Tchad, retour sur dix ans d’exploitation pétrolière

Introduction

, par CITIM

Processus engagé il y a plus de dix ans, avec l’inauguration d’une première vanne située à Komé dans le bassin de Doba (sud du pays), point de départ de l’oléoduc Tchad-Cameroun, l’exploitation du pétrole tchadien vient, le 9 juin 2013, de franchir une nouvelle étape dans sa production, avec l’ouverture d’une nouvelle vanne de pétrole à Badila, également située dans la région du Logone Oriental.

Pétrole Centrafricano-tchadien
Maïeuta

Ce projet porté par l’Etat tchadien, dès l’an 2000, avec l’implication d’un important consortium de multinationales américaines et malaisiennes du pétrole, et soutenu par la Banque mondiale, avait l’ambition de permettre à ce pays, un des plus pauvres de la planète (80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté), de se sortir de ses difficultés économiques et d’instaurer les conditions d’une paix civile. Est-ce une réussite ?

L’exploitation du pétrole a fait l’objet, dès les années 60, de prospection de la part de compagnies françaises et nord-américaines. Pendant trente ans, son exploitation n’a pu être lancée, le pays ayant connu des années de guerre civile et d’instabilité politique. A l’aube des années 2000, la Banque mondiale s’est intéressée à cette filière et a fait le pari que la malédiction des ressources, à savoir un développement inversement proportionnel à l’abondance des ressources naturelles, pourrait être levée. Force est de constater son échec, puisque l’institution s’est même retirée du suivi du projet en 2008 pour cause de désaccord avec le gouvernement tchadien quant à la gestion des revenus pétroliers. En effet, ceux-ci n’ont pas été consacrés à la lutte contre la pauvreté à la hauteur de l’engagement pris par le gouvernement tchadien. A noter que le rapport 2012 de l’ONG Transparency International classe le Tchad comme pays très corrompu à la 165ème place sur 174 pays.

Différents bilans et évaluations publiés ces dernières années s’accordent à démontrer que les risques liés à cette exploitation n’ont pas été appréhendés correctement et que les objectifs de développement n’ont pas été atteints dans leur totalité. Paradoxalement, les injustices et les violations des droits générées par l’exploitation pétrolière ont vu l’émergence d’une société civile dans un contexte d’absence latente de l’Etat, d’insécurité et de militarisation de la zone d’exploitation, sans oublier les retombées du projet sur l’environnement.

Plus généralement, malgré un mauvais classement de l’Indice de Développement Humain (IDH) qui se confirme depuis des années (165ème/175 pays en 2005 - 184ème/186 en 2012), le Président Idriss Déby a depuis 2010 mis en place une stratégie marketing pour redorer l’image du Tchad. Après l’échec de la prise de pouvoir par des mouvements rebelles en 2008 (le gouvernement en place a pu compter sur le soutien de la France), la normalisation des relations avec le Soudan en 2009 et la réélection d’Idriss Déby en 2011, le Tchad présente en effet des perspectives de croissance économique à la hausse. Selon les estimations de l’AfricanEconomicOutlook.org, de 1.6 % en 2011, elle serait passée à 7.2 % en 2012 et atteindrait, selon les projections, 7.4 % en 2013 et 11.5 % en 2014. En effet, l’Etat tchadien investit, en partie, grâce à l’argent du pétrole notamment, dans des infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, stades de foot…) mais souvent dans des zones urbaines uniquement (dont la capitale N’Djamena) et sans que ces équipements soient accompagnés des politiques publiques nécessaires à leur bonne gestion sur le long terme. Quant aux infrastructures pétrolières, elles ont entrainé une réduction des surfaces cultivables, voire un déplacement de certaines populations.

Depuis peu, au plan géopolitique, la participation de troupes tchadiennes (2000 hommes) dans la lutte contre les mouvements extrémistes au Nord Mali, aux côtés de l’armée française, a donné au Tchad une visibilité au plan international non négligeable. Cette intervention dans un pays non limitrophe du Tchad, au côté de la France lui a permis également d’affirmer son leadership régional et de créer une dette à la France. Là encore, le pays cherche à se démarquer de son image de pays marqué par les guerres intestines. Néanmoins le pouvoir continue d’exercer en interne des pressions sur toute opposition.

Enfin, avec une croissance démographique exponentielle depuis plusieurs années –un des taux de fécondité les plus élevés au monde–, le Tchad sera confronté dans quelques années à des enjeux importants. Deux Tchadiens sur trois ont moins de 25 ans. Certains économistes projettent le Tchad comme pouvant devenir un pays émergent d’ici dix à quinze ans. Reste à observer quels seront les leviers sur lesquels vont porter les changements à venir.