Turquie : le grand revirement d’Erdogan

Un renoncement à l’Europe ?

, par CDTM 34

Les relations entre la Turquie et l’Union européenne

La Turquie a toujours été tournée vers l’Union européenne (UE), avant même que celle-ci ne soit connue sous ce nom : dès 1987, le Premier ministre turc Turgut Ozal adresse officiellement sa demande d’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE). Il explique cette candidature par l’attachement de son pays à l’Europe et aux valeurs prônées par la CEE. Un premier accord est passé entre la Turquie et l’Union européenne en 1995, mais il s’agit uniquement d’un accord d’union douanière. En 1998, la commission européenne publie un rapport sur la situation des différents pays candidats, au regard des valeurs démocratiques prônées par l’UE. Elle demande à la Turquie de poursuivre l’adoption de nouvelles réformes pour répondre aux critères d’adhésion établis par l’UE.
La Turquie n’est reconnue comme candidate officielle que le 12 décembre 1999 et de véritables négociations entre le pays et l’organisation, afin d’établir les conditions de son entrée, ne s’ouvrent que le 3 novembre 2005. L’UE se montre encore très préoccupée par le non-respect des droits fondamentaux en Turquie, ce qui ralentit considérablement les négociations.

Les conditions imposées par l’Union européenne

Les différentes obligations faites au pays, comme la liberté de la presse ou la reconnaissance du génocide arménien, sont mal reçues par le gouvernement turc. En novembre 2016, après que le parlement européen ait exprimé son désaccord avec les mesures de répression mises en place à la suite du coup d’Etat raté de juillet 2016, les négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sont gelées.

Par ailleurs, à l’approche du referendum du 16 avril 2017, les autorités turques encouragent l’organisation de meetings pour informer les populations turcophones résidant en Europe des enjeux de cette consultation. Mais ces manifestations posent problème à de nombreux gouvernements européens qui dénoncent les atteintes aux droits fondamentaux en Turquie.
Dans certains pays (Allemagne, Pays-Bas), l’interdiction de ces meetings a causé des tensions diplomatiques avec le gouvernement turc.

Une mission d’observation du Conseil de l’Europe et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), durant la campagne organisée en faveur du referendum d’avril 2017, a émis des craintes sur le bon déroulement et sur le résultat des élections qui ne sont pas « à la hauteur des critères européens ».
La mission informe également que si les propositions émises par Erdogan, dont le rétablissement de la peine de mort, sont mises en place, la Turquie ne pourra être acceptée au sein de l’UE.
La victoire du « oui » au referendum d’avril 2017, entraînant la révision de la constitution turque, entérine un peu plus la dégradation des échanges entre la Turquie et l’UE.

La réaction d’Erdogan

L’attitude de l’Union européenne n’affecte pas réellement Erdogan. Il affirme qu’il ne tiendra pas compte du rapport de cette mission de l’OSCE et qu’il attend juste qu’elle lui communique sa décision.
Face aux résultats serrés du referendum d’avril 2017, les gouvernements des pays de l’UE appellent à la discussion avec toutes les entités politiques turques et non uniquement avec le parti d’Erdogan.
Le maintien de la candidature du pays pour adhérer à l’UE est encore en discussion entre Erdogan et son gouvernement. Il est possible qu’Erdogan fasse le choix d’y renoncer et favorise uniquement les échanges commerciaux qui restent importants pour les deux économies, par l’élargissement de l’union douanière [1], par exemple.
En conséquence, il est probable que les négociations pour l’entrée de la Turquie dans l’UE, déjà au point mort depuis de nombreux mois, soient abandonnées pour longtemps.

Conséquences géopolitiques

Le refus de l’Union européenne de considérer la Turquie comme pays candidat à part entière et les réticences de nombreux pays d’Europe centrale, notamment de l’Autriche, poussent la Turquie à se rapprocher de la Russie.
Erdogan décide de se tourner vers l’Est et notamment vers l’Organisation de coopération de Shanghai, fondée en 2001 par la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. Cette organisation a pour but de faciliter les relations entre ces pays ainsi que leur coopération dans les domaines politiques, économiques et commerciaux, et aussi culturels et scientifiques. Depuis 2015, le président turc a formulé plusieurs fois son souhait de rejoindre cette organisation.

Face aux difficultés rencontrées avec l’Union européenne, Erdogan et son gouvernement font le choix de se tourner vers la Russie et de jouer sur le terrain du Moyen-Orient et de l’Asie.

Notes

[1Le 21 décembre 2017, la Commission européenne a proposé d’élargir la coopération entre l’UE et la Turquie en matière de commerce et droits de douane. Il s’agirait d’élargir aux secteurs de l’agriculture, des services et des marchés publics l’accord dit d’ « union douanière », entre l’UE et Ankara. Signé en 1995, effectif depuis 1996. Pour l’instant, l’union douanière se limite aux secteurs des biens industriels et des produits agricoles transformés.