L’écologie industrielle, des alternatives à l’économie dominante

Vers une économie fondée sur la performance énergétique

, par LaRevueDurable , BOURG Dominique , STEINBERGER Julia, VAN NIEL Johan

En règle générale, les politiques énergétiques dites durables promeuvent la production d’énergies renouvelables et la mise en place de mesures spécifiques d’efficacité énergétique. Et les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre s’attaquent directement à ces émissions. Ce faisant, ces politiques ne remettent pas en cause la structure fondamentale du marché de l’énergie, qui repose sur les profits via la vente d’énergie.

Réduire la consommation d’énergie et les émissions de carbone implique notamment une transition vers un marché de l’énergie qui ferait reposer les profits non plus sur la vente de l’énergie en tant que telle, mais sur des services énergétiques rendus à de moindres coûts énergétiques : une économie fondée sur la performance énergétique.

Voués à l’échec

La conception classique du système énergétique consiste à partir de l’offre et à se concentrer sur les technologies de production et la disponibilité des ressources. Les politiques de l’offre se sont toujours attachées à développer des moyens d’assurer un approvisionnement suffisant et sûr. Cependant, cette approche ne permet plus d’assurer la pérennité du système énergétique. Car un approvisionnement suffisant et sûr ne peut pas reposer sur des stocks finis de combustibles fossiles et fissiles.

De plus, l’approche par l’offre fait fi des émissions qui résultent de l’utilisation des combustibles fossiles et menacent de déstabiliser le climat. Et les ressources non fossiles ont elles aussi leurs défauts. L’énergie nucléaire suscite de sérieuses préoccupations environnementales, de santé publique et de prolifération. Et les énergies renouvelables sont limitées dans leur capacité de production : on ne peut pas escompter qu’au niveau actuel de consommation, elles puissent se substituer aux combustibles fossiles.

Dans un contexte de demande en énergie en hausse constante, les programmes qui visent une offre suffisante sont donc tôt ou tard condamnés à échouer dès lors que la structure fondamentale du marché de l’énergie fondée sur les profits liés à la fourniture d’énergie n’est pas remise en cause. Or, le système économique peut et devrait être structuré pour atteindre certains buts politiques, dont un des plus urgents est de contrer le réchauffement climatique.

Il est ainsi possible d’envisager une économie fondée sur la performance énergétique qui rapprocherait les buts économiques des buts environnementaux et sociaux. De fait, l’innovation réglementaire et économique est à même de contribuer à épargner l’énergie autant, voire plus que l’innovation technique. En particulier, l’économie fondée sur la performance énergétique apparaît pleine de promesses.

Changement radical

L’économie de la performance – ou de la fonctionnalité – consiste à vendre des services ou des fonctions plutôt que des produits, et étend la responsabilité de la performance des acteurs économiques à l’ensemble du cycle de vie de leurs produits.

Les exemples d’applications de cette forme d’économie sont divers : reproduction de documents payés « à la copie » (Xerox), location et entretien de textiles (Elis), service de gestion intégrée de produits chimiques (Dow Chemicals, Castrol), mutualisation de véhicules ou autopartage (Mobility, Vélib’)… L’économie de fonctionnalité s’applique également très bien au secteur de l’énergie. Car la demande en énergie n’est pas une demande pour l’énergie elle-même, mais pour des services énergétiques : température ambiante, mobilité, lumière, etc.

Cette conception de l’économie offre un cadre ad hoc pour répondre à la demande en énergie : en améliorant les technologies de conversion et en tenant compte des conditions locales, il est possible de satisfaire la demande en services énergétiques avec moins d’énergie, et donc de découpler besoins et consommation d’énergie. Dans ce système, les profits s’enracinent dans les économies et non dans la fourniture d’énergie, au contraire de l’économie actuelle, qui associe la consommation au revenu et, en conséquence, fait dépendre les gains économiques de la croissance de la consommation d’énergie.

L’économie fondée sur la performance énergétique implique une transformation radicale du rapport économique et de régulation entre les acteurs le long de toute la chaîne énergétique, depuis l’extraction de l’énergie jusqu’à son utilisation. Le but est d’arriver à une structure d’incitation telle que la maximisation des économies d’énergie, la réduction de l’impact environnemental et la focalisation sur la fourniture du service énergétique conduisent, de façon cohérente, à des profits pour tous les acteurs de la chaîne.

Formidable potentiel

Pour l’instant, seules quelques entreprises de services énergétiques concrétisent un modèle d’affaires dont les revenus reposent sur les économies d’énergie. Ces entreprises ont beau exister depuis les années 1970, les applications d’économie fondée sur la performance énergétique n’occupent toujours que des niches de marché. Notamment parce que les politiques de promotion des économies d’énergie ont été négligées durant les décennies de faible prix du pétrole – 1980 et 1990. Cependant, depuis peu, le regain d’intérêt pour ces politiques favorise l’émergence d’initiatives aux États-Unis et en Europe.

Pour le seul secteur du bâtiment, le potentiel du marché pour les activités de ces entreprises est estimé à 70 milliards d’euros pour l’Europe et un montant similaire pour les États-Unis. Une telle transition du marché entraînerait de formidables réductions de dépense d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, le potentiel du marché pour ces entreprises ne sera mis à profit que lorsque les gouvernements s’organiseront pour leur faciliter la vie. La difficulté à faire de ces entreprises la règle s’explique sans doute par le caractère inhabituel de leur modèle d’affaires, des marges de profits plutôt faibles – mais stables – sur des périodes de temps moyennes à longues, des coûts d’investissements initiaux et des exigences en expertise technique qui peuvent faire apparaître ces initiatives comme risquées, donc peu attrayantes pour les entrepreneurs. La plupart de leurs clients potentiels ignorent le concept ou rechignent à investir dans des solutions qui impliquent un virage à 180° par rapport à l’économie dominante.