Union Européenne : la ratification de l’accord avec la Colombie et le Pérou serait une "honte"

, par AlterEchos

Dans le cadre du projet Echos des Alternatives, à plusieurs reprises, nous avons été confrontés à des conflits sociaux-environnementaux dus à l’accaparement des ressources naturelles, notamment minières ou énergétiques, par des multinationales dotées d’une véritable impunité. A l’occasion du Forum Social Mondial de Dakar, nous avons rencontré Alejandra Alayza Moncloa, de l’organisation péruvienne Red Globalization con Equitad. Elle explique comment l’accord de libre-échange (TLC en espagnol) que l’Union Européenne exige de la Colombie et du Pérou, aujourd’hui soumis au Parlement européen, contribue à protéger les investisseurs européens au détriment de la démocratie, des droits sociaux et des exigences environnementales [En Mars et Avril, une délégation de syndicalistes et de défenseurs des Droits de l‘Homme de Colombie sera en Europe pour expliquer son opposition à la ratification de cet accord. Plusieurs initiatives auront lieu les 4, 5 et 6 mars à Paris.Voir [ici]]

Alter-Echos : Pouvez-vous expliquer l’origine de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Pérou et la Colombie ?

Alejandra Alayza Moncloa : Les négociations ont commencé en 2007 entre l’Union européenne (UE), le Pérou, la Colombie, la Bolivie et l’Équateur. Au départ, il s’agissait de définir un accord de coopération. C’est le nom que donne l’UE à un accord comprenant trois piliers : le pilier commercial qui est un traité de libre-échange, le pilier du dialogue politique et le pilier de la coopération. Le tout pour officiellement favoriser l’intégration régionale des pays andins. Mais le processus de négociation a montré que l’UE était surtout intéressée par le volet libre-échange, par l’accès aux marchés des pays andins et leur dérégulation, par la libéralisation des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Parmi ces secteurs, ceux des services, des télécommunications, de la propriété intellectuelle, et leur libéralisation tarifaire.

Alter-Echos : Que sont devenus la Bolivie et l’Équateur au fil des négociations ?

Alejandra Alayza Moncloa : Le discours de l’UE affirmant promouvoir l’intégration régionale des pays andins a été mis à mal lorsque la Bolivie et l’Équateur ont décidé de quitter les négociations. Ces derniers n’ont pas accepté que l’UE refuse toutes leurs propositions alternatives visant à ce que le commerce soit véritablement mis au service du développement de leurs pays. Après leur départ, la dimension économique et commerciale de l’accord a pris le dessus. L’accord signé aujourd’hui et soumis aux parlements européen et andin est une bombe à retardement pour l’intégration régionale des pays andins. En effet, le contenu de cet accord pourrait constituer la base des relations exigées avec la Bolivie et l’Équateur. Générant un conflit entre les pays andins, cet accord limitera les capacités régionales de l’Équateur et de la Bolivie à avoir une stratégie alternative qui utilise le commerce pour d’autres objectifs.

Alter-Echos : Concrètement, qu’impose un tel accord ?

Alejandra Alayza Moncloa : Cet accord dispose par exemple d’un chapitre sur les investissements dont les règles protègent les investisseurs européens dans nos pays. Ainsi, ces règles permettent aux investisseurs européens de demander à l’état péruvien une modification de telle norme ou réglementation qu’ils considèrent comme affectant leurs investissements. Cela limite considérablement la possibilité pour un état comme l’état péruvien de développer de nouvelles normes sociales ou environnementales contraignantes pour les investisseurs étrangers. Dans tous les secteurs stratégiques que nous avons cités, les investissements européens disposeraient d’une véritable protection, au détriment de la démocratie, des droits sociaux et exigences environnementales.

Alter-Echos : Cet accord ne contient-il donc aucun engagement social ou environnemental ?

Alejandra Alayza Moncloa : Il faut reconnaître que cet accord comprend un chapitre sur le développement soutenable qui mentionne différents accords internationaux sur les droits humains, l’environnement ou les accords de l’Organisation internationale du travail qui devraient être respectés. Il mentionne également l’importance de faire face aux dérèglements climatiques et à la perte de la biodiversité. Mais quand on voit le poids juridique de ces engagements, on se rend compte que ce chapitre n’est doté d’aucune capacité contraignante pour changer concrètement les choses. Ces engagements sont de second plan face aux obligations que doivent respecter les pays face aux investissements étrangers.

Alter-Echos : Il y a de très nombreux conflits autour de l’accès aux ressources naturelles en Amérique Latine, notamment au Pérou et en Colombie. Quel sera l’effet de cet accord ?

Alejandra Alayza Moncloa : Effectivement, partout où l’on regarde en Amérique Latine, on observe des conflits autour de l’accès et de la maîtrise des ressources naturelles. Souvent, on entend dire en Europe qu’il faut améliorer les règles, exiger des entreprises qu’elles satisfassent à des normes sociales, environnementales. Pourtant, quand on regarde précisément, le concept de soutenabilité n’est pas développé de manière adéquate sur le plan juridique. Ainsi il n’y a pas de cadre pour réguler l’accès et l’usage des ressources naturelles sur les plans environnementaux, sociaux et fiscaux. Pas de possibilité de développer des taxes suffisantes pour accroître les revenus de l’Etat et en faire un bon usage. Ces normes restent donc en suspens alors qu’elles sont nécessaires pour nos pays, pour la protection de l’environnement mais aussi pour la paix sociale. Leur absence peut se terminer à moyen terme en conflits sérieux.

Alter-Echos : Que proposez-vous ? Quelles sont les alternatives ?

Alejandra Alayza Moncloa : La question est vaste. Je pense qu’il faut modifier les habitudes de consommation au Nord et que nous devons trouver une façon différente de construire notre relation avec la nature et les ressources naturelles. L’idée du bien-vivre ou le fait que l’Équateur ait incorporé dans sa constitution les droits de la nature, montrent qu’il y a, en Amérique Latine, une pression et des idées pour penser la soutenabilité, pas seulement dans une région mais à l’échelle de l’humanité. Plus concrètement, que faisons-nous des accords de libre-échange ? Il y a ceux qui n’existent pas et dont il faut empêcher l’existence. Et il y a ceux qui existent que nous devons dénoncer et renégocier. Ce n’est pas facile quand un pays comme le mien a plus d’une dizaine de traités de libre-échange à dénoncer. Il faut transformer la façon dont les pays du Sud s’intègrent dans la mondialisation économique. Dans notre relation avec l’Europe, ce serait beaucoup mieux pour les pays andins ou d’Afrique de maintenir le système général de préférences. Ce système, sans trop de contreparties, permet de conserver la production à faible valeur ajoutée sur notre territoire et de pénétrer le marché européen. Avec ce système, nous n’avons pas besoin d’accepter des exigences dont le seul objet est de satisfaire les marchés et les populations des pays du Nord, Chine y compris puisque le Pérou a un accord de libre-échange avec la Chine. Ainsi nous pourrions faire persister le développement d’une matrice qui ne soit pas seulement primo-exportatrice.

Alter-Echos : Qu’attendez-vous de la société civile et des mouvements sociaux en Europe face à cet accord de libre-échange ?

Alejandra Alayza Moncloa : Concrètement, nous allons entrer dans la période où le Parlement européen devra se prononcer sur cet accord. Pour vous, Européen-ne-s, ce traité est un problème parce que s’il est validé, il sera un antécédent dans les relations commerciales que l’UE a avec d’autres pays. D’autre part, alors que l’UE apparaît souvent comme défenseur des droits de l’homme, ce serait une honte que l’UE donne une légitimité à cet accord avec la Colombie, alors que même les Etats-Unis n’ont pas ratifié un accord de libre-échange avec la Colombie en raison des atteintes aux droits de l’homme dans ce pays. Dans le cas du Pérou, quand on regarde le poids des investissements européens dans les industries extractives, notamment dans la région amazonienne, et vu les nombreux conflits qu’il y a avec les peuples indigènes notamment sur l’eau, il est nécessaire et urgent d’examiner d’autres relations entre l’UE et les pays andins.

Source