture.

Le programme s’attache également aux questions liées à l’éducation et à la santé reproductive, ainsi qu’à l’alphabétisation des femmes. C’est l’Association burundaise pour le bien-être familial (ABUEF) qui intervient sur ces questions et contribue à la promotion de la santé de la reproduction, y compris la prévention des IST/VIH/SIDA.

Grâce au partenariat établi entre trois organisations aux champs d’action complémentaires, la pluridisciplinarité du programme UMIZERO a permis d’améliorer la condition de la femme par diverses approches, notamment celle du droit, en touchant les communautés dans leur ensemble : les femmes, les hommes, les leaders et les autorités locales.