Il n’y a qu’au Brésil qu’il existe un système de santé gratuit et universel, mais des investissements privés supérieurs

Par André Barrocal e Maria Inês Nassif

, par Carta Maior

Cet article a initialement été publié en portugais, et il a été traduit par Eva Champion, traductrice bénévole pour rinoceros.

21 ans après sa création, le Système Unique de Santé (SUS) vit un « paradoxe ». Il est gratuit et ouvert à tous, mais il dispose de moins d’argent que ce que l’initiative privée dépense pour soigner un nombre moins élevé de personnes. Cela n’existe dans aucun autre pays selon l’OMS. Les dépenses publiques brésiliennes sont inférieures d’un tiers à la moyenne mondiale. Pour les spécialistes, le SUS exige plus d’argent. « Le budget doit doubler », affirme ainsi Adib Jatene.

Le Système Unique de Santé (SUS) va fêter ses 21 ans ce lundi 19 septembre 2011, révélant un paradoxe. Le Brésil est le seul pays au monde possédant un réseau de santé ouvert et gratuit ouvert à toute la population mais qui, dans le même temps, voit le marché (assurances et consultations privées) dépenser plus d’argent que l’État.

La raison de cette contradiction, selon les spécialistes, réside dans le manque de ressources publiques permettant que le SUS puisse être complètement mis en œuvre, comme cela a été prévu dans la Constitution, ce qui exigerait de devoir au moins doubler son budget.

Les dépenses de santé au Brésil représentent 8,4 % de ce qu’on appelle le Produit Intérieur Brut (PIB), soit la somme des richesses produites par un pays durant une année. D’après ce point de vue, l’investissement est donc aligné sur la moyenne mondiale de 8,5 % annuels, suivant le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

La différence se situe au niveau de ceux qui réalisent les dépenses. Au Brésil 55 % sont privées (et profite à environ 46 millions d’assurés privés), et 45 % sont publiques, qui profitent à 190 millions de brésiliens.

La part de l’État représente 3,7 % du PIB, soit un tiers de moins que la moyenne internationale de 5,5 % du PIB, selon l’OMS. Dans le reste du monde, les dépenses publiques sont équivalentes à 60 % du total investi dans le domaine de la santé.

Quand on compare avec les pays ayant des systèmes similaires au SUS, c’est-à-dire universels et gratuits, les disparités sont plus importantes.

Au Royaume-Uni, dont le modèle mis en place après la seconde guerre mondiale est considéré comme classique et ayant inspiré le modèle brésilien, les dépenses publiques de santé tournent autour de 7 % du PIB. L’État britannique assure 82 % des dépenses totales, lesquelles sont à un niveau similaire de celles du Brésil (8,7 % du PIB).

Au Canada, où existe également un système de santé public, le gouvernement dépense environ 7 % du PIB dans ce secteur, alors que le secteur privé ne dépense que 2,8 %.

Dans deux pays scandinaves considérés comme des modèles dans le domaine, la Norvège et la Suède, l’État dépense plus de 6 % du PIB et assure 72 % des investissements dans la santé.

« Si on compare avec d’autres pays du monde qui eux aussi ont adopté un système de santé universel, le Brésil dépense vraiment peu », affirme le médecin et ex-ministre de la Santé Humberto Costa, actuel leader du PT au Sénat.

« Le SUS a eu un bilan positif indéniable ces dernières années, mais ce paradoxe subsiste : c’est un système public et universel qui dépense moins que le secteur privé », explique Magalhães Vianna, un des rapporteurs de la Conférence Nationale de la Santé qui, en 1986, esquissa le SUS.

De nouveaux fonds

Selon Vianna, les dépenses publiques dans la santé devraient être doublées, ce qui requiert de nouvelles sources de ressources pour le secteur. L’ancien ministre de la santé Adib Jatene partage le même point de vue.

« Quand le SUS fut créé, certains disaient qu’il n’était pas viable, que les membres de l’Assemblée avaientt été irresponsables en ne précisant pas les sources de financement. La Constitution établit néanmois ces sources dans les dispositions transitoires, mais elles ne furent jamais réglementées", explique Jatene. « J’estime que le budget du SUS doit doubler, mais il n’y aucune possibilité de le faire ».

Selon l’estimation faite par un autre ancien ministre, José Gomes Temporão, les données de l’OMS sur le fait que les dépenses privées soient supérieures aux dépenses publiques au Brésil, sont « significatives ». Notamment parce qu’alors que l’investissement public obéit à une politique nationale, l’investissement privé lui est parfois orienté vers la chirurgie esthétique.

En Argentine, 70 % des dépenses de santé sont publiques. Alors qu’ici au Brésil, ce sont les familles qui endossent l’accès aux soins » explique-t-il. « Il est important que la société ait parfaitement conscience que, investir dans le SUS, c’est investir dans un patrimoine que la société a commencé à construire il y a 22 ans".

Le Secrétaire à la Santé de la préfecture de São Paulo, Januário Montone, a la même vision fière de ce système qui fête son anniversaire. « Le SUS a été une victoire fantastique. C’est aujourd’hui un succès, il n’existe pas d’autre système de santé de cette envergure dans aucun autre endroit au monde » déclare-t-il.

Il défend une hausse des ressources dans le secteur de la santé. Mais il croit aussi que, 23 années après l’entrée en vigueur de la Constitution, le pays a besoin de réouvrir le débat autour du système de santé, et de décider si l’initiative privée doit ou ne doit pas en faire partie. Selon lui, oui, car même l’État a besoin de faire appel à des services privés.